INTRODUCTION

Après les indépendances dans les années 1960, les peuples africains croyaient dur comme fer que les multiples maux sous la colonisation n’étaient que de mauvais souvenirs, et que, dirigés par leurs propres frères qui se sont battus pour la liberté, la paix et la quiétude règneraient. Mais c’était mal connaître un « dirigeant africain » qui a « ramassé le pouvoir dans la rue ». Le constat était accablant : instabilité politique à travers des coups d’état, arrestations arbitraires sous des régimes totalitaristes et dictatoriaux. De Alioum Fantouré à Amadou Kourouma en passant par Mongo Béti, la littérature africaine s’est donné pour mission de prendre la parole au nom des opprimés. C’est ainsi que Jean Pliya, fidèle à sa mission d’écrivain va, dans son roman « Les tresseurs de corde« , montrer son engagement et dénoncer le système liberticide mis en place par « Fioga ». Il nous laisse une œuvre riche en couleurs, en sons et en images, qu’il nous est loisible de décrypter dans les lignes qui suivent. Mais nous commencerons par une présentation de l’auteur.

I- DE L’AUTEUR

  • BIOGRAPHIE

Jean PLIYA est né le 21 juillet 1931 à Djougou, au Bénin. Il est marié et père de 7 enfants.

Ses études secondaires commencées en 1946 au Bénin et en Côte d’Ivoire se poursuivent à l’Université de Dakar et de Toulouse. Il obtient sa licence de géographie en 1955, puis son DES en 1957, année où il passe son CAPES et devient Professeur certifié d’Histoire et de Géographie.

En 1976, sa thèse de doctorat en 3e cycle de Géographie sur « La pêche continentale et maritime dans le Sud-Ouest de la République du Bénin », lui vaut une mention Très Bien et les félicitations du Jury.

Une carrière d’enseignant

Il enseigne l’Histoire et la Géographie de 1957 à 1969 en France (à Cahors et à Lyon) et au Bénin (à Porto-Novo et à Cotonou).

Il est Assistant de Géographie de 1969 à 1972 à l’Université du Bénin au Togo, puis de 1972 à 1976 à l’Université Nationale du Bénin. Il est Maître Assitant depuis 1976.
De 1983 à 1991, il enseigne la Géographie tropicale et économique à l’Université de Niamey (Niger).

Des activités politiques et administratives

Rentré au Bénin à la veille de l’Indépendance, il participe à la vie politique  et administrative de son pays.

  • Directeur de Cabinet du Ministre de l’Education Nationale de 1960 à 1963.
  • Ministre de l’Information et du Tourisme, 1963.
  • Député à l’Assemblée Nationale et 1ersecrétaire de l’Assemblée de 1964 à 1967.
  • Vice-Doyen de la Factulté des Lettres et Sciences humaines de l’ Université Nationale du Bénin, de 1972 à 1974.
  • Vice Recteur de l’Université Nationale du Bénin, de 1975 à 1981.
  • Recteur de l’Université Nationale du Bénin de 1981 à 1983.
  • Consultant au Ministère du Développement rural et de la Coopération de 1976 à 1980.

Une participation active à L’U.N.E.S.C.O.

  • Membre de la Commission Internationale de Réflexion sur le Développement futur de l’Education, UNESCO, Paris de 1979 à 1981.
  • Membre titulaire du Conseil d’Administration et du Comité Permanent de l’Institut de l’UNESCO pour l’Education (Hambourg), de 1980 à 1983.
  • Vice-Président du Bureau Béninois de coordination du NEIDA (Réseau d’innovations éducatives pour le Développement), de 1976 à 1982.

