Le pauvre Christ de Bomba, Mongo Beti

Le pauvre Christ de Bomba, Mongo Beti

INTRODUCTION

Contrairement à la première génération d’écrivain, qui faisait l’éloge de la colonisation et la peinture des mœurs africaines, Les trois volontés de Malic de Mapaté Diagne, Force-Bonté de Bakary Diallo, L’esclave de Félix Couchoro et même Doguicimi de Paul Hazoumè, la seconde vague des écrivains, comme Ferdinand Oyono, Eza BOTO, Camara Laye … va faire la critique du système colonial et valoriser la tradition africaine. C’est dans cet esprit que s’inscrit ce présent livre Le pauvre Christ de Bomba de Mongo Béti. Allons à la découverte de cet auteur.

  • Vie et œuvres de l’auteur

MONGO BETI, de son vrai nom de Alexandre Biyidi, auteur de cet ouvrage est né le 30 Juin 1932 au Cameroun près de Mbalmayo. Il passe ses études supérieures en France dans les années 51. En 1954, il publie son premier roman Ville Cruelle sous le pseudonyme d’Eza Boto. Suivront, jusqu’en 2000, signés MONGO BETI, onze autres romans comme : Mission terminée en 1957, la Ruine presque cocasse d’un polichinelle en 1974, La Main basse sur le Cameroun en 1972, le PAUVRE CHRIST DE BOMBA en 1956. Il retourne dans son pays le Cameroun en 1992 et fonde en 1994 à Yaoundé, la librairie des Peuples Noirs. Il écrit de nombreux articles pour la presse privée camerounaise en même temps, il publie ses trois derniers romans. Il est décédé le 7 Octobre 2001 à Douala au Cameroun.

  • Résumé

Curé de la paroisse de Bomba dans l’Est du Cameroun, le Révérend Père Supérieur Drumont après avoir délaissé les habitants de Tala durant trois ans dans leur mauvaise pratique, décide d’aller enfin les christianiser. Il se donne ainsi pour mission d’amener les habitants de Tala sur le chemin de Dieu. Pour accomplir cette mission, il se fait accompagner de son cuisinier Zacharie : homme qui s’enrichit et séduit les femmes grâce à son statut de conseiller du RPS et de son boy Denis, le narrateur de l’histoire.

L’amertume de la déception rencontrée dans les villages Mombet, Timbo, Kota n’a pas empêché le RPS à poursuivre son objectif : l’évangélisation des habitants de Tala. Mais ceux attachés à leur tradition ne faciliteront pas la tâche au missionnaire. Ainsi une confrontation d’idéologie entre la tradition et la religion ; entre la polygamie, le sacrifice et les commandements seront exposés au RPS qui malheureusement n’arrivera pas à répondre à certaines questions parce que ne maîtrisant pas la tradition africaine et ayant une foi aveugle en sa religion. Ce faisant, il perdra son respect, sa notoriété et dignité auprès de ses fidèles. Cela le conduira à retourner dans son pays : la France après avis de son évêque. Il s’en va ainsi laissant les habitants de ces villages sans la connaissance du christ.

  • PERSONNAGES
  • Les personnages principaux

 Le Révérend Père Supérieur Drumont : c’est autour de lui que se déroule la trame de l’histoire. Il est le héros qui connaitra par la suite l’échec dans sa mission qui était d’évangéliser. Il retournera dans son pays la France après son échec.

Zacharie : il est le cuisinier et le conseiller du RPS. Son statut de conseiller du RPS lui permettra de s’enrichit par ruse et de séduit toutes les femmes de la mission.

Denis : Boy du RPS, il est celui qui narre l’histoire sous forme d’un journal. Il raconte son admiration pour le RPS, leur tournée de même que la mésaventure de celui-ci.

  • Les personnages secondaires

En plus des personnages principaux, cet ouvrage enregistre plusieurs autres qui ont fait une courte apparition. Nous pouvons énumérer :

Le père Guen: vicaire de la mission de Bomba où est curé le RPS. Il remplacera celui-ci après son départ.

