Combien de fois avons-nous vu la couverture de ce recueil défiler sur notre journal d’actualité ? Avons-nous des échos sur sa parution ? Les lecteurs l’ont-ils lu sans avoir été séduits ? Pourquoi un si lourd silence sur cette magnifique production poétique ? Autant de questions qui restent suspendues sur les lèvres des lectures qui, peut-être, nous diront plus après lecture.

L’objet de cette analyse est d’en parler pour montrer toute la richesse poétique de cet ouvrage qui jusque-là reste méconnu aux yeux du grand public pour des raisons que nous essayons, après un regard participatif sur l’environnement littéraire sénégalais, d’expliquer avec recul et lucidité. Le long des allées de Ndeye Anta Dia est un recueil de poèmes dans lequel les sentiments de la poétesse valsent entre deux mondes parallèles qui en même temps se complètent par la finesse d’écriture de l’auteure: de l’amitié sincère à l’amour sous différentes formes, de l’émerveillement à l’étonnement suscitant autant de questions, de la contemplation des mystères de la Nature à l’extinction de l’ego dans l’univers céleste, le voyage se fait à l’aide de trois ailes : le cœur, l’esprit et l’âme.

Contextualisant le célèbre vers d’Alfred de Musset : « Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie », nous pouvons dire que Ndeye Anta Dia a le génie d’aimer. L’amour pur qu’elle témoigne à sa mère se prouve à travers les tous premiers vers du recueil :

Femme généreuse,

D’une générosité enjôleuse,

Femme scrupuleuse,

Mon oasis, ma berceuse

 Ma reine, ton empreinte sera éternelle

Joli nuage qui décore mon ciel, ma protectrice inconditionnelle (p.11)

Son sourire médecin de ses maux est la fontaine inépuisable où la poétesse puise l’eau de la douceur pour étancher sa soif d’amour dans le désert de la tristesse. Son regard est neige qui adoucit le feu de la vie, sa voix comme un hymne de tendresse qui résonne dans le plus profond de son être transformant ainsi ses plus grandes ténèbres en lumière. Bercée par ses tendres mains, « la femme spéciale » est son paradis de vie, son « éden à la couleur ébène ». C’est sur sa poitrine que la poétesse se console au moment où le soleil se pavane dans « la belle couverture » du ciel :

« Ta peau chaleureuse telle une fontaine

Au beau milieu du désert quand sa Majesté

Paresseux roucoule au Zénith » p.15

En effet, le même amour est voué au père qui, de par sa profonde culture religieuse, a guidé ses pas d’enfant toujours esseulée en quête de lumière. Esseulée et silencieuse, étrangère à la parole, la poétesse a appris à communiquer par et avec le langage du cœur.  Ce cœur plein d’amour est dévasté, meurtri par un autre voyage : celui d’adieu d’un père sous le regard innocent de sa fille « Nous passâmes par la même porte / Lui dans un cercueil et moi avec une valise (p.56) ». La porte s’ouvre pour deux destinations totalement différentes : son père vers l’au-delà et elle, vers l’aventure incertaine de la vie. Un « nouveau départ » pour Ndeye Anta qui a grandi sous l’ombre protectrice d’un père biologique et spirituel, qui n’a connu que la tendresse de sa chaleur humaine. Quelle rupture !

Une rupture très difficile qui sera allégée par les piliers du courage auquel la poétesse fait appel. Courage pour pouvoir décider de sa vie, courage pour affronter les aléas de la vie, courage pour avoir la force de se relever après chaque chute. La vie ne fait pas toujours cadeau :

Nous taquiner la vie aime

Notre curiosité, le destin anime

Éviter une chute n’est que peur masquée

Renaitre de ses cendres, est audace confirmée (p.21)

 A l’appel de la poétesse ne répondront que les âmes armées de courage. Par contre un autre appel de sa part attire notre attention en lisant le recueil : celui de la valeur de l’inversion dans beaucoup de ses poèmes, dans sa poésie. La poétesse accorde une très grande importance à cette syntaxe ancienne qu’elle maîtrise bien et qui donne tout le charme à certains vers. Mais parfois nous constatons un certain abus de cette belle technique qui nuit parfois au rythme des vers. A vouloir trop la pousser à bout, elle pèche parfois sur la syntaxe comme dans ce vers où la virgule est mal placée : « Aussi brave que la lionne qui se bat, pour sa famille, protéger » (p.55). Dans ce vers, l’emplacement de de la première virgule et la hantise de l’inversion cassent tout le rythme.

Le long est allées est, si on peut le dire ainsi, un recueil de voyages vers multiples destinations avec des moyens différents. L’auteure est un oiseau-voyageur depuis le départ de son père : de son Louga natal au Canada en passant par Dakar. Chaque ville a laissé ses empreintes chez elle : Louga, son royaume d’enfance où dorment les plus beaux souvenirs de sa vie et où s’est réveillée

prématurément son amour à la poésie ; Dakar, ville où elle a affronté les aléas de la vie dans sa quête du savoir à l’université et Canada, ville où elle a appris à se confier elle-même et à confier mes incertitudes à la poésie dans le silence de la nuit.