Des prix et des distinctions

  • Médaille Vermeil du Mérite du Bénin – 1eraoût 1962
  • Pour l’ARBRE FETICHE: Prix de la meilleure Nouvelle africaine, en 1963, à Paris.
  • Pour KONDO LE REQUIN : Grand Prix de Littérature d’Afrique Noire, à Paris, en 1967.
  • Pour la SECRETAIRE PARTICULIERE: 2éme prix du Concours Radiophonique de l’OCORA, à Paris, en 1967.
  • Dans l’ORDRE FRANÇAIS DES ARTS ET LETTRES, Jean PLIYA a été nommé Chevalier le 21 janvier 1974, puis officier le 19 septembre 1981

Parcours et engagement religieux

  • Responsable de la J.E.C (Jeunesse Etudiante Chrétienne) et de l’Action Catholique des familles) – Université de Toulouse – France.
  • Représentant de l’Afrique comme laic au Synode des évêques d’Afrique et de Madagascar – 1994 – Rome.
  • Responsable National du Renouveau Charismatique Catholique au Bénin.
  • Évangélisateur et Prédicateur (Sénégal, Guinée, Mali, Niger, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Togo, Gabon, Centrafrique, Cameroun), en Europe (Belgique, Luxembourg, Italie, Suisse, France), en Amérique et dans les îles (Ile de la réunion, Guyane française, Martinique).

  • BIBLIOGRAPHIE
  • L’Arbre fétiche, recueil de nouvelles (L’Arbre fétiche, La Voiture rouge, L’homme qui avait tout donné, le Gardien de nuit), Yaoundé, Éditions CLE, 1971
  • Kondo le requin, consacré au roi Behanzin, Yaoundé, CLE, 1981 (Grand prix littéraire d’Afrique noire.)
  • Les Chimpanzés amoureux,Le Rendez-vousLa Palabre de la dernière chance, nouvelles, les Classiques africains, 1977
  • La Secrétaire particulière, Yaoundé, Éditions CLE, 1973
  • Les Tresseurs de cordes, Paris, Hatier, Abidjan, CEDA, 1987
  • La Fille têtue, contes et récits traditionnels du Bénin, Abidjan ; Dakar ; Lomé, Nouvelles Éditions africaines, 1982
  • Rosaire : Chemin de vie, Paru en 2002
  • Des ténèbres à la Lumière, Saint Paul éditions religieuses, Paris Parution : février 2006
  • Le combat spirituel : « Résistez au Diable et vous serez libres », Paris, Saint Paul éditions religieuses,2014, 160 p.
  • Prières après la communion : Eucharistie, Soleil de justice, Paris,Éditions Pierre Téqui, 2015, 96 p.
  • Neuvaine de protection spirituelle
  • Vie Chrétienne authentique et Protection de Dieu

Jean Pliya est mort le 14 mai 2015 à Abidjan, à l’âge de 83 ans.

source: Wikipedia

II- PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE

 Etude du paratexte

  •  Le titre du roman : « Les tresseurs de corde« 

Selon le dictionnaire de langue française Le petit LAROUSSE illustré 2015, le tresseur est une personne qui tresse, qui confectionne en entrelaçant des brins, de fils, de rubans, etc. Ici, nous pouvons dire que le titre de l’ouvrage Les tresseurs de corde est un titre métaphorique pour parler de la relation qui doit lier les jeunes aux anciens, des gouvernants et les gouvernés. C’est d’ailleurs en cela, que Ya Baké, à la page 233 nous dit:  « …Un chef mérite le respect si, tel le tresseur de corde, il donne le moyen de calmer la faim et la soif, de chanter, le soir, autour d’un feu. Si le cordier oublie comment ceux qui l’ont précédé tressaient leur corde, la sienne ne conviendra sûrement pas aux puits de son village. Il faut qu’il mélange bien les fibres les unes aux autres, les tresse avec soin, arrête une longueur convenable, décide du moment où la corde sera prête et accepte enfin de la réparer quand ce sera nécessaire. Si, par malheur, il la garde jalousement pour sa seule famille ou pour s’enrichir, il devient l’ennemi de la paix et de la vie ».