Jean Martin: il est le nouveau vicaire après que le RPS est parti.

Michel : il est un bon chrétien qu’encourage le RPS.

Vidal: home blanc, administrateur, il s’occupe des infrastructures.

  • THEMES

L’auteur MONGO BETI, qui fait une critique de la colonisation dans cet ouvrage a abordé plusieurs thèmes qui peignent l’Afrique à la période coloniale. Entre autres nous listons : la colonisation et la religion, le poids de la tradition sur la religion, l’expansion de la religion à l’ère colonial, l’attachement des Africains à la tradition, la valeur et place de la tradition en Afrique. Parmi ces thèmes nous aborderons trois. Il s’agira d’une part de l’expansion de la religion à l’ère colonial, d’autre part de l’attachement des Africains à la tradition et pour finir de la tradition et de la religion.

  • L’expansion de la religion à l’ère coloniale

La période coloniale qui a été marquée par la domination de l’homme blanc sur les Africains a vu naître dans cet atmosphère le système des trois M: Marchand, Militaire et Missionnaire. Ce système a ainsi permis aux missionnaires blancs de fouler les terres africaines en vue de l’évangélisation, de faire connaître Dieu à ce peuple maudit descendant de Cham.

Un rapport s’observe alors entre la religion et la période coloniale. Si la religion prône l’amour du prochain, la soumission et le pardon; le Colon quand à lui exprime une domination féroce. Il est vrai que dès le depart, ces deux institutions ne poursuivent pas le même but mais on peut constater comme l’a si bien peint Mongo Béti entre l’administrateur Vidal et le père Drumont que la religion a été un pion qui satisfait les intentions du colons en invitant les Noirs au calme, à la soumission. Elle met ainsi fin et limite la révolte des Africains contre le colon.

Notons aussi que malgré le fait que l’auteur présente l’église comme un instrument au service des puissances colonialistes pour l’asservissement des Africains, qu’il reconnaît le rôle dénonciateur de l’église des mauvaises actions de l’homme blanc : <<  Je suis venu ici pour vous, pour les noirs. Les blancs ça ne me regarde pas. Ils sont mauvais, les blancs iront en enfer comme tous les hommes mauvais >> page 98 affirme le père Drumont.

  • L’attachement des Africains à la tradition

 << Quand on ne sait pas où on va, on se rappelle d’où on vient >> nous dit un adage africain. Cela montre la puissance que représente la source de provenance : les origines. De la période coloniale à celle d’aujourd’hui les Africains ont été exposés au choix entre la religion occidentale et la tradition africaine. Mais il est constaté que bien même que la religion s’est faite une place dans les sociétés africaines, que les Africains restent toujours attacher  à leurs sources : la tradition. On entend souvent : << pourquoi laisser le dieu de mon père pour servir un dieu blanc que je ne connais pas >> . Être rattaché à ses origines et aux principes de ses origines est donc capital pour les peuples africains. L’auteur l’a su bien compris et démontré avec les agissements des villages de Monnet, Tala , Bomba et par cette affirmation du père Drumont : << Le châtiment a été penible, certes, mais il était nécessaire, il s’imposait du fait de leur mauvaise conduite, de leur manque de reconnaissance à l’égard de celui qui est descendu sur terre et qui est mort sur la croix pour les sauver du péché >> page 14.

  • Tradition et Religon

Si selon le dictionnaire Hachette édition 2007 la Tradition est un mode de transmission de connaissances des doctrines relatives à une religion; la Religion quant à elle, est un ensemble de croyance, de doctrine et de pratique cultuelle qui constituent les rapports de l’homme avec une divinité. De par ces deux définitions nous remarquons que la Tradition et la Religion ne font qu’une et que chaque peuple à une tradition et une religion qui lui est propre. Mais ici par Tradition nous désignons les croyances africaines et par Religion nous parlons des missionnaires blancs venus évangéliser les peuples africains.

