INTRODUCTION
Elle est connue cette expression devenue proverbiale : « Corriger les mœurs en riant ». Et Jean Pliya en a fait la flèche préférée de son carquois en publiant pour la joie de ses lecteurs une oeuvre qui en est la parfaite illustration : »La secrétaire particulière« . Comme le titre peut bien le suggérer, il s’agit d’une pièce de théâtre. Jean Pliya, son auteur, en a voulu un kaléidoscope pour mieux examiner les tares de la société principalement postcoloniale. On y lit aisément les traits marquants de cette époque et les frasques des intellos ou demi-lettrés qui ont fait de l’administration le champ d’expérimentation de leur incivisme et de leur parjure. Jean Pliya présente ce tableau en trois actes où se déploient treize (13) personnages, les uns aussi particuliers que les autres. Mais il y a ici une particularité qui retient l’attention et supplante toutes les autres : le statut de la secrétaire particulière du patron. C’est le nœud autour duquel se construit cette oeuvre parue aux Editions CLE Yaoudé 1973, collection théâtre. Celle que nous étudions ici est la 5ème édition parue en 1988. Je nous invite donc à travers ce voyage littéraire à redécouvrir cette oeuvre de toute succulence.
RESUME DE L’OEUVRE
Nous sommes dans un service public de l’Etat. Mr Chadas patron des lieux ne se gène pas pour s’offrir les meilleurs services de ses employés. Si la période post coloniale est connue pour ce qu’elle a laissée comme cicatrice dans la vie des africains, elle n’est pas moins connue pour avoir favorisé le désordre total dans les administrations publiques. La corruption, mère du favoritisme, du népotisme , de l’abus de pouvoir étend ses tentacules et prend en otage le service public. Mais dans cette apocalypse post coloniale, Virginie une jeune étudiante sortie tout droit de l’université semble être une lueur d’espoir. Ponctualité, exactitude, conscience professionnelle, sont les vertus qu’on lui a enseigné et qu’elle compte bien mettre en pratique. Cependant, l’homme étant un loup pour son semblable cherchera à ternir cette conscience avant-gardiste qui s’éveille en elle. N’est-ce pas que la conscience dérange? Virginie en fera les frais à travers les multiple assauts de Mr Chadas et de sa secrétaire particulière Nathalie jalouse de la nouvelle. Virginie se rend à présent compte que les bonnes leçons apprises sur les bancs ne traduisent aucunement les réalités du terrain. <<Le diplôme n’est rien. Seule la pratique compte>> dixit Chadas. Il est clair que Virginie devrait sortir de ses illusions et s’adapter aux réalités du milieu. Elle se retrouve face à un patron en porte-à-faux avec ses propres propos: << Tout est affaire de doigté et de conscience.>> << Après la ponctualité il faut du zèle au travail, la conscience professionnelle, le désintéressement, la haine de la corruption>> ces mots sonnent faux sur les lèvres de Mr Chadas d’autant plus qu’il est le premier à accepter des pots-de-vin de la part de ses employés en contre partie de tel ou tel autre service. Plus loin encore Virginie se voit rejeter par le patron et pour cause elle n’a pas << Graisser la patte au patron>> Jusqu’où faut-il aller pour graisser ses pattes? Autant plus que le patron n’hésite pas à exiger l’intimité de sa secrétaire. Virginie est ici la porte parole de toutes celles qui subissent le contraste entre les leçons de l’école et celles de la vie elle-même. Manque de sérieux, contradictions, perversité, harcèlement, jalousie, jalonnent cette oeuvre théâtrale de Jean Pliya. Il faut croire que la bonne graine doit toujours se défendre de l’ivraie.