  • L’image de la 1ère de couverture

Sur la 1ère de couverture, nous voyons un homme d’un certain âge, un chasseur de surcroît, tenant en main un fusil artisanal. Sur sa tête, un bonnet, avec un visage sûr. Par cette image, on sent déjà de quelle partie du Bénin se concentrera l’histoire : le nord. En effet, les peuples de la partie septentrionale de notre pays sont réputés comme de bons chasseurs. Le fusil peut signifier aussi le danger, la guerre.

  • La 4è de couverture

A la 4ème de couverture, on peut lire ceci pour nous montrer déjà ce qui nous attend à l’intérieur du livre: « Lorsqu’on est un révolutionnaire pur et dur, qu’on occupe un poste important dans l’équipe qui a pris le pouvoir pour conduire au bonheur un pays « sous-développé », selon des principes idéologiques infaillibles, quels événements peuvent, du jour au lendemain, faire basculer votre destin et vous amener à vous remettre en question ?

C’est à ces interrogations que répond Trabi, le héros du dernier roman de Jean Pliya, Les tresseurs de corde. »

  • Structure de l’ouvrage

 Le roman Les tresseurs de corde est une histoire qui s’étend sur 18 chapitres et s’achève sur un épilogue.

Chapitre 1 : de la page 6 à 15 présente la situation chaotique qui prévaut dans la République du Bokéli où se prépare un coup d’état.

Chapitre 2 : de la page 17 à 29 : Trabi fuit la capitale pour Prékéto avec l’aide de son ami Djohodo, mais fait un accident en chemin.

Chapitre 3 : de la page 31 à 48 : Après une réunion organisée par le Comité Révolutionnaire dirigé par Boni, Trabi est autorisé à rester dans le village Prékéto Tchè.

Chapitre 4 : de la page 49 à 64 : Confronté aux dures réalités des villageois, Trabi réussit à guérir Bâ Boussa de sa plaie incurable.

Chapitre 5 : de la page 65 à 78 : Trabi essuie son premier échec face à Myriam, une jolie bombe qu’il aime et désire. Les villageois vont à la chasse.

Chapitre 6 : de la page 79 à 89 : Trabi découvre le passé tumultueux de Myriam avec Yasso.

Il en profite pour guérir les enfants malades.

Chapitre 7 : de la page 91 à 99 : Kissa revient au village avec une casquette de soldat à la recherche du fugitif. Trabi se sent menacé. Il réussit à se réconcilier avec Myriam.

Chapitre 8 : de la page 111 à 118 : A la radio, on crie aux traitres. Trabi sent que l’étau se resserre sur lui. Myriam manifeste son amour pour Trabi.

Chapitre 9 : de la page 119 à 130 : Les soldats découvrent la moto accidentée de Trabi.

Chapitre 10 : de la page 131 à 142 : Myriam et Idriss se sont disputés. Trabi découvre une seconde fois, un serpent dans sa case, signe que certaines personnes lui veulent du mal.

Chapitre 11 : de la page 143 à 150 : Les hommes d’Assouka viennent chercher Trabi, mais celui-ci est protégé et défendu par les villageois

Chapitre 12 : de la page 151 à 162 : Prékéto Tchè gagne la lutte grâce à Trabi et devient Prékéto B, c’est-à-dire Prékéto le grand. Tchakato incite Allassa et ses amis battus à dénoncer Trabi aux hommes d’Assouka.

Chapitre 13 : de la page 163 à 172 : Trabi annonce aux villageois son intention de partir au Gotal. Sur les visages, c’est la désolation et la consternation.

Chapitre 14 : de la page 173 à 181 : Assouka et ses hommes sont venus arrêter Trabi, mais ne le purent à cause de la résistance des villageois. Trabi comprit l’importance de la solidarité

Chapitre 15 : de la page 183 à 193 : Trabi finit par conquérir Myriam, mais il est partagé entre rester ou partir.

