« Il n’y a jamais eu échec de l’apprenant, mais celui de tout le système éducatif. L’apprenant est le produit des actions de toutes les parties prenantes de ce système, il est même la victime collatérale de l’échec des autres acteurs. » Yao Amos SANI

BL : Bonjour Monsieur Yao Amos SANI. Merci pour avoir accepté nous accorder cette interview. Veuillez-vous présenter à nos lecteurs.

YAS : Je suis béninois résidant au Canada. En effet, je suis membre de l’ordre des Comptables Professionnels Agréés (CPA) du Canada et détenteur d’une Maîtrise en administration des affaires (M.B.A.) de l’Université d’Ottawa, d’un CAPES (ENS-Bénin), d’un DES (Master) en Gestion des Transports (Université Libre de Bruxelles). J’ai donc étudié et travaillé dans trois continents. Très impliqué dans mes diverses communautés, j’ai travaillé dans divers secteurs. Disposant près de plusieurs années d’expérience, j’ai exercé diverses professions, comme Consultant en Gestion, Gestionnaire de Projets, Consultant Financier, Enseignant, Formateur, Directeur administratif et Financier, Directeur des Services corporatifs et du Développement organisationnel, Analyste et Animateur de radio. Homme de conviction, j’ai à mon actif plusieurs livres et publications

BL : En lisant votre biographie, on en vient à se demander comment vous arrivez à gérer toutes vos nombreuses occupations ?

YAS : Je ne me rends pas compte que j’ai plusieurs occupations, sauf quand on m’en parle comme vous le faites. La clé, c’est la maîtrise de la gestion de mon temps. En gestion, on dit souvent qu’il faut donner ou toujours confier à celui qui n’a pas le temps. Ceci, du fait qu’il sait s’organiser et gérer son temps. Bref, c’est la détermination des objectifs poursuivis qui détermine tout. Une fois qu’on a identifié ses objectifs, on cherche ensuite les moyens de leur atteinte. Le temps est une ressource importante dans ce processus.

BL : Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de l’ouvrage « Bénin Investir dans l’avenir l’impératif de l’éducation innovante » ?

YAS : Un écrivain tout comme un artiste est le porte-parole de la grande masse. Ma grande motivation est de participer aux débats en vue la construction du Bénin du 21e siècle, à travers la refonte de son système éducatif.

BL : Que doit-on comprendre par « éducation innovante » ?

YAS : Une « éducation innovante », selon mon entendement c’est celle qui forme à la liberté, la créativité et l’innovation, une éducation adaptée aux exigences du 21e siècle, un monde en perpétuels mouvements et changements. C’est une éducation qui forme les jeunes d’aujourd’hui pour un monde futur, pour des emplois qui n’existent pas encore. Bref, une éducation flexible qui forme des citoyens, travailleurs et leaders de demain, un demain incertain.

BL : Quelles sont vos attentes et votre souhait pour cet ouvrage ?

YAS : Rire !!! Qu’il soit accueilli et que son contenu soit exploré et appliqué. Et je vous remercie pour cette occasion que vous me donnez d’en parler. Il faut d’abord que les acteurs de nos politiques publiques soient informés de son existence. Et cela passe par sa promotion.

BL : Sans doute, l’appel à la refonte du système éducatif béninois est à saluer, mais pensez-vous que cette refonte doit être radicale ?

YAS : Je me méfie très souvent de l’adjectif « radical », il fait braquer beaucoup et surtout en ces temps d’extrémismes de tout genre. Mais n’a-t-on pas besoin d’un changement radical si on se rend compte qu’on est dans la direction opposée de notre destination ? Ce n’est pas la refonte qui est radicale, mais ce sont les exigences qui motivent cette refonte qui sont radicales. Soit, on s’ajuste et on fera partie du mouvement, soit on choisit le statu quo et on restera en marge de la révolution, du monde du 21e siècle.

BL : Même si le système éducatif laisse à désirer, cela exempte-t-il l’apprenant de toute responsabilité en ce qui concerne son échec ? De même, cela peut-il justifier l’immigration des jeunes vers l’Occident prétendant généralement partir pour étudier ?

