Aujourd’hui j’ai décidé de nous emmener vers le sahel avec Djaïli Amadou Amal une romancière Camerounaise. Munyal, les larmes de la patience, c’est la voix de trois femmes : Ramla, Hindou, Saphira qui nous conte leur histoire depuis ce jour où le soleil se lève comme tous les autres jours.
La société définissait la place de chacun. C’était ainsi, ça ne pouvait être autrement…
Dans un coin d’une chambre, des yeux tristes épiaient les moindres gestes d’une jeune fille nue qui ne semblait pas voir le monde qui l’entourait. Elle était là calme, répétant encore et encore des paroles inaudibles dont elle seule détenait le sens. Elle ne semblait pas entendre les voix qui sortaient des quatre hauts parleurs qu’on avait installés aux quatre coins de la concession, la voix d’un grand musulman à ce qu’il parait et qui pouvait permettre de conjurer le mauvais sort jeté à la jeune fille et faire chasser le démon dont elle était possédée. Elle avait l’air sereine et ne semblait pas faire attention au nourrisson qu’elle venait de mettre au monde il y a peu. Hindou se rappelait « ce jour-là où on l’avait informée de tous ses devoirs mais où personne ne lui avait aussi cité ses droits. Elle ne devrait jamais les oublier si elle voulait être heureuse, c’est-à-dire une épouse accomplie ». P11 Elle avait répondu:« Oui, Baba, je sais, j’ai compris tous tes conseils. Avec mon époux, je ne dois jamais bouder, être colérique ou bavarde, dispersée ou suppliante. Je dois me montrer pudique, reconnaissante, patiente, discrète. Le valoriser, respecter sa famille, me soumettre à lui. Lui apporter mon aide, préserver sa fortune, préserver sa dignité, préserver son appétit. Munyal, Munyal».
Hindou parlait seule, elle était emprise à des souvenirs noirs qui revenaient la hanter. Elle revoyait comment, le cœur meurtri, elle s’est laissée trainer dans la voiture pour le lieu qui sera désormais sa demeure conjugale. Elle revoyait comment ses parents avaient scellé son sort, en lui donnant un époux dont elle n’était pas amoureuse. Elle qui avait des rêves, des ambitions, elle qui malheureusement ne pouvait parler, donner son avis au risque de subir la foudre de son père, au risque d’être répudiée… Il lui fut annoncé qu’elle deviendrait la femme de son cousin Moubarack, ce gars qu’elle a toujours considéré comme son frère, ce gars, qui fume, boit et se drogue, ce vilain gars qui a voulu il y a quelques années de cela la forcer là-bas, dans un coin de sa chambre. « Mon Dieu, mes rêves d’indépendances, mes rêves d’émancipation, mes rêves d’une carrière épanouissante ne se réaliseront jamais. Une sorte de rage puissante et muette m’étrangla, (…) Mon Dieu ! Ce désir de tout casser, cette envie de crier, de hurler » P19 Cette nuit même, Moubarak, son cousin, désormais son époux, la viola. « Il se leva brusquement et d’un mouvement imprévisible me jeta brutalement sur le lit, arrachant violemment mes vêtements, il se mit à me tabasser. » P84 Elle se remémorait comment sa belle-famille avait réagi. « Ce n’est pas un crime ! C’est un acte légitime ! Ce n’est pas un viol ! C’est une preuve d’amour ! » P85. Et c’était devenu son lot quotidien. Elle encaissait les coups, subissait les assauts de son mari qui ne lui laissait aucun répit. Hindou était battu au gré des humeurs changeantes de son époux. « Ce sera toujours pareil, il me frappera et fera semblant de regretter, promettra de ne plus le faire… jusqu’à la prochaine fois. Et si un mauvais coup m’achève, une fois de plus ce ne sera que la volonté d’Allah. On ne meurt que quand s’achève son temps de vie ! » P120 Hindou criait. Elle se débattait contre ceux qui essayaient de la retenir. Elle enlevait les pagnes dont on voulait la couvrir. Et pourtant c’était un autre cri qui retentissait dans son cœur : « Elle ne voulait plus de ce fameux Munyal. Non ! Elle ne voulait plus endurer, ni patienter, ni supporter. » P9 Hindou était devenue folle.