Chapitre 16 : de la page 195 à 206 : Prékéto B est agressé par les mercenaires fuyards. Marouck est tué. Les villageois arrêtent les mercenaires grâce à Trabi et Boni. Le Président Fioga se prépare pour venir féliciter ces villageois.

Chapitre 17 : de la page 207 à 223 : Trabi est gracié par le président Fioga. Il peut donc rester dans le pays, sans chercher à fuir vers le Gotal.

Chapitre 18 : de la page 225 à 235 : Les dés sont jetés. Après la grande réunion des principaux acteurs du village de Prékéto B, Chakato est couvert de honte à cause des agissements de son fils Idriss.

Epilogue : de la page 237 à 240 : Après la réunion du haut conseil de la nation, la sanction à infliger à Trabi divise les acteurs. Trabi doit retourner à la capitale pour répondre de sa fuite.

  • Bref résumé de l’ouvrage

Dans le roman Les tresseurs de corde, Trabi, aidé par son ami Djohodo, fuit la capitale de la République du Bokéli, Dougan parce qu’il avait été accusé de traitre et de réactionnaire. Un coup d’état se préparait et son nom avait été mêlé. Sur le chemin, il fait un accident et se voit sauvé par deux jeunes enfants, Kissa et Marzouk qui le conduisent dans leur village Prékéto Tchè. Là, il se fait soigner et découvre la dure vie des villageois. Il les aide à avoir un peu d’espoir en l’avenir. Mieux, il participe à leur quotidien. Mis en déroute par l’armée de Bokéli, les mercenaires se réfugient dans les zones les plus éloignées. Trabi réussit à les débusquer et avec l’aide de Boni, il crée l’exploit. Le président Fioga en personne descend dans le village pour constater les faits et féliciter les villageois héros. Trabi découvre l’amour avec Myriam et décide de l’épouser.

III- Etudes des personnages et thèmes principaux

 

  • Les personnages principaux

Dans le roman, on dénombre plusieurs personnages qui ont joué d’importants rôles. Mais parmi ceux-ci, il y en a qui ont marqué le contenu de l’œuvre. Les personnages principaux sont :

