Quand l’humain est un poème, il provient du souffle d’un poète : Makhtar Diop.
Du haut du « ciel ivre de son bleu limpide », le soleil brille de mille feux éparpillant ainsi ses rayons sur la terre dans le but éclairer la vie des humains. Sa chaleur est connaissance et vie ; le poète l’a bien compris. Après un long séjour, là-bas « A côté du soleil », à travers les voies de la pensée et de l’écriture, Makhtar décide de revenir pour donner à un univers ancré dans la souffrance un espoir de vie : « Souffles » ! Aurait-il trouvé meilleur substantif pour donner un nom à ce recueil dont le contenu est aussi puissant que vivant. Avant d’entrer dans l’intimité du texte, nous nous permettons de jeter un petit coup d’œil sur l’un des éléments fondamentaux du paratexte : la page de couverture. Déjà sur la page de couverture, le premier lieu de contact entre l’auteur et son lecteur, notre regard se laisse facilement mouvoir dans la fleur qui s’y trouve et s’y vit pleinement. Cette fleur est symbole de vie et d’amour : chacune de ses pétales est une bougie d’espoir illuminant l’obscurité de chaque vie.
Le titre est évocateur dans la mesure où il part d’un principe fondamental : celui de la vie. L’Humain reste interpellé pour s’interroger sur l’essence de cette vie qui lui a gracieusement été offerte. C’est d’ailleurs à travers un questionnement que se révèle tout le sens de la vie. Ce qui fait que, dans le premier poème du recueil « Cogito », le poète procédait par une série d’interrogations pour faire participer au lecteur dans son processus de création : « As-tu demandé pourquoi tu vis et meurs sans questions ? » p.13. Le titre du poème est très significatif et constitue pour le poète une manière de pousser le lecteur à une prise de conscience de sa propre vie. Ce vers, à lui seul, suffit pour servir d’orientation aux autres textes du recueil. Makhtar est une âme perturbée par le monde, inquiète pour son devenir et sensible à tout ce qui s’y passe. Les questions qu’il se pose sans cesse ne trouvent leurs réponses que dans la poésie. Cette inquiétude que subit le poète est une boulée de feu à laquelle il traine, un fardeau qui pèse sur sa poésie. Une seule échappatoire possible : la Poésie. Si nous interrogeons un peu la poésie de Makhtar, cette souffrance s’offre naturellement à nos yeux. En effet, dans « Poésie », poème d’ouverture de son premier recueil « A côté du soleil », le poète se confie en ces termes :
Ton sourire médecin de mes maux
Vient tendrement soulager mon âme
Et lentement essuie mes larmes
Il n’est point d’encre et de mots[1]
Le poète vit dans le silence son mal causé par la bêtise humaine qui de plus en plus s’impose dans la vie des humains. Âme blessée, il pleure dans son cœur et questionne sur l’avenir de la vie. Espère-t-il trouver soulagement et réponses à ses multiples questions qui le hantent ? Heureusement ! La poésie le soulage et en elle il trouve réponses à ses questions : « Je te réponds ainsi mon cher lecteur : la Poésie me donne toutes les réponses. / Art de vivre ou Thérapie, peu importe. / Je respire, je marche et je parle Poésie ». p.13
Une poésie qui place l’Homme, sujet du monde-souvenir, au centre de la réflexion. Tout part de lui et revient vers lui. De son innocence parfaite porteuse de beaux caractères à sa culpabilité semant la terreur, l’homme est acteur de sa vie. IL est capable du meilleur comme du pire. Et dans ce recueil, le poète montre tout le mal qu’il a semé de ses propres mains. Le poète dénonce avec un cœur meurtri les ravages de l’un des actes les plus inhumains que le connaisse le monde d’aujourd’hui : le terrorisme. Makhtar Diop martèle désespérément :
Dans le ciel, je creuse ma tombe.
Je tire autant que je peux d’humains
Qui se sont égarés comme des aveugles
Je leur salue de mes mains barbares
Pour voir la terre enivrée d’une seule goutte. p.25
Terreur ! l’expression est très éloquente. A travers ce poème, le poète fustige tout le mal qu’engendre le terrorisme. L’acte d’ôter la vie de quelqu’un ne saurait avoir une explication lucide : aucune idéologie ne vaut plus que la dignité humaine, aucun fondement religieux non plus. Évoquer une excuse pour justifier cette catastrophe humaine n’est que la preuve d’un esprit perverti par la force du mal. Quel esprit bien portant ose, au nom de Dieu qui est Vie et Amour, tuer un être humain en son nom ? La cruauté humaine règne en maître et anéantit en même temps tout espoir de vie sur cette terre dont chaque respiration est une goutte de sang qui tombe sur la joue de feu. Que de larmes qui écoulent sous le poids du désespoir. Le lexique est profondément sombre et beaucoup de titres de poèmes l’illustrent parfaitement« Je m’enterre / Sépulcre/ Terreur/ Crime/ Sourire perdu/ La brume etc… »
A y voir de plus près, cette cruauté humaine n’épargne même pas les arbres, ces petits êtres innocents qui participent positivement à la vie des humains. La relation homme-nature se dégrade de plus en plus depuis que les hommes ont instauré une sorte de pouvoir transcendantal à travers lequel l’arbre ne sert qu’à satisfaire les besoins de l’homme. L’exploitation de l’homme sur la nature a les allures d’un rapport désacralisé. De manière explicite, le poème « Baobab », l’un des poèmes les plus humanistes de ce recueil, parle de cette relation qu’entretient l’homme avec cet emblème de notre pays : le Sénégal. Le baobab représente tout un symbole dans l’univers africain. Comme défenseur acharné de la nature, un environnementaliste dirai-je, Makhtar reste sensible au sort réservé au baobab :
L’homme, dans sa folie, prend sa hache,
Son talisman et son temps pour l’abattre.
