Je n’ai jamais vu Adélaïde Fassinou aussi fascinante et remontée comme c’est le cas  dans « Un kilo de piments chez ZAINAB’S » paru aux Editions CNPMS, Porto-Novo, 2018. Lisons ensemble : « Quand une mère a mal à cause de son enfant, quand elle attrape ses seins et récite ses malheurs, les misères qu’il lui crée, les souffrances qui lui font palpiter le cœur, quand elle hurle sa douleur et parle de tout ceci aux personnes qui l’entourent, ce sont des malédictions qu’elle envoie à sa progéniture. » (P 64) En déposant ce livre, je me suis demandé si l’auteure n’a pas comprimé dans ce recueil de neuf nouvelles toute sa rage et son indignation devant les divers faits de société qui l’horripilent. Elle donne le ton déjà dans le titre et l’image qui a servi sur la couverture à matérialiser la lettre « I » du mot « piment »: un piment bien rouge en guise de « I ». Et nul n’ignore ce que fait le piment rouge dans la bouche, les yeux, les narines et le long du tube digestif. Voilà le symbole que prend Adélaïde Fassinou pour « vomir » sa colère et ses frustrations dans un monde où l’injustice et le mépris de l’autre ont pion sur rue et où la situation des femmes est encore loin des paradis dorés imaginés par Simone de Beauvoir et les autres féministes. Ainsi, que ce soit à travers « Maman Honon« , la mère des jumeaux (Cf. 1ère nouvelle), ou Amy dans la deuxième nouvelle intitulée, retenez bien le ton rageur du titre « Pour cinq indignes mille francs« , on sent gronder le courroux de l’auteure qui, entre indignation et responsabilité, ose regarder la réalité avec un regard transfiguré: « C’est très difficile d’être une femme (…) Mais moi je me bats, ma fille, je lutte (…) Je ne veux être l’otage d’aucun homme » (P13) Ces propos, piquants tel le piment rouge dans les yeux, plaident aussi pour la sensibilisation des femmes pour qu’elles aient un métier avant de « se jeter » dans les bras du premier venu. (P.27). Si la situation des femmes n’est pas une fatalité, thème presque partout présent dans le livre, l’auteure pense par ailleurs que celle des jeunes chômeurs ne devrait non plus en être une. « Le veilleur de nuit devenu banquier » lui a servi de prétexte pour situer les responsabilités et remettre sur le tapis l’épineuse question de l’emploi des jeunes : « Le chômage des jeunes était devenu le costume prêt-à-porter que tous ceux qui avaient achevé leurs études revêtaient » (P30). Mais une question demeure, au sujet de la fatalité : « L’amour est-il le fruit d’une simple rencontre entre deux personnes ou un jeu du destin où la fatalité se réserve l’estocade? ». De toute façon, réaliser ses rêves fait partie des aspirations les plus profondes des hommes et des femmes (surtout). Et ce n’est pas Fifine qui penserait le contraire, elle qui, dans « Le rêve réalisé« , a rencontré l’homme parfait, celui dont elle a rêvé toute sa vie et tel qu’elle l’a rêvé: beau, riche, intelligent, un mari « haute sécurité » (P.37). Mais suffit-il d’avoir rencontré l’homme de ses rêves pour mener sur terre une vie paradisiaque? « Juste une cuillère de trop » n’est-elle déjà suffisante pour détruire toute une vie?  La rage de l’auteure va aussi à l’encontre de ses consœurs qu’elle invite à tenir compte de ces propos :  »Si ma femme ne sait pas faire la cuisine, je la vire, vite fait, bien fait. (…) les jeunes filles d’aujourd’hui se préoccupent plus de leur toilette et de leurs études, que de passer du temps derrière un fourneau ». (P48). Une société vivable, c’est d’abord des personnes bien éduquées, des familles bien structurées. C’est pourquoi dans la nouvelle au titre oscillant entre interrogation et mépris: « C’est bien toi ma mère?« , l’auteur met en scène une mère et sa fille. Yèyinou reconnaîtra-t-elle à sa mère, Ananou, toutes les peines qu’elle a endurées pour lui assurer un avenir radieux? Et comment peut-on avoir un avenir radieux quand dans son propre pays, l’on se sent en terre étrangère. « L’indigène au pays de Mandela » à travers la figure de Mouba et des autres « moitiés de vie » décrites par l’auteure, c’est toutes ces femmes qui ont commis le péché mortel d’être nées femmes, c’est toutes ces âmes noires livrées au vol et à la prostitution. Le diagnostic est amer dans la nouvelle « Qui a tué Madame de la Boutique? » Nul ne saurait connaître la réponse à la question que porte le titre de cette nouvelle sans l’avoir lue. Et pour savoir aussi ce qu’a causé véritablement « Un kilo de piments chez ZAINAB’S« , une seule attitude s’impose: prendre le recueil et le parcourir avec passion et patience, car ici le ton est assez pimenté et l’interpellation vive. Laissez-vous emporter par les flots impétueux de la sainte colère de Adélaïde Fassinou et aussi par son humour discrète mais efficace qui donne à l’œuvre son équilibre et son charme.

 

Destin Mahulolo