ETUDE THEMATIQUE
DE LA PNCTUALITE :<< SI L’EXACTITUDE EST LA POLITESSE DES ROIS, ELLE EST LA RÈGLE D’OR DU SERVITEUR DE L’ETAT>> (Page 14)
C’est clair, il n’y a pas à redire sur cette maxime. Mais ce n’est qu’une maxime. Au fond, elle passe de bouche à oreilles sans fait vraiment d’effet. C’est également le constat qui se fait dans « La secrétaire particulière« . Ses propos sont ceux de Mr Chadas adressés à Virginie au cours de sa grande allocution de bienvenue dans son bureau( Page 14, acte I). Depuis cette période il faut dire que rien n’a vraiment changé. Dans les administrations publiques il n’est pas rare de constater un manque de ponctualité criard. Petit à petit c’est devenu la norme. Un rendez-vous de 8 h passe à 9 h et même plus. C’est sorti des locaux de nos services publics pour se greffer dans la conscience même de chaque Béninois. Personne n’est à l’heure. On présume du retard de l’autre pour s’autoriser son propre retard. Et ainsi de suite. Malgré cela les beaux parleurs prolifèrent toujours. Jacques lui- même en retard dira toute honte bue : << en principe on est à cheval sur la ponctualité et l’exactitude>> c’est une mauvaise note de musique qui sonne au-dessus de la tonalité normale ou trop bas en dessous. Virginie en est au bord de l’ahurissement. Si seulement elle avait eu les pensées du philosophe lyriciste bantu Youssoupha elle aurait su ne pas << écouter ce que les gens disent, mais regarder ce qu’ils font>>. Au moins ainsi la surprise et la déception auraient été moins choquante. Le Béninois aujourd’hui à besoin d’une réécriture de soi. Une remise en cause, une mise à jour si on peut se permettre ce terme afin de revenir à la normale. Le retard est érigé en règle. Comme on le dit, rien de nouveau sous le soleil. Jean Pliya avait déjà flairé le mal depuis son époque. Mais helas! Il a grandi sans qu’on ait pu l’éradiquer. L’auteur tire sur la sonnette d’alarme à sa manière. Et comme lui même le dit en quatrième de couverture:<< Tôt ou tard un déclic se fera dans la conscience des gens mais à condition qu’il y ait une élite triée sur le volet, déterminée à déclencher le processus d’assainissement>> l’heure est peut être venue d’enclencher ce processus…
DE LA GESTION DE L’INDEPENDANCE :<< J’AI PARLE DE COUTUMES ET NON DE COSTUMES. INDEPENDANCE NE VEUT PAS DIRE LAISSER-ALLER.>> (page 16)
Cette réplique de Mr Chadas à sa secrétaire nouvelle venue, Virginie est partie du fait que Jacques se soit habillé en mode traditionnel pour le service. Pour la nouvelle venue il était inconcevable de ne pas s’habiller aux couleurs traditionnelles. Mais le patron est clair. La français est la langue officielle il faut donc tout faire en Français. <<comment voulez-vous parler la langue française sans porter une cravate?>> . L’auteur ici attire l’attention sur ce fait. Même après l’indépendance le colon s’immortalise à travers ses mœurs qu’il nous a laissées. La rigeur vestimentaire ou rien. Le style européen ou pas de salaire. Ici les mots coutume et costumes semblent entrer en conflit dans l’intellect du grand Chadas. Peut-on parler de nos coutumes sans mettre en exergue nos costumes? Cela m’étonnerait. Pour l’africain post colonial valet du colon, il faut valoriser les coutumes sans exhiber les costumes traditionnels au service. Le colon lui-même ne parle t-il pas de costume pour désigner sa veste ? Cela semble avoir pour lui une connotation civilisationnelle propre à lui. Il serait donc légitime que l’africain puisse aussi parler de coutumes selon sa propre civilisation. Car qu’on le veuille ou non l’Afrique a une civilisation. L’auteur avant-gardiste tirait déjà de façon subtile sur ces aspects. Il est temps de sortir du giron de la France pour nous retrouver.
DE LA CORRUPTION : <<(…) JE SUIS PLUS PUISSANT QUE LE CHEF DE TON VILLAGE. SI TU TIENS A VOIR LE PATRON, NE VIENS JAMAIS ICI LES MAINS VIDES.>>
Carrément ! Ce planton ne mâche pas ses mots pour réclamer le pot-de vin. Corruption à découvert ? Ou franc parlé? Après analyse le premier cas semble être ce dont il s’agit. C’est de la corruption. Ne cherchons pas loin. Là nous n’avons pris que le cas du planton. Qu’en serait-il du patron Chadas?
L’après indépendance du Dahomey fut une période très agitée parsemée de crises de tout genre et surtout économique. Les hommes forts de ce temps et les fonctionnaires ont développé cette pratique du pot-de-vin seul moyen pour joindre les deux bouts dans le mois. Le mal a tellement pris d’empleur qu’il est devenu la règle.
<< Pas de cadeau, pas de planton. Et maintenant fous-moi le camp. Dans la salle d’attente, je suis le patron. Ouste!>> dixit le planton.
Il faut graisser la patte, que ce soit au patron, que ce soit au planton. Imaginez qu’il faille graisser les pattes à toute la chaîne administrative pour obtenir un papier. C’est la ruine assurée. Jean Pliya tire sur la sornette d’alarme dans son oeuvre. A côté de cela la << gabegie financière>> vient s’agripper aux vilaines habitudes et enfonce l’économie du pays.