L’arbre retient son souffle à chaque coup du manche
Et dit : ô main mortelle, mon Éternel Être
Te dérange à ce point que tu veuilles me séparer
De mes racines profondément enfouies sous la terre ? p.21
Ce poème est à la fois émouvant, triste, désolant et séduisant. La question du poète est rhétorique et interpelle encore une fois l’être humain sur sa relation avec la nature. N’est-il pas en train de se tuer inconsciemment en tuant l’arbre ? L’arbre servirait-il à l’homme le manche s’il savait le fatal sort qui lui serait réservé ? L’homme cruel. Dans un style très poli, le poète fait recours à l’euphémisme pour qualifier ce geste : « Le Baobab ferme ses yeux et s’écroule ». Chaque mot est bien choisi et le poète témoigne d’un signe de politesse et de tendresse envers la Nature comme envers les humains.
Ce recueil est, par conséquent, un cri de cœur dont chaque poème fait entendre la blessure de vie du poète. L’évocation du Mal reste l’ossature du recueil. Dans une perspective très poussée, nous aurions la légitimité de dire, contrairement à ce que reflètent le titre et la page de couverture, que la fleur porte à la fois la vieet son lot de mal. Quelle fleur du mal !
La conception du poète laisse apparaître une certaine similarité avec le recueil de Charles Baudelaire. D’ailleurs, dans une lettre de correspondance qu’il m’a adressée en Avril 2017 après ma note de lecture sur le recueil « Souffles », Makhtar DIOP assume ouvertement ses influences animées par les symbolise dont Baudelaire au premier rang. Cette influence se justifie davantage dans ce recueil où les symboles sont plus éloquents que les mots. Les images sont fortes comme est fort chaque vers du texte. Le poète suggère et les images parlent plus que les mots.
Par ailleurs, les différents thèmes qui y sont abordés rappellent avec éloquence ceux des symbolistes : le spleen, la solitude, la métaphysique, la spiritualité entre autres. Dans « Souffles », il est d’ailleurs question dans beaucoup de poèmes de réfléchir sur la vie, sur l’existence humaine et surtout la mort. La mort reste la colonne vertébrale traversant tout le long du texte. Précisons que cette mort tant évoquée par le poète n’est point une néantisation ; elle s’ouvre vers une vie meilleure. Le sépulcre n’est que « gardien du corps » dans lequel une vie s’enterre pour après pouvoir se ressusciter. Dans un monde boiteux abandonné à la solitude perdant ainsi son sourire, le poète ne trouve salut que dans un désir de surélévation à la quête d’une quiétude absolue ; il fuit le mauvais temps pour faire son dernier envol de vie. La démarche de Makhtar DIOP est pyramidale : vie comme le titre et mort comme thème central s’alignent asymptotiquement dans la construction à la fois imaginaire et réelle de la pyramide pour avoir à son sommet une autre vie qu’il suggère : la Renaissance. Voilà l’expression qui sied pour faire de la mort un simple prétexte ouvrant la porte de la Renaissance. La chute du poème « Surélévation »en est une parfaite illustration :
Il ne suffit point de te calciner
Il faut renaître de ta poussière
Tel un souffle qui fume…. p.61
Se renaître à partir de sa poussière ou de ses cendres renvoie justement au pouvoir de la Renaissance après la mort ou de l’élévation (surélévation, dit-il) après chute. Ce poème comme Baobab suffirait largement pour parler de la dimension du recueil. Dans la dimension symbolique de ce poème se trouve dans l’évocation dans quatre éléments :
- Eau : « larmoyer » ; la mer
- Terre : « pieds argileux », « poussière »
- Air : « souffle »
- Feu : « calciner », « fume ».
Pour ne citer que ces mots, l’écriture de Makhtar est d’une parfaite séduction. Ce poème nous rappelle un poème du recueil « Les monologues du silence » de P.M.SY.
Dans le texte de Makhtar, nous avons soigneusement déceler les quatre éléments qui font toute sa philosophie mais dans celui de P.M.SY le titre est informationnel sur le contenu : « TETRASOMIA ». Les similarités entre les deux textes sont évidentes.
Le recueil est plein de mystères qui méritent une analyse approfondie et lucide. Toutefois, il nous est impossible de ressortir toute sa richesse dans une seule analyse. Le dualisme dans le poème « Ma nudité » ferait à lui seul l’objet d’une étude critique.
Pour faire l’économie de la parole ou de la plume, nous avons passé sous silence ce très beau texte. Pour conclure, nous pouvons dire que Makhtar DIOP, l’un des meilleurs poètes de notre génération(l’appréciation est personnelle) est une âme qui tient à la vie au point d’être prêt à faire don de son être pour le seul salut de l’Humain. La mort causée par la bêtise humaine le perturbe mais il espère se soulager par la Poésie. Sa poésie est une espérance de vie et pose un regard d’espérance sur le monde en souffrance. Sa souffrance se lit presque dans tous ses poèmes. C’est pourquoi après avoir effectué un difficile séjour
« A côté du soleil », Makhtar décide de prendre congé pour faire un petit « Souffle » pour enfin avoir la force de ramasser l’Espérance sur le sable de la vie.
Elaz Ndongo Thioye
[1]Makhtar DIOP, À côté du soleil, p.11