«On ne se méfie jamais assez des femmes », écrit Théo ANANISSOH à la page 11 de son roman «Un reptile par habitant » (Gallimard, Coll. Continents noirs, 106 p., Paris, 2007). La femme aime le danger, dit- on, et personne au monde ne peut imaginer ni maîtriser tout ce qui se cache sous la jupe d’une femme. Dans ce roman, l’intrigue est tissée autour d’un cadavre mais pas n’importe lequel: un cadavre VIP, le cadavre d’un cerbère du régime. Mais où ce dernier a-t-il trouvé la mort? Chez une femme, une péripatéticienne qui exerce autrement son métier. Tout commence par un coup de fil d’Edith à Narcisse, alors que ce dernier savourait les merveilles du corps de Joséphine. Inutile de dire que Narcisse est un coureur de jupons. De l’autre bout du fil, Edith appelle Narcisse au secours. Une fois chez elle, il se retrouve en face du corps sans vie de Katouka, chef d’état- major adjoint de l’armée. En larme, celle- ci lui demande de l’aider. Acceptera-t- il ? C’est ici que la narration se fait de plus en plus palpitante et les actions époustouflantes, faites de rebondissements et de suspenses. Retour sur les faits.

Collectionneuse d’hommes, jeune et belle, Edith se retrouve dans une situation embarrassante. Elle mêle un autre dans sa mésaventure, Narcisse : Jeune professeur dans un lycée, simple citoyen, il se voit ainsi impliqué par Edith, l’une de ses nombreuses conquêtes, à l’assassinat du chef d’état major adjoint de l’armée. Edith embarque aussi dans cette aventure le sous- préfet, un de ses amants. Le scénario se réécrit ainsi: un cadavre, deux hommes et une femme. Et le sublime de la situation, c’est que les trois hommes, y compris le cadavre, ont une relation intime et particulière avec Edith. C’est la nuit. Comment faire pour que le jour ne les surprenne et que les enquêtes les ne les épinglent? Dans la tête du Sous-Préfet, germe une idée inattendue: faire disparaître le corps, l’enterrer nuitamment sans trace. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le cadavre est enterré et le véhicule de Katouka est abandonné à la frontière. Il faut quand même embrouiller les cartes et fait vivre à la population une situation des plus rocambolesques : «Le colonel Pierre katouka avait disparu, il avait dû fuir le pays » (page 49)La presse se saisit du cas Katouka déclaré ennemi du pouvoir, conspirateur ingrat qui lorgnerait le trône présidentiel.

Narcisse n’a pas la paix du cœur. Sa conscience le pourchasse, presque. Son ami Zutpizer décortique pour lui l’actualité politique. Il s’agit en effet d’un type un mystérieux, ayant des idées un peu ou trop folles. Epris de justice il se confie à Narcisse : «Tu sais, la trahison des siens est le crime le plus horrible qui soit. Elle est sévèrement punie par toutes les sociétés sensées ; sauf chez nous en Afrique » (page 87) «Punir les traîtres. … Les supprimer. .. Parce qu’ils ôtent tout sens à la vie collective ; ils annulent une société. » (page 87)… ‘«Ailleurs, on honore le soldat inconnu, défenseur de la patrie ; ici, nous faisons des monuments à des énergumènes qui ont sans cesse aidé l’occupant à massacrer leurs propres frères. » (Page 98). A son insu ou malgré lui, Narcisse devint l’acolyte de Zutpizer qui nourrit des idées de plus en plus folles et inédites comme celles qu’il a de la sexualité: «Il ne peut pas y avoir de sexualité dans une porcherie comme ce pays. Les hommes en Afrique s’excitent pour des organes dont on ne prend pas soin. Cela dit tout de nous » (page 101). Mais la question fondamentale demeure: Si Edith fut seule dans la chambre avec Katouka et affirme n’être pas l’assassin, alors qui est l’auteur de ce meurtre ? « Si j’en crois Edith, quelqu’un que nul n’a vu est entré dans cette maison et a surpris mortellement le colonel Katouka. » (Page 23). Mais qui? On ne saurait percer ce mystère sans lire le livre.

 

Au demeurant, «Un reptile par habitant » est le reflet d’un Etat politiquement instable, en proie à une dictature certaine. Il apparaît presque comme un roman policier, mais loin du polar, et se révèle en réalité un roman de mœurs où sont mis en lumière les relations entre les hommes du pouvoir et le plus vieux métier du monde. C’est aussi un roman où l’auteur, en plus de stigmatiser la corruption et la mal gouvernance, braque ses projecteurs sur les relations sexuelles entre élèves et professeurs.«Un reptile par habitant » est un roman qu’on ne peut déposer dès qu’on en a entamé la lecture. L’oeuvre se laisse lire facilement. Les actions s’enchaînent, le ton se fait grivois par endroit mais garde sa fluidité et son caractère léger, sans fioriture ni grandes envolées. Dans l’Afrique actuelle où les dictateurs et leurs cerbères tiennent à museler le peuple, «Un reptile par habitant » comme un  »marquage à la culotte » se veut un avertissement : il y a une fin pour tout et ce sont les personnes les moins soupçonnées qui peuvent porter l’estocade…

 

Camelle ADONON

 

Camelle ADONON est étudiante. Elle passe en deuxième année de droit à la Faculté de Droit et de Sciences Politiques d’Abomey calavi . Elle aime la lecture et l’écriture.

  1. J’apprécie cette belle initiative de l’auteur qui d’une manière ou d’une autre expose les faits qui minent la société de tous les jours.
    Mais pourquoi doit on douter de l’assassin de ce sieur s’il s’avère qu’il se retrouvait avec Edith dans la chambre au cours de cette nuit qui fut la dernière d’ailleurs pour ce dernier?