C’est un récit qui bouscule par ses enchaînements, désoriente par ses retournements, emporte par sa faconde, perturbe par la fluidité de ses séquences, déroute même par ses micro-récits en parallèle. Tout est construit délibérément dans…
Il y a un dieu pour les cons ! Drôle de titre ! Mais rassurez-vous, le nouvel opus de la journaliste et scénariste ivoirienne Charlène Danon n’a rien de comique. Ce titre fait plutôt office d’invitation, à une aventure de tension et de rebondissement. C’est un fait, ce livre est interdit aux cardiaques. On ne le lit pas avec un soda ou une bière en main. Sa lecture fait appel à quelque chose de plus dur tel un verre de whisky en témoigne le fort suspens qui débute et achève l’intrigue. C’est un récit qui bouscule par ses enchaînements, désoriente par ses retournements, emporte par sa faconde, perturbe par la fluidité de ses séquences, déroute même par ses micro-récits en parallèle. Tout est construit délibérément dans cette diégèse pour ne point ennuyer le lecteur mais le maintenir sous une pression constante sans précédent. Normal, dans ce texte, l’effet de surprise joue à plein. Thriller ? Polar ? Récit à l’eau de rose ? Fresque politique ? Le tout à la fois ? Un cocktail peut-être ? Dans tous les cas, difficile de catégoriser Il y a un dieu pour les cons dans un genre littéraire quelconque. A moins qu’il ne s’agisse d’autre chose encore. Puisque dès l’entame du récit, le lecteur est pris à la gorge, mis dans une toile comment il ne peut se soustraire. Danon ne lâche rien. Son histoire est bien ficelée pour tenir en haleine tout lecteur qui s’y aventure. Cela dit, que raconte en vrai Il y a un dieu pour les cons, livre qui fait tant la une de l’actualité littéraire et qui figure parmi les meilleures ventes du SILA (Salon du livre internationale d’Abidjan) ?
Publié en 2024 aux Espérance Editions, Il y a un dieu pour les cons est condensé sur une superficie de 279 pages repartie en 31 chapitres. L’histoire du roman se déroule sur la terre des « Éburnéens et Éburnéennes » (p.192) autour de la famille Ehouman dont les membres se distinguent par des aventures toutes aussi singulières les unes que les autres. D’abord, il y a Roch Ehouman, ancien ministre et président du PLD dont « la seule ambition [est] d’accéder à la magistrature suprême du pays » (p.13). A ses côtés, se trouve son épouse Epiphanie Ehouman, la femme « de la force du silence » (p.201), la bonne à tout faire dans l’ombre, celle qui tient le couple, traite des deals, trouve des compromis, échafaude des coups, anticipe sur les adversaires politiques de son époux, établis des stratégies pour réaliser ses desseins politiques. A l’opposé du couple politique, figure leur fille Mariska « une âme écorchée, une personnalité qui s’épanouit dans la contradiction » (p.50) et qui est à la recherche de sa véritable identité. Les Ehouman naviguent dans un environnement politique vicieux, pervers, violent où tous les contraires s’allient en permanence : anges/démons, riches/pauvres, mal/bien, idéal/chaos. Comme pour dire, le narratif de Danon est une puissante métaphore de la politique telle qu’elle est pratiquée sous nos tropiques avec un paysage animé par des sympathisants et des opposants emprunts de démesure. En fait, A croire le récit, la politiques sous nos cieux n’est pas une science mais une passion sans limite. Ce qui justifie le fait qu’« Un opposant politique dans le contexte subsaharien n’a de poids que lorsque ses partisans sont prêts à sacrifier leur vie pour le meneur. La mort fait partie du discours politique africain ; c’est une arme redoutable, celle de la rupture et du chaos. » (p.243).
Ce qui fonde l’originalité aussi et surtout du récit de Danon, réside dans le portrait de son personnage principal féminin Epiphanie, produit d’une société patriarcale dont le slogan « la place d’une bonne femme, c’est dans la cuisine » (p.200) n’a point résigné. Stratège machiavélique et clairvoyante avertie, Epiphanie n’a rien à envier aux personnages masculins qui l’entourent dans le récit. En vrai, c’est elle qui chante pour que ceux-ci dansent ; hausse le ton pour qu’ils fassent silence ; tire les ficelles du jeu où s’engouffrent tous les protagonistes pour ainsi dire les cons qu’elle manipule à sa guise. Epiphanie est une femme insoupçonnée de pouvoir dont l’ambition politique a fait d’elle une âme vide, un être sans cœur semblable à « un ogre éviscéré qui dévore toutes formes de vies autour » (p.232.) crucifiant ainsi tout ce qu’il a de plus féminin en elle (d’ailleurs elle est tout sauf féministe) au profit du vice qui semble être un des traits caractéristiques de l’univers politique. Comme pour dire, le politique peut aussi se conjuguer au féminin. Puisque Epiphanie est la preuve évidente qu’une femme peut « réussir, là où des hommes ont échoué » (p.274.) politiquement.
Aussi faut-il ajouter que l’écriture de Danon est marquée par une esthétique cinématographique, illustrée par l’inachèvement de nombreuses séquences narratives, le parallélisme des micro-récits et surtout l’insertion d’une multitude de tableaux en flash-back. Ce qui est d’ailleurs tout à fait logique quand on sait que l’autrice est la scénariste principale des séries à succès tels que Isabelle ou encore Maquisard. Dans tous les cas, pour la énième fois encore, Danon a su marquer les esprits par sa plume vive et incisive que traduit son nouveau joyau littéraire Il y a un dieu pour les cons que tout lecteur, féru de sensations fortes, se doit de lire, de lire impérativement.
MONBLE AMATSIA KADER