Nathasha Pemba est une écrivaine congolaise originaire de Pointe-Noire. Docteur en Philosophie. Elle s’intéresse particulièrement à la philosophie sociale, politique, morale, à l’éthique ainsi qu’à l’histoire des idées politiques. Spécialiste en spiritualité thérésienne et titulaire d’un master en sciences politiques, la littérature occupe une place importante dans ses activités et dans sa vie. Elle a collaboré à des ouvrages collectifs en philosophie et publié un essai sur le développement personnel.
Son recueil de nouvelles « Polygamiques » fait l’objet de la présente analyse. L’œuvre est parue aux éditions La Doxa. Dans cet ouvrage, les histoires se déroulent au Congo-Brazzaville et abordent toutes un thème central : la polygamie. Pour ceux qui suivent la série télévisée camerounaise « Foyer Polygamique » diffusée sur la chaîne A+, ce titre doit bien susciter un certain nombre d’idées. Cependant, Nathasha Pemba se démarque bien ici en présentant des faits originaux, mais tout aussi réels.
« Les hommes sont devenus rares au Congo. S’il n’y a pas de polygamie qui va épouser les autres femmes ? »
Cette phrase pourrait choquer les personnes engagées dans la défense et la promotion des droits de la femme. Mais sachez avant tout qu’elle ne traduit aucunement la volonté pour l’auteure, de donner raison à la polygamie qui est, selon elle, un fait indéniable de la société. Quoi qu’il en soit, il faut en parler. Et c’est ce qu’elle fait très bien à travers cet ouvrage. Toutefois, sans prendre clairement partie, elle laisse à chacun la liberté de porter le jugement qu’il souhaite sur cette question.
Revenons à l’ouvrage. Même si certaines nouvelles qui le constituent ne sont pas réellement axées sur la polygamie, ce thème reste tout de même au cœur de la plupart d’entre elles. Déjà, la première intitulée « Ma future belle-mère » plante le décor et nous plonge en même temps dans cette réalité. « Même s’il est vrai que tous les hommes sont des polygames qui s’ignorent, je pense que tant que cette corde polygamique n’est pas activée, la polygamie dort au calme. Elle est voilée. Et si la femme reste digne, la corde ne s’épanouira que difficilement. Ou du moins, même lorsque l’homme adoptera des attitudes tant soi peu infidèles, il se souviendra toujours de son épouse. Il rentrera à la maison. »
Nathasha Pemba, à travers cet ouvrage, nous plonge dans l’une des réalités les plus marquantes des sociétés et des familles africaines en général, et congolaises en particulier. En dehors de la polygamie qui se retrouve au premier plan de cet ouvrage, elle développe d’autres thématiques palpables comme la diversité culturelle, la maltraitance des enfants, la famille, l’envie et l’amitié. L’auteure peint des situations toutes aussi intrigantes les unes que les autres.
Une jeune fille qui, impressionnée par la famille de son fiancée, sans vraiment savoir de quoi elle est faite et ce qu’il s’y passe, découvre plus tard que sa belle-mère est mariée à un polygame et est de surcroit, lesbienne. Un vieil homme polygame, jaloux de ses filles, qui se confronte à un jeune se prenant pour l’intellectuel du quartier, afin de l’humilier. Une adolescente dont la mère, veuve depuis plusieurs années, épouse un européen, comprend qu’un l’homme blanc reste une personne comme toutes les autres. Un garçon,orphelin de mère, qui mendie pour subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses frères maltraités par leur tante mariée désormais à leur père, indifférent face à la souffrance de ses enfants. Un homme marié à une femme russe qu’il a rencontrée durant ses études en URSS, qui ne s’empêche pas de prendre une seconde épouse, et comme si cela ne suffisait pas, une troisième. Une mère qui se trouve obligée de garder en elle un secret inimaginable sur son fils. Deux jeunes filles, menant une vie de luxe et profitant des garçons, qui ne rêvent que d’épouser un blanc et d’aller vivre en Europe.
