Présentation de l’auteur

Guillaume Oyono-MBIA est en 1939 à Mvoutessi dans la région du Sud. A l’âge de 5 ans il commence ses études en Bulu à Mvoutessi avant d’entrer à l’école de la Mission Protestante de Mettet en 1947, où il obtient le CEPE en 1953. En 1958, il commence ses études secondaires au collège Evangélique de Libamba . En 1961, il arrête ses études secondaires. Cette année-là, il remporte le concours Inter-états africains organisé conjointement par les compagnies aériennes Air-France et U.T.A., bénéficiant ainsi d’un séjour de 15 jours en France. Oyono Mbia entame ensuite une carrière d’enseignement au collège de Mettet, puis au collège Evangélique de Libamba. En septembre 1964, il se rend en Grande-Bretagne pour préparer un diplôme de traducteur interprète grâce à une bourse du British Council. Il obtient également le GCE Advanced Level, ce qui lui permet de s’inscrire à l’Université de Keele en octobre 1965, d’où il obtient le Bachelor of Arts Degree en 1969. De retour au Cameroun, il est recruté comme Assistant au Département d’anglais de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Yaoundé. En 1972, il est nommé Chef de Service aux Affaires culturelles au Ministère de l’Information et de la Culture (1972-1975). Guillaume Oyono Mbia est sans doute l’un des plus grands dramaturges camerounais depuis l’indépendance. Parmi ses œuvres impressionnantes, on compte  » Trois prétendants…. Un mari  » (1964),  » Jusqu’à nouvel avis  » (1970), «  Notre fille ne se mariera pas  » (1971),  » Chroniques de Mvoutessi 1  » (1971),  » Chroniques de Mvoutessi 2  » (1971),  » Chroniques de Mvoutessi 3  » (1972), et  » Le train spécial de son Excellence  » (1979). En janvier 1967, il remporte le premier prix du concours théâtral africain organisé par la BBC Africain Service avec Until Further Notice, une pièce radiophonique écrite en anglais. Puis en 1969, il remporte le 2e prix du concours théâtral interafricain, organisé par l’Office de Radiodiffusion-télévision française, avec sa pièce radiophonique,  » Notre fille ne se mariera pas « . Et en janvier 1970, il remporte le prix El Hadji Ahmadou Ahidjo pour la pièce  » Trois prétendants… Un mari  » qui fait ici l’objet de notre étude.

Structure de l’œuvre

Cette pièce théâtrale de 117 pages, structurée en cinq actes dépourvus de scènes, est une satire à travers laquelle Guillaume Oyono-MBIA dénonce les dessous de la dot, les réalités relatives au mariage dans la société africaine traditionnelle. L’acte I (page 13 à page 27) nous fait la présentation de la famille de Juliette. Dans l’acte II, il s’agit d’un grand fonctionnaire du nom de M’bia qui vient demander la main de Juliette, et du plan mis en place pour voler l’argent (page 29 a page 56). Dans l’acte III (page 57 a page79) il s’agit d’une causerie entre femmes à la cuisine (Makrita, Bella et Juliette), et de la venue du grand sorcier Sanga-Titi pour retrouver le voleur. Dans l’acte IV, les villageois, croyant se sortir d’affaire grâce à Sanga-Titi, se verront taxés pour des services qui ne sont pas encore rendus. Dans l’acte V, Okô finit par épouser Juliette. 

Résumé

La scène se déroule à Mvoutessi, un village du Sud du Cameroun. « Moi envoyer ma fille au collège ? Jamais » Page 98. Dès le lever du rideau, de vives discussions sur l’éducation des filles se font entendre. Il s’agit d’un père de famille, Atangana, qui a envoyé sa fille Juliette, dont il est justement question, au collège. La famille vient de recevoir une somme de 100.000 francs de la part de Ndi, un jeune paysan désireux d’épouser Juliette, la jeune collégienne. Au même moment, Mbia, le grand fonctionnaire annonce sa visite dans la maison de la jeune fille qui s’apprête également à rentrer de Libamba pour les vacances.