YAS : Je vais vous surprendre et même vous choquer. Il n’y a jamais eu échec de l’apprenant, mais celui de tout le système éducatif. L’apprenant est le produit des actions de toutes les parties prenantes de ce système, il est même la victime collatérale de l’échec des autres acteurs. Prenons un exemple banal et un peu caricatural : quand vous ratez la préparation de votre gâteau, en quoi ledit est-il responsable de sa mauvaise préparation ? Vous avez suivi avec moi, la triste et honteuse histoire des enseignants « reversés » de 2008. Des victimes qui ont fait d’autres victimes, un système qui a été, pendant 11 ans, incapable de renforcer les capacités de ses produits, puis finalement les remplace par ceux que ces gens qualifiés de faibles et de mauvais ont formés. En vrai gestionnaire et leader, vous vous demandez, quelle est la question qui a été posée et dont la réponse est le renvoi ou la stigmatisation de ces compatriotes ? Que recherche-t-on en réalité ? C’est un autre débat sur lequel j’aurais aimé faire avec les décideurs béninois.

Pour le deuxième volet de votre question, qui sont les jeunes qui vont étudier à l’extérieur, principalement en Occident ? Il s’agit, à 95%, des jeunes issus de familles riches, des enfants de ceux qui sont sensés reformer le système éducatif béninois, voir africain, mais qui refusent le faire.

BL : Que diriez-vous si l’on vous opposait la recherche effrénée du profit par le secteur privé quand vous préconisez une collaboration entre toutes les parties prenantes débouchant sur une gouvernance participative où l’État (le public) n’a plus la mainmise sur tous les processus et stratégies éducationnels ?

YAS : L’école forme les jeunes pour qui ? Ne parle-t-on pas de l’inadéquation de la formation et du marché du travail ? L’État à lui seul est-il capable d’absorber tous les diplômés ? La politique éducative est une prérogative de l’État, mais son élaboration devrait, sinon doit répondre aux besoins de la communauté en générale, et le secteur privé fait partie de la communauté d’une Nation.

BL : La suggestion de la collaboration des parties prenantes est très ingénieuse, mais comment entrevoyez-vous une telle collaboration ?

YAS : Votre question concerne le 5echapitre, qui traite de la question des parties prenantes du système éducatif béninois. Une cartographie de ces parties prenantes avec le niveau de leurs pouvoirs est faite. L’école doit sortir de son isolement, et aller chercher les ressources nécessaires pour la réussite de sa mission au sein de la communauté. Ceci parce qu’elle forme les membres de la communauté et pour la communauté. Elle doit écouter cette communauté et l’impliquer plus dans l’accomplissement de sa mission. C’est ce que j’appelle la coopération créative. Il s’agit d’une collaboration gagnante, synergique. L’objectif ultime est le Bénin du futur, alors les objectifs des parties prenantes doivent s’y aligner. Cela peut paraître utopique, mais c’est ce qui se fait dans les pays ayant les systèmes éducatifs les plus performants.

BL : Les 10 chapitres de votre ouvrage présentent les défis de notre système éducatif. Mais ce dernier n’a-t-il pas, à l’état actuel, des atouts qu’on pourrait exploiter ? Lesquels ?

YAS : Absolument, puisque vous et moi sommes les produits de ce système éducatif, même s’il a besoin de s’ajuster aux exigences de son époque. En gestion, on parle de processus d’amélioration continue. L’une des qualités de l’éducation formelle au Bénin est l’exigence et le vaste champ d’apprentissage ou le domaine couvert, en un mot la généralité. Ce qui permet même à un Géographe de pouvoir devenir Gestionnaire, Comptable, Ingénieur lorsqu’il se retrouve dans des systèmes plus ouverts, plus flexibles et plus progressistes.

BL : Dans votre 3è ouvrage intitulé : « Afrique : le défi du bien-être en Éducation » paru en novembre 2018 chez DhArt Editions, vous avez développé l’importance du bien être en Éducation en montrant qu’on ne peut réaliser le bien-être des apprenants sans celui des enseignants. Qu’implique ce rapport ?

YAS : Nous sommes en présence d’un système, et le handicap de l’une de ses composantes a des répercussions sur les autres parties, puis hypothèque son fonctionnement normal. Quel est la qualité du rendement d’un enseignant qui a des problèmes de santé mentale ? De celui dont un membre de sa famille est malade et dont il n’a pas les moyens pour s’en occuper ? D’un autre qui sombre dans l’alcoolisme du fait d’un manque de suivi ? Ou encore d’un autre qu’on a muté de façon punitive et arbitraire en pleine année scolaire qui se retrouve seul à des centaines de kilomètres de sa famille ?