  • Trabi: Personnage principal du roman. Ayant appris par l’intermédiaire de son ami Djohoto qu’on le cherchait pour l’emprisonner, il s’enfuit de la capitale sans savoir au juste ce pourquoi il était déclaré persona non grata. En chemin, il fait un accident et est secouru par deux jeunes enfants. Amené au village, il apprend à découvrir la force des villageois, une autre manière de vivre. Il y découvre les réalités des villageois. Bien parti pour fuir le pays, il y renonce à cause de son amour pour Myriam. Il décide alors de les aider comme il le peut. Il incarne le changement et l’avenir. Son nom l’exprime : « Trabi : Que deviendra cet enfant?« 
  • Myriam: Jeune fille très belle, qui a réussi, sans le vouloir à faire battre le cœur de Trabi, qui se surprend d’aimer une villageoise, lui qui vient de la ville. Très bien éduquée et intègre, elle se met aux petits soins de Trabi à cause de sa blessure. Très malheureuse en amour à cause de son premier amoureux Yasso tué, elle finit par céder à Trabi et décide enfin de l’épouser. Elle incarne l’amour et la fille docile mais pas facile.
  • Bâ Boussa: La force tranquille. Vieil homme malade depuis un bon moment, souffrant d’un mal incurable, doté d’une sagesse légendaire, il est le symbole de l’ancien régime. Ancien chef du village, il est remplacé par Boni, mais n’hésite pas à donner son point de vue, ni à se faire consulter. Chaque fois qu’il intervient, c’est toujours pour le bonheur des villageois. Il est devenu un allié de Trabi. Il incarne la sagesse.
  • Ya Baké: Veuve, elle est la mère de Boni, Myriam et Kissa. Depuis la mort de son mari, elle est devenue une femme importante dans le village. Très intègre, elle ne parle pas beaucoup, mais chaque fois qu’elle le fait, c’est avec une sagesse déconcertante. Elle est de la génération des Bâ Boussa. Elle incarne la sagesse et ce qu’est une bonne mère, car elle a su éduquer ses enfants.
  • Boni: Fils aîné des Yériba et grand frère de Myriam et Kissa. C’est lui le chef du village. Homme un peu étrange et réservé, il est un excellent chasseur. Il porte tout le village sur ses épaules. Au départ très méfiant vis-à-vis de Trabi, il finit par de l’estimer au point que tous deux sont devenus de bons amis. Il ne croit pas à la politique du pays, car pour lui, elle ne permet pas de faire vivre les villageois. Il incarne la force, la jeunesse.
  • Kissa: Benjamin des Yériba, c’est un enfant unique en son genre. Très intelligent, il est le l’ami de Trabi. C’est d’ailleurs lui qui l’a trouvé et ramené au village. Devenu son confident en tout, il incarne l’avenir, car son souhaite, c’est d’aller à l’école et s’ouvrir au monde. Il incarne l’enfant docile.
  • Idriss: Très jaloux, c’est un être mauvais dans l’âme. Amoureux de Myriam mais rejeté par cette dernière,  son souhait est de voir le monde périr autour de lui pour que lui, il se sente à l’aise. Il a même osé abandonner Trabi, aux prises avec les mercenaires et sa supposée bien aimée Myriam qui était en danger. Il avait refusé de les assister. Il incarne la jalousie, la haine et l’impuissance.
  • Chakato: Le grand sorcier du village et père d’Idriss. Une légère déformation de son nom donne « Tchakatou ». Un fusil invisible qui envoie des décharges toxiques, des tessons de bouteilles, des aiguilles et beaucoup d’autres objets nuisibles, dans le corps de celui que vise son utilisateur. C’est une arme maléfique. Comme on le dit si bien, « tel père, tel fils ». Chakato un personnage étrange, qui en veut à Trabi en lui envoyant des serpents et autres maléfices. Ayant échoué, il se lie d’amitié avec les villageois de Prékéto B pour dénoncer Trabi aux hommes d’Assouka. Il ne pardonne pas aux Yériba d’avoir refusé la main de leur fille Myriam à son fils. Il incarne la jalousie et la haine.

IV- Les thèmes principaux

 

  • L’Amour:

Il se manifeste entre Trabi et Myriam. C’est un sentiment fort qui unit deux personnes. La première fois que Trabi a vu Myriam, il l’a désirée, et ce désir s’est par la suite transformé en amour. Un peu réticente au départ, Myriam finit par y adhérer au point d’envisager un mariage. C’est par amour que les villageois de Prékéto Tchè aussi ont défendu Trabi quand les hommes d’Assouka sont venus le chercher. L’amour nous permet de faire des folies et c’est exactement ce qu’a fait Trabi. Il n’a pas hésité à se sacrifier au nom de l’amour pour tout abandonner. « Mais cela ne suffit pas, dit trabi qui la prend par la taille et l’embrasse dans le cou. Elle penche la tête de côté en riant. Se montrant plus audacieux, il dénoue subrepticement son pagne, dénude sa gorge à la peau fine et claire. Son désir depuis longtemps contenu bouillonne comme un torrent. Myriam fait mine d’arrêter la progression de ses doigts. Trabi accentue son emprise. Elle se presse contre lui, se sent défaillir. Est-ce d’elle-même qu’elle s’est couchée sur le pagne en faisant crisser les pétales de fleur et les feuilles sèches ? Est-ce Trabi qui l’a forcée à s’allonger ? Elle ne saurait le dire. Elle flotte comme si le temps s’était arrêté… (P189.)

