« Vie inachevée » Attention! Âmes sensibles, s’en abstenir, car après avoir lu ce livre, vous risquez de tuer Christophe le jour où vous le rencontrerez.

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Il est des jeunes écrivains qu’il faut surveiller de près: talentueux et cultivés, bienvenus dès leur jeune âge et qui font parler d’eux par la qualité de leur plume et la profondeur de leurs réflexions. Hervé EZIN OTCHOUMARẺ en fait partie. Après ses deux précédents romans accueillis avec joie et satisfaction par le public, voici qu’il accouche de « Vie inachevée » son troisième roman. L’œuvre, parue en France aux Editions La Doxa en Février 2019, porte à la première page une dédicace spéciale à l’adresse des « femmes qui se sentent abandonnées et à celles qui s’adonnent à la prostitution malgré elles« . L’évocation de ce titre « Vie inachevée » peut faire naître dans la tête du lecteur moult interrogations: s’agit-il d’avortement, de suicide, d’études interrompues, d’avenir gâché? Mais en poursuivant sa lecture, il réalise la ligne de réflexion de l’auteur qui part du vécu d’une famille qui avait tout pour tenir et briller aux yeux du village comme une famille idéale, exemplaire, pour interroger le destin: « Pourquoi les enfants doivent-ils avoir les dents agacées alors que ce sont leurs parents qui ont mangé des raisins verts? Le malheur est-il aussi héréditaire? Pourquoi la malédiction de la mère doit-elle frapper la fille alors que cette dernière était censée suivre sa propre destinée? La vie de Christelle a en effet périclité le jour où, malgré elle, elle fut témoin d’une dispute entre ses parents, apprenant ainsi qu’elle n’était pas la fille biologique de Martin AYELE dont elle a pourtant porté le nom jusqu’à cette heure fatidique. Qui est alors son père? A peine avait-elle formulé cette question qu’elle comprit que la vie paradisiaque qu’elle menait avec Rosine, sa mère, auprès de Martin connaissait son apogée et qu’elles devraient retourner vivre dans les ruines de la case de sa grand-mère maternelle. Mais qui n’avait aucun métier ne s’était accrochée à Martin que pour « de vivre à l’abri de la pauvreté.  » (p.45) Christelle pardonnera-t-elle à sa mère de lui avoir menti tout ce temps durant? Mais alors, toute vérité est-elle bonne à dire?

De toute façon, Christelle n’avait d’ami que Latifath, Christophe et Eguéto. Mais Christelle était un vrai chef-d’œuvre d’art au charme ensorcelant. Christophe y succomba. L’amour né entre Christophe et Christelle ne cessait de grandir. Rosine n’arrivait plus à pourvoir aux besoins de sa fille. L’amour s’intensifiait de plus en plus entre les deux tourtereaux. Christelle a-t-elle pris en compte les mises en gardes de sa mère qui lui demandait de se méfier des garçons? De toute façon, le jour où Christelle annonça à son ami qu’elle était enceinte de lui, elle comprit que Christophe n’était qu’un profiteur et un irresponsable. Sa mère l’avait pourtant prévenue :

« Un homme qui aime ton âme t’accepte telle que tu es. Il t’aime d’un amour mystérieux et réel. Il est prêt à tout vivre avec toi. Par contre, un homme qui ne désire que ton corps veut tout simplement te découvrir, coucher avec toi, parfois à plusieurs reprises, et t’abandonner. Il peut même t’abandonner avec une grossesse qu’il refuse de reconnaître. » (P52)

Que deviendra-t-elle? Comment pourra-t-elle dans ces conditions réaliser ses rêves? Saura-t-elle résister à la tentation de se débarrasser du fruit de la honte qui germait en elle? Son horizon était bouché. De sa mère elle ne pouvait rien attendre, ni de Christophe qui l’abandonna. Que faire? Elle qui n’avait aucun emploi, résistera-t-elle à la nécessité de vendre ses charmes pour se payer le pain quotidien? La vie de Christelle est semblable à celle de plusieurs jeunes filles sans solde ni moyens, abandonnées dans les égouts de l’existence et dont la vie se gausse sans pitié.

 

Ce livre « Vie inachevée » est, au-delà d’une simple narration, une table ronde autour de laquelle l’auteur invite les parents, les enfants et les autorités en charge de l’éducation à se pencher véritablement sur les problèmes des jeunes. Par ailleurs, l’auteur stigmatise les défaillances de nos familles et leurs difficultés à être pour les enfants des lieux où ils pourront s’épanouir en toute sécurité sans courir le danger d’être livrés de façon précoce et sans aucune préparation dans la gueule de la vie. Ce livre invite aussi à la responsabilité et à la lucidité car une seule petite erreur, même reconnue, peut avoir des répercussions tragiques aux ampleurs insoupçonnables sur les générations futures. L’autre question qu’aborde l’auteur, c’est celle de la gestion des conflits dans le couple. En quoi les enfants sont-ils concernés par les différends qui opposent leurs parents au point d’en faire les frais?

 

Ce roman, profondément réaliste, offre un tableau puissant et tragique des drames de la misère et de la prostitution. Peut-être faudra-t-il commencer ce livre par la fin: « Seulement, quand le sort tutoie la fatalité, que peut faire l’homme par lui-même ? Si nous voulons que les hommes atteignent le ciel, donnons-leur des ailes. Alta alatis patent» (Le ciel est ouvert à ceux qui ont des ailes.) « Vie inachevée », un roman à lire et à relire !

 

Destin Mahulolo

 

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