À son arrivée, Juliette est mise au courant de la situation, sa réaction est vive et sans équivoque : pas question pour elle d’être vendue comme une chèvre « mais je suis un être humain ! J’ai de la valeur ! » page 24. Et puisqu’ « un fonctionnaire ne va pas rendre visite à une femme sans se munir d’une forte somme » page 17, le fonctionnaire Mbia verse la somme de 200.000 francs à titre de dot, et fait une liste de ce que la famille réclame en plus, puis il se retire. À l’annonce de ce nouveau mariage contracté sans son consentement, Juliette se révolte. Elle profite de l’occasion pour annoncer ses fiançailles avec Okô, un jeune lycéen. La famille ne veut « pas d’écolier » car ce dernier est incapable de résoudre leurs problèmes : « tu n’essaierais pas, par hasard, d’imiter ces filles d’aujourd’hui qui vont épouser des jeunes gens pauvres comme des mouches, sans voiture, sans argent, sans bureaux ni cacaoyères, et qui laissent leur famille aussi pauvre qu’auparavant ? » p 21. Devant cette situation, les jeunes Kouma, Okô le fiancé non désiré, et Juliette décident de « jouer un bon tour » aux villageois qui les mènent tous à un dénouement heureux. Les 300 000 francs des deux prétendants, seront dérobés par Juliette puis remis à Okô qui se présentera à la famille à un moment où ces derniers avaient perdu tout espoir de rembourser les deux prétendants avec qui les relations s’étaient entre temps dégradées. Il se présente avec la somme souhaitée et est accepté par la famille sans aucun soupçon ni doute . Le mariage entre Juliette et Okô est célébré.

Les personnages

Juliette : Lycéenne à Libamb (Didamba). Elle est la jeune fille la plus admirée du village. Elle est au centre de la question du mariage. Les désirs de Ndi et de Mbia sont portés vers sa personne. Mais elle a déjà Oko pour fiancé. Elle est l’héroïne de la pièce

Abessolo : Grand-père de Juliette. Cupide, avide d’honneur, il ne juge les gens que par l’air important qu’ils peuvent avoir. Ses préférences vont facilement d’un prétendant à un autre suivant que les enchères augmentent. Il est contre la scolarisation des filles

Bella : Grand-mère de Juliette, elle veut juste que Juliette épouse un <<vrai blanc>> (désignant une personne évoluée) afin qu’elle apporte toujours à sa famille de la nourriture, des provisions, des boissons et des biens

Mbarga : Chef du village de Mvoutessi, il est celui qui préside la palabre publique. Doté d’une nature très flatteuse, il ne se gêne pas pour trouver des solutions fiables aux différents problèmes auxquels sont confrontés les habitants de son village. Il partage les mêmes idéaux qu’Abessôlô, le grand-père de Juliette.

Atangana : Père de Juliette, fier d’avoir scolarisé sa fille Juliette au détriment de Oyono car il était sûr qu’un jour cela lui rapporterait.

Makrita: Mère de Juliette. Elle voulait également que Juliette épouse un grand homme de la ville pour enrichir sa famille et permettre à son frère de doter une fille.

Ondua : Oncle de Juliette, ivrogne

Ndi : Premier prétendant de Juliette, il a versé 100mil francs comme dote afin d’épouser Juliette, mais il sera plus tard remboursé.

Oko : Fiancé de Juliette, il est un jeune collégien rejeté par la famille de Juliette. Néanmoins, il aura la main de la jeune fille grâce au  » bon tour  » joué par le trio Juliette, Okô et Kouma.

Mbia : Deuxième prétendant de Juliette, il est un riche fonctionnaire de Sangmelima. Il est accepté par la famille de Juliette pour sa richesse, ses boissons fortes et ses promesses. Il a versé 200mil francs de dote et promet beaucoup de cadeaux à la famille.

Tchetgen : Il est un commerçant bamiléké de passage à Mvoutessi. Il est le troisième prétendant de Juliette. Il devra donc verser les trois cents mille francs des deux premiers prétendants mais, il trouve que cette somme est trop pour doter une femme.

Sanga-Titi : Il est le charlatan que Mbarga a fait venir pour aider Atangana à retrouver l’argent volé. Mais constaté qu’il est un escroc, il est chassé du village.