2- La rancune, la haine, la jalousie

Elles se manifestent à travers les personnages de Chakato et son fils, Idriss, envers la famille Yériba et Trabi. En effet, Idriss ne pardonne pas à Trabi de venir dans le village et d’y être perçu comme un héros, un sauveur. La présence de Trabi fait qu’Idriss perd l’amour de Myriam. Il n’hésite même pas à le manifester publiquement : « Avant l’arrivée de Trabi, Boni et moi étions en bons termes. Certes, je trouvais qu’il dirigeait le Comité révolutionnaire avec mollesse. Cependant, je le fréquentais et l’aidais dans sa tâche. Mais depuis que ce Trabi vous a tous possédés, Boni ne rate aucune occasion de me rabrouer. Plus grave encore, sa mère et sa sœur me repoussent et m’humilient », (P229). Et plus loin, Sadi conclut: « … Si je comprends bien, un différend oppose Idriss et Boni. Idriss souffre d’avoir été rejeté par Myriam à cause de Trabi et il n’accepte pas l’autorité de Boni. Il a voulu que le président Fioga lui rende justice. Il n’y a pas réussi. Son père – Chakato- au lieu de le raisonner, lui fait monter de la bile à la bouche… D’où est venue la haine qui noircit maintenant ton regard ? Est-ce parce que Trabi a réussi là où tu as échoué ?(P230). « Oh, si ! Tu étais là, dans les environs, le presse Boni, implacable. Tu as aperçu les attaquants blancs et tu as eu peur de te montrer. Exprès tu n’as porté secours ni à Marouk, ni à Trabi. Tu croyais, tu espérais que les agresseurs allaient tuer ce dernier, te débarrasser de lui, te redonner ta chance de reconquérir Myriam. Celle que tu prétendais aimer était en danger et parce qu’elle se trouvait près de ton rival, tu es resté caché alors qu’une balle pouvait la toucher. Ah ! Idriss, ta conduite est inqualifiable !

  • L’honneur:

L’honneur voudrait qu’aucune chose ne vienne souiller ce qui est sacré dans la famille. Et la famille Yériba y tient beaucoup  ; c’est pour cette raison d’ailleurs qu’elle fait tout pour que Myriam ne commette l’irréparable avec Trabi dans la précipitation. Trabi l’a même compris après sa première tentative avec Myriam et le silence de Ya Baké et Boni.

 

  • La phytothérapie :

Elle occupe une place importante dans ce livre. Trabi, en venant à Prékéto Tchè, découvre une autre réalité. Les richesses sont là, mais mal exploitées. Il décide d’en user. Il va donc utiliser la phytothérapie. C’est ainsi qu’il réussit à guérir la plaie dite incurable de Bâ Boussa et les yeux des enfants avec de une décoction faite avec de l’argile : « …Trabi lui pose un cataplasme d’argile directement sur la plaie. Le froid contact fait sursauter Boussa. Une femme est chargée de veiller sur le patient. Quelques heures plus tard, elle vient annoncer que Bâ Boussa a d’abord senti un certain soulagement, mais qu’il commence à se plaindre. Trabi lave la plaie à l’eau salée et renouvelle le traitement. Jusqu’au lendemain, à intervalles réguliers, se succèdent les applications d’argile. Au premier chant du coq, Trabi s’éveille. « dans quel état vais-je trouver le malade ? » se demande-t-il. Dehors, retentissent des voix. Deux femmes de Boussa, accompagnées de Séra, se dirigent vers sa case…Séra l’informe que la plaie sent moins mauvais, paraît plus nette, comme une blessure fraîche ». pp 63-64.

V- Etude de l’espace et du temps

 Etude de l’espace

L’espace est le cadre dans lequel interviennent les actants dans le livre. Il y joue un rôle déterminant en fonction de leur désir.