BL : Vous êtes également mentor et en tant que tel, vous avez produit un ouvrage qui est un ensemble écrit des enseignements que vous donnez généralement à vos « apprenants ». Pourquoi l’avoir titré : « le leadership à l’ère de l’information » ? Quel rapport doit-on faire entre leadership et information ?

YAS : Dans notre monde soumis à de constants et rapides changements, un monde dominé par le désir d’être le premier à avoir la primeur d’une nouvelle, ou d’avoir l’information fraîche, un monde où des maîtres abondent de toute part, une société dominée par l’obsolescence de tout, se retrouver devient difficile, se faire son opinion et tirer son épingle du jeu devient un jeu d’équilibrisme, détecter le vrai du faux devient un exercice périlleux et un enjeu de taille. Au 21e siècle l’information est devenue une arme puissante, une arme que doit posséder et savoir manier un leader, le vrai leader. Votre leadership ne tiendra pas si vous ne maîtriser pas cette arme. Donc le titre est une invitation et une interpellation faite aux leaders, aux aspirants et à leurs suiveurs.

BL : Comment peut-on résoudre le crucial problème du défaut d’innovation au Bénin ?

YAS : En rendant l’école plus innovante. SI l’école n’est pas innovante, comment pourra-t-elle insuffler l’innovation aux apprenants ? Si elle n’est pas créative, comment pourra-t-elle former à la créativité ? Et c’est l’objet de mes livres. L’innovation ne concerne pas seulement le contenu des programmes, mais tout le système.

BL : On note dans votre ouvrage la dénonciation d’une éducation discriminatoire et onéreuse donnée par les confessions religieuses au Bénin, la joie en ce qui concerne la gratuité de plus en plus effective de l’éducation au Bénin et le militantisme pour une qualité de l’éducation. Mais, à cet effet, une éducation de qualité n’a-t-elle pas un coût ?

YAS : L’épineuse question des écoles confessionnelles est traitée dans le 6e chapitre. J’ai été direct et avec raison. Avec la pratique au Bénin actuellement, devons-nous parler d’Éducations confessionnelles ou plutôt d’Éducations de discrimination ? Pourquoi ce sont les enfants de ceux qui refusent de reformer l’éducation publique qui se retrouvent dans ces établissements confessionnels, recevant des enseignements de qualité ? Les confessions (Église catholique, les Églises protestantes et la confession musulmane) qui sont censées combattre l’inégalité, l’injustice sociale ne se retrouvent-elles pas, par manque de réflexion critique, à contribuer plutôt à l’aggravation de ces fléaux ? Chose paradoxale, c’est que le Sénégal et le Tchad, deux pays musulmans financent l’enseignement catholique. Au Canada, l’un des 4 meilleurs élèves de l’OCDE, dans les provinces anglophones, l’éducation confessionnelle et celle publique sont gratuites, de la maternelle au secondaire. C’est de cela qu’il s’agit. Les enfants ne choisissent pas un système à cause de la qualité de l’éducation, mais juste en fonction de la confession religieuse. Mais ce qui se passe au Bénin est déplorable, les églises sont prises au piège. C’est aux chrétiens de crier au scandale, car au finish, ce sont ceux qui ne sont pas croyants, mais qui du fait de leur classe sociale arrivent à inscrire leurs enfants dans les écoles confessionnelles au détriment des fidèles, qui penseront qu’avec l’argent ils peuvent tout, et que les églises ne défendent pas les faibles. Alors, les confessions religieuses doivent pousser l’État à prendre ses responsabilités comme dans les autres pays.

BL : D’autres projets en cours

YAS : Oui, des manuscrits sont en cours, mais il faut laisser un peu du temps pour permettre au public de digérer les quatre ouvrages qui sont sur le marché.

BL : Votre mot de fin

YAS : Je vous remercie pour le travail de qualité et de promotion des artistes et auteurs que vous réalisez. J’ai espoir que demain sera meilleur à aujourd’hui et que la révolution éducative finira par s’imposer de gré ou de force. Alors que vive le Bénin du futur.