Entendu dans ce schéma, nous observons une lutte atroce entre ces deux entités que nous présente Mongo Béti. Les Africains attachés à leur Tradition  présentent un refus même s’il n’est pas total à la religion occidentale

Mais notons que la Religion sur plusieurs aspects a imprégné la tardions africaine et lui a donné un autre visage : un visage indulgent dans la pratique.

  • Citations

Pour atteindre son objectif qui est de faire une critique du système colonial, Mongo Béti a utilisé plusieurs citations. Nous pouvons noter:

–  << Les noirs seront tous damnés pour avoir trop aimé les enfants >> page 20. Cette citation utilisée par le Révérend Père Supérieur Drumont critique le fait que les Africains aient d’enfants et beaucoup d’enfants avant le mariage est utilisée par l’auteur pour montrer la richesse que procède l’Afrique.

– << Seuls les malheureux, seuls les opprimés peuvent avoir foi en Dieu >> page 34. L’intention ici est de montrer qu’on reconnaît Dieu dans la souffrance et le malheur. Ainsi les peuples sous l’oppression du colon ne pouvaient ne pas se tourner vers les missionnaires. L’auteur montre alors le rapport existant entre l’administration coloniale et les missionnaires. Si le colon n’est là que pour opprimer, faire travailler de force, le missionnaire lui, doit donner un réconfort et toujours exporter à la soumission.

– << Quoique tu fasses, qui te dépasse, ne renonce jamais, redouble d’effort>> page 27. Cette citation apprise sous forme de chant aux femmes de la Sixa n’est que pour les inciter au travail.

– << Les femmes ressemblent aux enfants par leurs désirs >> page 29. Ici c’est la fragilité et la faiblesse de la femme que veut montrer l’auteur.

  • Critiques

Mongo Béti, à travers son personnage Denis fait une critique du système colonial sous forme d’un journal. Il décrit la présence française surtout missionnaire en Afrique avec un regard dénonciateur et interrogateur. Denis est le narrateur qui note et raconte les aventures de leur tournée.

Organisée en deux parties, il montre dans la première son admiration pour le Révérend Père Supérieur Drumont qu’il prenait pour le christ. Ce missionnaire, homme de fer et rigoureux qui entreprend après trois ans rendre visite aux habitants de Tala qu’il compare aux habitants de Sodome et de Ghomore de la Genèse. L’auteur présente ainsi de par son administration pour le RPS, son personnage Denis comme un naïf montrant alors par lui, le comportement qu’avait les Africains à la vue de l’homme blanc. Homme, que les peuples africains ont toujours considéré de sur-homme et même de demi-dieu. Ils se voyaient alors obliger de vouer un profond respect et soumission aux colons qu’ils prenaient pour des dieux.

La deuxième partie du journal qui présente l’Afrique dans sa complexité dans les années 1930 ne fait qu’un jugement de la religion et de la colonisation. Ce qui interpelle l’attention dans cette partie, c’est la force et le caractère d’esprit du RPS qui fait montre d’une foi absolue en Dieu qui le rend parfois aveugle et naïf.

Conclusion:

Mongo Béti de par cette représentation idéale du RPS qu’il peint de qualités, d’admirations et aussi de faiblesses d’esprit est alors un dénonciateur du système colonial dans ses diverses articulations mais surtout dans la marge du rôle, place et responsabilité des missionnaires dans le système colonial. Si la tournée du RPS s’est soldée d’un échec, Mongo Béti veut montrer ainsi l’échec sur les peuples africains d’un colonialisme déguisé d’intentions personnelles et d’asservissement. Il présente par cet échec et le départ du RPS, la défaite du système colonial, la naissance et la floraison des indépendances des peuples africains. Bongo Béti se voit alors comme un défenseur des peuples africains, un leader combattant contre les abus et les déguisements du système colonial mais aussi comme un précurseur et annonciateur de la victoire des Noirs sur les abus du système colonial: les indépendances.

Giscar KASSA

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