  • Dougan: Traduit en langue Mina, cela signifie « grande ville« . C’est la capitale de la République du Bokéli. Une ville où tous les maux se côtoient : trahison, cupidité, mensonge, opportunisme prostitution. Trabi se sentant en danger à Dougan à cause d’un complot, doit son salut à la fuite. L’atmosphère qui y régnait, faite d’assassinats, d’arrestations arbitraires et d’enlèvements ne présageait rien de bon.
  • Prékéto B: Après sa fuite, c’est ce village où Trabi échoue. Là il apprend la vie autrement. Il apprend les dures réalités des villageois. C’est là aussi qu’il va connaitre l’amour vrai. Il s’y sent tellement bien qu’il décide de rester pour apporter son expertise en tant qu’agronome. C’est dans ce même village que la réconciliation entre le pouvoir en place et Trabi a eu lieu après que les villageois ont réussi à repousser et tuer les agresseurs. Mais au-delà du cadre fictionnel, Prékéto Tchè et Prékéto Bè, renvoient en réalité à une localité bien connue, situés à la frontière de Djougou, la ville natale de l’auteur. Il s’agit de Prèkètè, dans le Département de la Donga, villages frontaliers avec le Togo rendu ici par le « Gotal« .
  • Etude du temps

Nous parlons à ce niveau du cadre temporel du roman, le moment de l’action dramatique, le temps des personnages, le temps de l’œuvre et ses indices et le temps de l’auteur.

Dans le cadre temporel du roman, pour situer l’action du roman, l’auteur peut préférer le temps historique et le faire à une époque précise, parfois à un moment critique de l’histoire. Dans Les tresseurs de corde, on constate que cette œuvre rappelle l’histoire de « l’agression du Bénin par les mercenaires en 1977» au Bénin. L’auteur nous montre l’état des lieux dans la République du Bokéli et les préparatifs de cette attaque. On pourra alors dire que cette œuvre romanesque n’est qu’une caricature de la fameuse et fatidique Révolution déclenchée au Dahomey en 1972 avec tout ce qu’elle renferme de parti unique, totalitarisme et restriction des libertés.

Dans le moment de l’action romanesque, lorsqu’un auteur situe l’action dramatique de son œuvre dans une période historique connue ou dans un cycle légendaire, il est amené à choisir un moment précis de la période ou de l’histoire des événements qu’il veut montrer. Ainsi, dans Les tresseurs de cordecomme il s’agit d’une histoire passée et vécue, l’auteur commence son roman avec les personnages déjà sur place à Dougan et à Prékéto B.

En ce qui concerne le temps des personnages, on constate que la temporalité des personnages est moins liée à leur âge qu’au moment de leur histoire personnelle que l’auteur a choisi de nous montrer : naissance d’un sentiment, première confrontation avec le monde des adultes, mariage, rupture, mort, action décisive pour leur avenir…On peut ainsi distinguer dans ce livre, le moment où les personnages sont pris à un moment critique de leur vie : rester à Dougan et périr car accuser de traitre ou fuir et trouver son salut par Trabi. On constate que l’auteur commence son livre par une relation d’amour déjà mûrie entre Caroline et Trabi. Il nous le montre d’ailleurs par la consommation de l’acte charnel.    Chaque personnage a son propre rapport avec le temps. Pour certains, seuls comptent le présent (Caroline qui vit cette histoire d’amour avec Trabi au jour le jour), ou le futur, tels Myriam et Trabi, Kissa. Mais pour d’autres, le présent seul suffira.

