Après avoir lu « Amour de féticheuse« , je me suis demandé : « En quoi l’Afrique a-t-elle offensé Félix COUCHORO pour qu’une fois encore, il la pourfende en la diabolisant insidieusement comme il en l’avait déjà fait dans « L’esclave« ? »   Un autre fait qui m’a fait un peu étonné est ceci : « Pourquoi cette oeuvre n’a-t-elle pas été officiellement éditée de son vivant? Est-ce par peur de ceux qui le classent parmi les écrivains mimétistes ayant mis leur plume au service de la gloire du colon? » De toute évidence,  l’œuvre a été  éditée, à proprement parler,  à titre posthume, chez les Editions Stars, à Cotonou en 2015, soit plus de 80 ans après son écriture. Le lecteur assiste à un affrontement costaud entre deux mondes : l’Afrique et l’Occident. Déjà la première de couverture en donne le ton. Elle est peinte en blanc-noir. Ce qui fait penser donc à une lutte entre la lumière et l’obscurité. L’homme blanc, représentant la lumière, et l’homme noir, l’obscurité, ainsi que précédemment insinué par l’auteur dans « L’Esclave« , son premier roman. Il y a chez cet auteur cette tension manichéenne qui se solde chaque fois par la suprématie de la mission évangélisatrice et civilisatrice occidentale sur les pratiques culturelles et cultuelles africaines. Mais avant tout, il faut dire que « Amour de féticheuse » est une œuvre palpitante, faite de rebondissements et de suspenses.

 

 

Ce roman nous plonge dans une histoire d’amour entre un mulâtre et une villageoise. Un amour interdit, dirions-nous. Médecin revenu de Dakar pour la ville de Porto-Novo, Pierre Fournier fait la connaissance de Jeanne Blanc, une mulâtresse, médecin aussi et qui faisait ses premières armes à Sakété, une banlieue de Porto-Novo. Mais sa relation avec Jeanne ne sera qu’une simple amourette car Jeanne le trompera avec Edouard Acapo, un confrère titulaire au poste médical de Sakété. Affecté à Accodéha, « Gros village dans la verdure au bord du lac Ahémé, à 8 kilomètres de Comè » p.30, Pierre noua un lien fort amical avec Anassi, une belle jeune fille Pédah. Cette dernière l’aimait d’un amour sincère et voulait être sienne. Mais Pierre ne l’aimait que comme une simple femme, en vérité, il n’avait pour elle que de la sympathie. Très tôt, cette relation amicale suscita de la hargne dans le rang des villageois. Car, nombreux étaient ceux qui se la disputaient. Mais, cette fille les décourageait tous, estimant qu’elle ne pouvait sortir avec un villageois, non pas parce qu’elle se vantait ou jugeait inférieurs à elle ses compatriotes, mais simplement parce qu’elle avait grandi à Lomé, hors de son village. Mais parmi ses myriades de prétendants, elle trouvait peu agréables le physique et le comportement de Zingan à qui elle donna une once d’espoir. Zingan était le fils de Kakpo Jimetri, le grand féticheur du village d’Accodéha. Mais ce brin d’espoir lui sera enlevé quand, brûlant d’impatience pour une réponse favorable, il exigea avec force de la fille une réponse qui malheureusement lui sera négative. Un coup de massue ? Alors, il voyait en ce docteur de Pierre Fournier, une menace, un ennemi à abattre. En complicité avec son père Jimetri et de la marâtre de Anassi, qui est aussi féticheuse, ils réussirent à faire de la jeune fille une adepte du fétiche Sôvi. Le mariage aura-t-il lieu? Quel sera l’issue de l’amour de Pierre pour la féticheuse? De toute évidence, comme c’est la coutume chez Couchoro, dans la présente œuvre aussi, l’adultère s’octroie un droit de cité. Kakpo Jimetri eut quelques relations intimes avec Agboéssi, la marâtre de Anassi. Adultère et assassinat sont les deux faces d’une même pièce. Pour préserver sa réputation et celle des vodou, Jimetri envoya Tohouégnon dans l’autre monde. Anassi étant maintenant sous ses griffes au couvent, Zingan pouvait assouvir ses instincts de mâle. De force, il obtint une nuit avec Anassi et l’engrossa. Viol au couvent. Scandale? Non. Pas vraiment. Pente glissante vers l’homicide. Un crime en appelle toujours un autre. Zingan opta pour l’avortement auquel s’opposa son fils. Une lutte âpre entre père et fils ? Pierre, pris de compassion pour la fille et son bébé, l’aida à s’évader du couvent pour chez une connaissance à Sê. Mais attention, « à malin, malin et demi ». « Être fou, c’est mourir, c’est disparaître moralement, spirituellement » p.225. Et comme toujours, les bonnes personnes dans les œuvres de Félix COUCHORO portent des noms français, comme Gabriel dans « L’Esclave« . Ici c’est Pierre qui joue le rôle du grand réconciliateur.

 

Au demeurant, « Amour de féticheuse« , est une histoire racontée dans un style fort simple et classique : « Un roman, tout en restant œuvre d’imagination donne de la vie une image réelle », page 5. « Amour de féticheuse« , un procès contre le fétichisme ou un appel à une prise de conscience ? Seul prendre le livre et le lire vous permettra de trouver la réponse à cette question.

 

Ricardo AKPO