« Je suis une fille pour mon plus grand malheur » P66
« Soyez pour lui une esclave et il vous fera captive. Soyez pour lui la terre et il sera votre ciel ; ne soyez pas bavardes ; ne soyez pas dispersées, soyez pudiques ; soyez patientes, Munyal, Munyal ». P18 « Que jamais vos parents ne sachent ce qui est désagréables dans votre foyer ; préservez en l’image et préservez le vôtre ; gardez secrets vos conflits conjugaux ». P20 « Le paradis d’une femme se trouve au pied de son mari ». Des conseils qui se faisaient ressentir comme des coups de couteau dans l’oreille des jeunes filles à qui on s’adressait.
Ici c’est la fête. Des cris de joies retentissent, sur les visages on lisit la joie, l’envie, et même de la jalousie. Ici, richement vêtues, stoïques et terriblement tristes Hindou et Ramla deux sœurs de mêmes pères écoutent les conseils de leurs aînés. Et pourtant aucune joie, aucune émotion, les deux jeunes sœurs, auraient voulu à cet instant même oublier leurs différences et se serrer dans les bras. Elles auraient bien aimé oublier les querelles de leurs mères respectives et crier au monde entier qu’elles avaient peur, qu’elles n’étaient pas d’accord et qu’on éloigne d’elles la coupe du désespoir qu’on leur tendait. Tour à tour, leur silence se muait en des cris de supplications qui ne pouvaient que résonner dans leur cœur. Ramla était intelligente, belle et surtout avait de grands projets. Elle éconduisait tous ses prétendants parce que son but unique était de finir ses études. Sachant bien que c’était presque un rêve impossible dans son milieu, la jeune fille y croyait pourtant dur comme fer : « Quand j’expliquais aux femmes de la famille mon ambition de devenir pharmacienne, elles me traitaient de folle et vantaient les vertus du mariage. Quand je renchérissais sur l’épanouissement qu’il y aurait pour une femme d’avoir un emploi, de conduire sa voiture, de gérer son patrimoine elles coupaient sévèrement ». Le jour où elle se décida à choisir un homme, selon son cœur et sa volonté, son oncle avait déjà conclu son mariage avec un riche homme d’affaire du nom de Aladji Issa. Ramla assista impuissante à son infortune. « Oh mon Dieu, j’aurais voulu une nuit bien noire. Une nuit aussi effrayante que cette angoisse qui m’enserrait la gorge, nouait mon estomac. Jamais de toute ma vie je n’avais connu un tel moment de désespoir ». Dans la voiture qui l’emmena vers son nouveau domicile, la jeune fille était au comble du désespoir. « Sauvez-moi, je vous en supplie, on me vole mon bonheur, ma jeunesse, sauvez moi je vous en conjure, je ne suis pas heureuse, comme vous pouvez le croire ! On m’arrache mes rêves, mes espoirs, on me dérobe mon innocence, ma vie ».P71 ….