Les thèmes

  • La dot

« En l’envoyant au collège, j’avais bien raison de dire a tout le monde : un beau jour, cela me rapportera » Page 15. La dot est un bien que la famille du futur époux apporte à celle de la future épouse. Cet acte symbolise les fiançailles et apparait comme la preuve de la capacité de l’homme à prendre en charge une famille. Elle scelle l’alliance entre les deux familles et motive l’homme au travail car celui qui veut une femme doit chercher l’argent de dot : « le mariage coûte de nos jours » page 56. Atagana a envoyé sa fille a l’école dans l’espoir d’accroitre la valeur marchande de cette dernière. Sa conception de la dot l’amènera donc à vouloir offrir sa fille au plus offrant. La dot devient donc comme un achat de la femme or autrefois elle ne se limitait qu’a quelques cadeaux symboliques etc. Ce nouveau système de dot qui devrait pousser les jeunes au travail et à la concurrence s’est malheureusement mué, de par la cupidité qui y a occupé une place d’honneur, en un frein au mariage.

  • La place de la femme en Afrique

 Autrefois en Afrique noire, la femme n’avait pas droit à la parole, à l’éducation scolaire. Elle n’était pas impliquée dans les prises de décisions.La parole est monopolisée par les hommes qui décident de tout. Les femmes ne sont informées du déroulement de la dot qu’après le départ des prétendants. Selon les hommes, les femmes n’ont pas droit à la parole et  doivent se soumettre aux décisions prises par les hommes. Aussi faut-il souligner qu’à propos du mariage, les femmes n’ont pas le libre choix. C’est la famille qui décide. Le grand-père Abessolo représente une génération en perte de vitesse, dépassée par le rythme  »vertigeux » auquel les choses évoluent. « De mon temps, quand j’étais Abessolo, et… et que ma femme Bella était encore femme, vous croyez que j’aurais toléré des histoires pareilles ? Mais vous, vous permettez à vos femmes de porter des vêtements, vous leur permettez de manger toutes sortes d’animaux tabous ! Vous allez même jusqu’à les consulter sur ceci ou cela ». Mais la génération des enfants de cette pièce, représentée par la jeune collégienne, Juliette, est nettement révoltée contre les contraintes des traditions et les empiètements de celle-ci sur la vie des jeunes. « Les femmes n’en font jamais qu’à leur tête ! Un homme ne devrait jamais perdre son temps à essayer de les raisonner. » p13

  • L’escroquerie

 L’escroquerie est l’action de tirer quelque chose de quelqu’un par fourberie par dol et manœuvres frauduleuses. Elle se manifeste dans la pièce dès la venue de Sanga-Titi dans le village afin de retrouver l’argent volé. Ce dernier profite de naïveté des villageois pour les dépouiller de leurs biens. Il avance comme argument que « Les fantômes ne parlent jamais avant que la pluie ne soit tombée » et donc qu’il devrait être rémunéré avant que l’argent soit retrouvé. L’auteur montre de ce fait qu’il ne faut donc pas se fier totalement aux charlatans car parmi eux il existe des escrocs sans scrupules qui profitent du désarroi de leurs semblables pour s’enrichir.

Coup de cœur

Je trouve que ce livre est instructif. Il nous enseigne sur les réalités de L’Afrique, il nous montre comment se passe le mariage en Afrique traditionnelle. Tout est présenté avec habileté et humour, de sorte que les insuffisances et les contradictions de l’Afrique d’aujourd’hui sont soulignées sans que cela  paraisse grotesque ou bizarre. En outre, la pièce est structurée en cinq pièces dépourvues de scènes. On peut également noter, dans l’étude de cette œuvre, la difficulté de traduction des chansons et des expressions en langue locale incluses dans cette pièce.

Conclusion

Au terme de cette étude, il ressort que la pièce Trois prétendants… Un mari n’est pas une pièce « contre la dot » mais dénonce plutôt un système « moderniste » faisant fi de la volonté de la fille à se marier et de la dot comme un achat de la fille. Elle se place ainsi dans un contexte socioculturel. On réalise que l’itinéraire adopté par l’auteur dans la pièce montre l’évolution sociale et culturelle de l’Afrique. Dans le cas présent, il s’agit de la situation sociale de la femme qui, jusque-là, reste encore, à bien des endroits, soumise à des pratiques qui ne sont plus de mise dans le monde moderne. Guillaume OYONO MBIA représente cette situation notamment dans le domaine du mariage et de la dot à l’africaine.

Marie Christelle AKOMEDI