Voici un très bref aperçu des récits développés dans les nouvelles de cet ouvrage. On voit les hommes comme des êtres généralement incapables de se contenter d’une seule femme. Et on dirait bien que les femmes finissent dans la plupart du temps par s’y faire. Certaines s’engagent dans des relations polygamiques pour l’argent, d’autres par amour et d’autres encore, parce qu’il n’y aurait pas mieux. Les raisons sont multiples et dépendent du contexte.
Chacune des nouvelles de ce recueil pousse à réfléchir. L’auteure, même si elle ne prend pas partie dans l’ouvrage, indique par ailleurs dans une de ses interviews que « la polygamie ou le polyamour est une question qui interroge le « vivre ensemble » de manière très conséquente. Je crois que ce sont des réalités de notre existence, pas seulement en Afrique ! Comme je le dis dans la nouvelle, la polygamie reste un choix qui doit engager la responsabilité de ceux et celles qui la vivent. C’est un choix où simplement le respect de l’autre et la tolérance doivent être de mise, car tout est relation. Tout est aussi rencontre !Vivre ensemble à trois ou à dix, c’est déjà une sortie de soi pour aller vers l’autre. Dès lors, il devient inutile de faire subir ses humeurs, ses mauvais penchants ou ses jalousies aux enfants qui deviennent souvent des victimes des choix de leurs parents. »
Un des autres objectifs poursuivis par Nathasha Pemba à travers cet ouvrage, comme elle-même l’a dit, est de « souligner que dans la vie, des fois, il est important de se contenter de ce que l’on est et même de ce que l’on a. L’envie est souvent un vice qui ne fait de bien à personne. »
« Polygamiques » est un ouvrage qui interpelle tout aussi bien les jeunes que les adultes mariés ou non.Chacune de ses nouvelles suscite un tas d’interrogations bien justifiées. Mon coup de cœur reste celle intitulée « Troisième bureau ». Bien que l’histoire soit longue, elle demeure quand même très intéressante. Vient ensuite la nouvelle « Ma futur belle-mère ». Difficile de parler de manière détaillée de toutes les nouvelles dans cet article. Nous vous invitons vivement à le lire. Vous ne regrettez pas.
A la lecture de cet ouvrage, on peut constater aisément que Nathasha Pemba est une écrivaine exceptionnelle. Elle a du talent et une très grande imagination. Elle sait captiver l’attention des lecteurs et les faire voyager. Avec « Polygamiques », elle nous amène en promenade dans différentes villes du Congo : Pointe-Noire, Brazzaville, Dolisie, Mbinda, Nkayi, etc. Elle nous fait découvrir également différentes réalités propres à ce pays d’Afrique centrale.
Nathasha Pemba est une auteure très cultivée, on le voit bien aussi. Cela se remarque dans ses écrits, surtout quand on lit des nouvelles comme « L’intellectuel du quartier ». Elle y fait notamment de nombreuses références témoignant de cela. De plus, malgré ses longues études et ses nombreux voyages dans le monde, on voit bien qu’elle est une personne qui connaît très bien son pays ainsi que la société dans laquelle elle vit. Elle maîtrise les expressions typiques de son pays et est fortement ancrée dans sa communauté. Cela est juste remarquable.
Elle adopte un style léger qui facilite la lecture. Chaque ligne de cet ouvrage se laisse dévorer des yeux très rapidement et avec joie. Les phrases sont simples et bien construites. « Polygamiques » est un véritable chef-d’œuvre parfait notamment pour les apprenants des lycées et collèges. Il leur sera d’une grande aide pour améliorer leur style et leur expression. Bien écrit, s’il est lu avec attention, ce recueil de nouvelles apporte, à coup sûr, un plus. Sa lecture reste pour toute personne, un divertissement et un lieu de construction personnelle.
KOUAGOU Capel Tibokoussakou
Bibliographie :
- « Nathasha Pemba : l’homme a un penchant pour la polygamie », interview accordée à Sandrine Kihindou, publiée sur https://www.entrecongolais.com/lhomme-a-un-penchant-pour-la-polygamie-de-natasha-pemba
- Interview avec Nathasha Pemba, Biscottes Littéraires, publiée sur https://biscotteslitteraires.com/interview-avec-nathasha-pemba-feminisme-en-afrique/