« Munyal defanhayre »: La patience cuit la pierre…
Là-bas, dans une grande villa entourée de ses amies et tantes, une femme attend, le cœur haut, l’âme triste, qu’accoste ce qu’elle redoute le plus dans sa vie. Saphira attend le cortège qui emmènera ici même dans cette maison où elle s’est toujours crue en être la seule dame, sa coépouse, cette nouvelle fille que son mari a décidé d’épouser. Ramla, c’est son nom et il paraît qu’elle est belle, jeune et instruite. On lui disait doucement à l’oreille : « Saphira, Munyal, tu es la dame de la maison ; celle qui viendra sera ta petite sœur ». La jeune dame ne pouvait croire qu’elle assistait à l’arrivée de sa nouvelle coépouse. A la vue de Ramla, elle jura intérieurement de lui rendre la vie impossible. Tout moyen fut bon. Elle se mit à vendre ses bijoux pour envoyer sa meilleure amie chez les meilleurs marabouts du voisinage. Elle préparait des coups bas et se faisait aider par ses enfants. Elle avait décidé de nuire à Ramla et faisait tout ce qui était en son pouvoir pour évincer sa rivale. Manipulation, vol, mensonges, pièges, envoûtement… Ramla, subissait, patiente, les mauvais tours de Saphira. Elle subit sa jalousie, son hypocrisie, et sa sournoiserie. Un jour, suite à une vive dispute entre Ramla et son époux, dispute due à un soupçon d’infidélité de la part de Aladji Issa, elle fit une mauvaise couche. Mais en réalité, cette dispute était causée par Saphira qui n’en finissait pas de multiplier ses coups bas. Quelques jours après, la jeune fille s’enfut du domicile conjugal pour ne plus jamais revenir. Mais Saphira n’était pas au bout de ses peines: Aladji Issa prévoyait de se remarier encore. Et Saphira, attendait sa nouvelle rivale en écoutant encore et encore les conseils qu’on lui prodiguait. « Munyal, Saphira, Munyal… »
Munyal, Munyal, Munyal…
« Munyal, les larmes de la patience » est sans doute le meilleur roman que j’aie lu sur la thématique du mariage forcé. Lauréat du Prix Orange du Livre en Afrique en 2019, ce roman de 214 pages paru aux Éditions Proximité, est un véritable tableau de la vie de nos réalités africaines. Même si elle est écrite sur un ton purement musulman, ce roman ne décrit pas moins la véritable condition de la femme africaine. Munyal : patience, mais aussi endurance, tolérance, persévérance et maîtrise de soi. Telles étaient les qualités que devait cultiver une fille, oups, une jeune femme, devenue trop tôt, mère et épouse. « Munyal, un mot magique censé réconforter. Supporter, jusqu’à la limite du supportable, voir au-delà du supportable. Boire la coupe jusqu’à la lie. » On assiste à un long métrage tourné dans nos rues, nos maisons, nos sociétés qui nous rapporte fidèlement ce qu’était le sort réservé à la femme. Mariage forcé, soumission, violence, viol. « Il est difficile le chemin de vie d’une femme, ma fille. Ils sont courts ses moments d’insouciance. Elle est inexistante sa jeunesse. Elle n’a de joie nulle part sauf là où elle l’aura hissée. Elle n’a de bonheur nulle part sauf là où elle l’aura cultivée. A toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable. C’est ce que j’ai fait durant toutes ces années ! J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs ! ». Il nous faut nous rappeler cette époque, parce que si aujourd’hui nos filles ne sont plus vendues ou échangées telles des pouliches pour un hameau, il n’en demeure pas moins que la société ne veut pas se débarrasser ses images préconçues sur la femme. « Munyal, les larmes de la patience » nous peint la vie de la femme d’avant, d’alors, et d’aujourd’hui. Pourquoi aujourd’hui m’interrogerai-vous ? Parce que la femme se bat toujours pour qu’on lui cite ses droits. Ne devrais-t-elle pas les connaitre, sur le bout de ses doigts ? Parce que aujourd’hui demeure toujours ces trois types de femmes que représentent nos trois héroïnes. Celle qui se tait et subit, comme Hindou ; celle qui dit non et ose partir comme Ramla et celle qui abdique et ne veut pas savoir comme Saphira. Si tu es une femme tu sais que nous avons passé il y a quelques jours un 8 Mars où on n’a pas manqué de nous rappeler la lutte pour les droits de la Femme. Alors, dis-moi : Qui est tu ? Une Hindou, une Ramla ou une Saphira ?
Annette BONOU