ETUDE DU BURLESQUE DANS L’OEUVRE
<<Le ridicule n’arrive jamais seul>> dit-on, Jean Pliya ici fait accompagner le ridicule de sujets qui méritent réflexion, ou pour être plus radical sans être ridicule, une méditation. La scène du paysan lésé dans ses droits par le planton est teintée de répliques qui à défaut de vous faire pouffer de rires vous volent un sourire élégant. << Selon la bonne règle des gens civilisés, les femmes d’abord, les enfants ensuite et les hommes après.>> c’est tout à fait ridicule de se permettre d’appliquer cette règle à un Paysan venu en ville et qui attend depuis des heures. << selon la bonne règle des gens civilisés>> dit-il en s’adressant au paysan. Un paysan! Derrière cette situation se planque bien la problématique de la catégorisation sociale qui relègue les plus pauvres au second rang. Ce phénomène a tellement pris d’ampleur qu’il ne suffit plus de savoir bien parler le français pour se tailler une par de respect réclamée à tort et à cris. N’est ce pas que le militaire ancien combattant analphabète bombe le torse aux côtés du paysan ? Et pour cause, il a fait la guerre aux côtés du colon. << – Salut commandant.(…)Ici on ne reçoit que les femmes. Les hommes comme nous n’ont aucune chance. – Qui te dit que moi être homme comme toi? Ouvre bien zieux pour toi et regarde, couillon.>> C’est clair que c’est l’hôpital qui se moque de la charité. Le paysan qui malgré son statut parle bien la langue ne vaut pas plus que le militaire dont les propos trufés de fautes s’apparentent à du babillage. Tout cela parce qu’il a fait la guerre. Jean Pliya se servira du comique également pour montrer les sentiments de lassitude qui animent le paysan face à toute la paperasse à faire. Le cas de la pièce d’identité est risible: <<(…) – Ignorant paysan! La carte d’identité permet de savoir qui tu es. – Suis-je un inconnu? Dans mon village, tout le monde me connait. Moi c’est moi, et non un bout de papier. Pour me connaître pourquoi ne pas me regarder tout simplement? >> Tout le tralala administratif et sa lenteur connue de nos jours avaient déjà existé de part le passé. Comme quoi, rien de nouveau sous le solei ! L’auteur sait unir le comique aux sujets les plus sérieux pour le bonheur des lecteurs. Il est clair que pour qui a un peu de sens de l’humour, il ne s’ennuirait pas.
ETUDE DE QUELQUES PERSONNAGES
-Chadas: Corrompu jusqu’à la moelle, il est le chef service patron de Virginie et de Nathalie. Il dirige son service selon ses propres intérêts violant les règles de bonne conduite. C’est le patron pots-de-vin. Il a la carrure d’un DG des temps anciens.
-Nathalie: secrétaire particulière du patron, elle entretient une liaison avec Mr Chadas. Elle sera très tôt jalouse de Virginie à cause de ses nombreux diplômes mais aussi à cause de Mr Chadas. Elle a le niveau CEP.
-Jacques: fonctionnaire, il nourrit des sentiments pour Virginie et n’est pas en accord avec les agissements de son Patron. Cependant il n’ose pas protester. Il est plutôt un béni-oui-oui qui obéit pour ne pas perdre sa place.
-Virginie: Jeune fille modèle, elle est dotée de vertu et d’une bonne conscience professionnelle. Cependant les contraintes du terrain lui font obstacle. Elle défit son patron sans langue de bois et s’en sort tant bien que mal. Elle est la porte parole des bonnes consciences qui sommeillent en chacun.
CONCLUSION
La secrétaire particulière de Jean Pliya est une comédie à portée éducative. Une éducation civique et citoyenne. Dans cette oeuvre l’auteur tend à mettre à nu notre société et ses tares afin que chacun puisse s’y voir. Il ne s’est pas agit que de dénoncer. Il s’est agit de jouer un rôle prépondérant d’éclairage pour que plus jamais l’on ne dise ils ne savent rien. Car depuis toujours nous savons. Et ces écrits en sont les témoins. S’il nous était donné de retirer cette oeuvre il s’organiserait autour de Virginie, seule candidate à la conscience professionnelle dans cette oeuvre. Vivement que sonne enfin l’heure du réel changement.
Adébayo ADJAHO
Merci beaucoup Cyriaque pour ce compte rendu. Merci biscottes pour avoir choisi ce livre. Ça fait du bien de ressentir les belles paroles du paysan dans le coeur…sourire
Ce paysan là. Une machine à déclencher le rire même chez un cadavre. Mais j’avoue que c’est un très bon livre. Dans tout l’ouvrage, c’est le calme de Jacques qui m’impressionne. Un amoureux discret mais efficace.