VI- La portée de l’œuvre

 Les différents problèmes abordés dans le roman Les tresseurs de corde sont encore d’actualité, du moins certains. Si chaque année au 16 janvier, on se souvient de l’agression subie, il faut reconnaître que d’autres problèmes sont encore là, têtus, qui nous toisent du regard: corruption, restriction des libertés, volonté de puissance, favoritisme, gabegie, népotisme…. En effet, lorsqu’on lit et relit ce roman, on s’aperçoit que bon nombre de cadres intellectuels désirent se lier d’amour avec des femmes moins instruites parce qu’ils les trouvent non seulement belles, mais aussi bien éduquées et pleines de bonté. Par ailleurs, elles sont encore nombreuses ces personnes qui ont recours aux feuilles et plantes traditionnelles pour leur guérison. Ce retour aux sources s’explique par le simple fait d’une prise de conscience des valeurs culturelles et traditionnelles. Sur un autre plan, si l’ouvrage est primé et étudié en classe de terminale, c’est justement parce qu’il est bien écrit et qu’il répond à un besoin pressant : faire prendre conscience à l’homme noir que son destin n’est pas dans la désertion. N’oublions pas que le premier titre proposé par Jean Pliya pour son livre s’intitule ainsi : « Le Déserteur« . Le salut de notre race dépend de notre investissement et de notre abnégation à nous dépenser et travailler d’arrache-pied pour qu’advienne le renouveau tant espéré. Partout où nous sommes, nous pouvons travailler à l’essor de notre continent. Trabi, dans le Prékéto profond où il s’était réfugié, a donné sens à sa vie en mettant toutes ses ressources au service de ces pauvres populations. Et le résultat n’a que témoigné en faveur des investissements faits.

Ce qui est aussi frappant dans ce livre, c’est l’échec de Trabi à conquérir dès le premier essai le cœur de Myriam. C’est la preuve que les vertus sont encore cultivées et respectées dans les villages. Comment une paysanne peut-elle repousser les avances d’un Trabi que connaissaient bien Dougan et surtout Caroline, sa compagne « de lutte et de lit« ?

Pour finir, Jean Pliya, dans ce livre, redéfinit la politique à sa manière, mais en la renvoyant à ce qu’elle devrait être normalement: service. Remarquons le jeu de mots qu’il y a dans le nom du Président: Fioga. C’est un nom Mina qui se décompose ainsi: « Fio »= « roi; « ga »=  «  chef ». Donc le président, c’est le roi chef, le chef suprême, le tout puissant. Mais dans la métaphore du tresseur de corde, l’auteur inscrit le pouvoir dans l’humilité et la disponibilité à servir les autres. Le chef, c’est « le puisatier qui perce le chemin vers l’eau »[1]. Le responsable, « tel le tresseur de corde, donne les moyens de calmer la faim et la soif, de chanter le soir, autour d’un feu. (…) Si par malheur, il la garde jalousement pour sa seule famille o pour s’enrichir, il devient l’ennemi de la paix et de la vie. »[2] La leçon est claire et limpide comme l’eau de la source : « Un bon chef, un peuple uni, aidés par Dieu, sont comme une tresse à trois brins qui ne rompt pas facilement.« . Toute autorité vient de Dieu. Et nul n’est plus grand que pays. Le chef doit se savoir investi par Dieu, une force suprême, et rester loin des tentations d’autodéification.

  

CONCLUSION

En somme, à travers le roman Les tresseurs de corde, l’histoire commence à Dougan, passant par Prékéto B et finit à Dougan, avec un Trabi au cœur des problèmes et des solutions. Ce roman, tissé autour d’une intrigue politique, présente également des sujets d’ordre cultuel et social. L’amour y occupe une grande place quand on sait que sans lui, le monde est voué à l’échec et sombrera dans le chaos. Le lecteur peut se retrouver facilement dans cette ouvre à travers les thèmes abordés. On ne saurait conclure cette étude sans saluer la dextérité de l’auteur qui, à côté des actions héroïques de Trabi, braque aussi le projecteur sur la sagesse de Ba Boussa et de Ya Baké vue dans cette œuvre comme une femme équilibrée, entièrement enracinée dans sa culture et ouverte au développement : « Les femmes doivent oser quand les hommes ne se décident pas. »

Kouassi Claude OBOE

[1] Jean PLIYA, Les tresseurs de corde, Paris, 1987, Hatier, p.233.

[2] Jean PLIYA, Les tresseurs de corde, Paris, 1987, Hatier, p.233