L’idée de voyage est permanente dans la poésie de Ndeye Anta. Après le voyage physique, un autre voyage est entamé à travers la poésie. Un voyage dans lequel la poétesse s’interroge sur l’essence et le sens de la vie sur terre: « Quelle est ma mission sur Terre ? » p.56. Comme une philosophe, elle se pose autant de questions sur sa vie et interpelle en même temps le lecteur dans « cette ronde questions qui prend source » au fleuve de son esprit.

Un questionnement qui déclenche chez elle quelque chose que l’on pourrait appeler « élévation ». Cette élévation passe par la fenêtre des merveilles de la Nature, précisément le coucher du soleil. Ce moment de fin de jour est pour Ndeye Anta une invitation à la réflexion et à la méditation. C’est un beau tableau qui s’offre à ses yeux :

« Comment il est beau ce moment

Où la nuit s’installe, bercée par le vent

Quand le soleil, de sa couleur, tend vers le rouge

Le ciel complice, à cette teinte ne déroge

Captivée devient mon attention

Qu’il me charme sans prétention

Ah quel mirage ! » p.16

Un magnifique tableau qui cache derrière lui une main d’horloge : celui de Dieu. Ce mystère gouverne le recueil et installe chez la poétesse une sorte de hantise de ce moment si particulier de la vie. Qui ne voit pas un mystère dans l’harmonie du coucher du soleil ? Pas elle. L’évocation du ciel par cette belle périphrase imagée « Drap géant à la couleur azurée »p.42, dévoile toute son attention à ce beau moment. Au-delà, la présence omniprésente du soleil comme symbole du jour, de la lumière et celle des étoiles et de la lune comme symbole de la nuit et de l’obscurité, apportent un dualisme sans précèdent dans ce recueil.

Par le biais du questionnement et de la méditation, nous passons d’une étape inférieure dans laquelle règne l’éphémère à une étape supérieure à la quête de l’Éternité pour nourrir son âme. Entre « l’être et le paraître », « deux mondes parallèles » se disputent chez l’être humain et que chacun est animé par une volonté de conquête pour gouverner son cœur, son esprit et, pire encore, son âme. Chaque monde est bien caractérisé : l’un par le bruit et l’autre, par le silence. Entre lumière et ombre, grand et petit, ciel et terre, la ligne de démarcation est tracée et la poétesse nous invite à un choix.

Avec tout ce qu’il comporte comme souffle et techniques poétiques, nous nous demandons toujours pourquoi ce recueil de poèmes de l’une des rares poétesses d’une si belle plume, dans un si petit environnement littéraire, peut passer inaperçu aux yeux des critiques littéraires si, bien entendu, il y en a.

Deux questions nous semblent légitimes : Quel est l’avenir de la littérature à caractère féminin ? Les femmes s’intéressent-elles vraiment à la poésie ? Pour la première question, je laisserai aux femmes évoluant dans le monde de la littérature toute latitude d’y apporter des réponses convaincantes. Pour ma part, je me nourris toujours d’espoir.

Par rapport à la deuxième question, il nous est donné de constater, à la délibération de la phase présélection du concours Prix Ibrahima organisé par le Collectif Parlons poésie, qu’aucun nom de femme n’a figuré sur la liste des finalistes. Une étonnante remarque qui nous interpellant nous en tant qu’acteur dans le domaine de l’écriture. Ce constat peut aboutir à deux conclusions :

Certains généreux comme Zacharia Sall parleront certainement d’une poésie naturelle chez les femmes au point qu’elles n’ont pas besoin de l’écrire pendant qu’elles la vivent. L’élégance est bien au rendez-vous mais ce n’est point une excuse pour ne pas participer à l’édifice de la production intellectuelle de ce pays. Loin de dire que les femmes ne produisent pas, nous constatons juste une faible participation de leur part et nous nous interrogeons sur les raisons de cette abstinence.

Il y a aussi, à notre avis, un jugement très sévère sur les femmes et leurs productions. Il est d’ailleurs très difficile dans notre société d’avoir une certaine liberté d’écriture en tant que femme. Un cliché très misogyne pèse sur elles quand elles abordent certains sujets dans leurs ouvrages ou dans le débat public. Injustice qui ne tient à aucun fondement pertinent, à part celui de la confiscation d’une liberté de penser et de penser.

Cette liberté dans la production ne se quémande pas mais elle s’arrache. La production exige avant tout de l’audace. Aux femmes de se libérer et ensuite de libérer les mots pour espérer assurer la relève de toutes ces femmes qui ont positivement participé à l’émergence de la littérature africaine à ses débats et surtout à la poésie. L’héritage de Annette Mbaye D’Erneville, de Mariama Ba et de Aminata Sow Fall, ne doit nullement laisser aux oubliettes et le salut passe inéluctablement par la production intellectuelle.

Ndeye Anta Dia a apporté une grande pierre à cet édifice et sa poésie porte une belle part de la dimension spirituelle de la poétesse Kiné Kirima Fall.

A travers ce recueil de poèmes, Ndeye Anta Dia nous invite à un voyage à la fois périlleux et succulent à travers ces trois ailes : le cœur, l’esprit et l’âme.

Elaz Ndongo Thioye