BL: Bonjour Monsieur Aubin FELIGBE. Merci de vous présenter.
(AF): Bonjour à vous et à toutes ces personnes qui, tapies dans l’ombre, luttent pour l’émergence de la littérature béninoise. Aubin Comlan FELIGBE est écrivain, comédien, conteur, promoteur du « Sceau des Génies« , un championnat de culture générale et Directeur Régional du Réseau Label Coach, un réseau qui promeut les jeunes artistes talentueux.
BL: Dans le contexte actuel où il est dit que les jeunes ne lisent pas, vous publiez, jeune, un recueil de nouvelles. Une revanche sur l’histoire? Pourquoi alors écrire puisque vous n’êtes pas sûr d’être lu?
(AF): Vous savez, quelques tomates pourries d’un panier suffisent à dire du panier qu’il est pourri. Mais, qu’on ne se trompe pas : il y en a parmi les jeunes qui lisent. C’est vrai que beaucoup ne lisent pas, du moins, plus comme avant. Et la tendance est à la généralisation: les jeunes ne lisent plus. Et moi je prends ma revanche vis -à- vis de cette généralisation. Quant à la deuxième manche de la question : « Pourquoi alors écrire puisque vous n’êtes pas sûr d’être lu?, je répondrai que vous avez tout faux: je suis sûr d’être lu. Si je ne suis pas lu par les jeunes, je le serai par les vieux ou par la génération à venir. Et si mon pays ne s’intéresse pas à ma plume, l’extérieur le fera.
BL: Pourquoi avoir choisi d’écrire et non de chanter par exemple?
(AF): J’ai choisi d’écrire parce que c’est la seule façon, le seul canal qui me permet de crier éternellement, sans ouvrir la bouche jusqu’à me faire entendre ; d’être près des cœurs afin de les éveiller, de les inciter à prendre leur destin en main.
BL: Pourquoi la nouvelle et non le roman ?
(AF): La nouvelle et le roman révèlent de la prose narrative, il est vrai; mais la nouvelle a cette particularité de traiter de l’actualité, d’aller à l’essentiel et tout ceci dans une rigueur qui ne dit pas son nom. C’est une course contre la montre. Le volume réduit qu’elle exige s’avère également d’un atout sérieux. Il permet d’appâter plus facilement les hommes du siècle présent enclins aux TIC. Ce qui évidemment me permettra de me faire entendre aisément.
BL: Introduisez-nous dans l’univers de vos deux nouvelles
(AF): « A qui la faute ? » (1ère nouvelle)
J’ai remarqué que dans notre société franco-africaine, celle dont nous nous plaisons à dire qu’elle est en voie de développement, l’éducation des plus jeunes souffre énormément, et que le passage de l’enfance à l’adolescence est négligé par les parents. Comlan, le personnage principal constate des changements « Mais depuis peu, l’apparition de ces choses noires, telles la robe d’un chat siamois sur mon pubis et de ces gouttelettes de liquide séminal qui, presque chaque matin, inondaient mon drap et entachaient mes vêtements, je me méconnus. Je commençai à sentir en moi un intrus. » et se voit négligé « J’en conviens, nous sommes une famille soudée, malgré nos minimes et rares démêlés. Néanmoins, sur ce coup-là, j’eus l’impression que le soutien parental me délaissait à petit feu. La première fois qu’en fils responsable je voulus décrire mes états d’âme à ma mère, joliment elle me répondit: «Consacre-toi à tes études, mon fils; et maman te promet la moto de ton choix à la fin de l’année, quand tu auras décroché ton brevet. Je t’aime, mon chou». Tout comme si c’était de ces ritournelles «affectives» que j’ai besoin en ce moment. Les parents, hum !…Toujours persuadés que ce qu’ils pensent est le mieux indiqué pour nous. Je ne pus donc placer un mot, car ma mère était occupée à se maquiller, et visiblement je la dérangeais. ».
Or il est une étape cruciale où l’enfant est placé au méridien du bien et du mal, où tout son devenir se trouve sur une petite balance qui déterminera la qualité du futur citoyen accompli. Si l’adulte à venir doit être un gayman, un forban, un leader, un travailleur etc. cela dépend de la gestion qu’on aurait faite de ce passage ! Mais force est de constater que nos parents chamboulés entre temps par trois éducations (celle mi-traditionnelle, celle de l’école française et plus récemment celle de la télé) se trouvent pour la plupart surpris par l’adolescence de l’enfant. Par ailleurs, l’incertitude du lendemain les oblige à prioriser la recherche de du ‘’financier’’ au détriment de l’éducation vraie. « Qu’est-ce que les enfants vont manger ?« , cela leur importe toujours plus que « quelle éducation laisser aux enfants ? » Et ils sont parfois les premiers à se plaindre de certains actes répréhensibles des jeunes dans notre communauté.
« La toilette » (2ème nouvelle)
La toilette, parce que notre continent a besoin d’être débarrassé de certaines impuretés, de certaines pratiques plongeant dans la période coloniale. Plus qu’une métaphore, « La toilette apparait » comme une panacée à notre situation de noirs colonisés, leurrés par l’indépendance. Revenir à nos traditions, prioriser nos langues et faire secondaires celles étrangères. Détruire toute l’armada coloniale (administration, école, industrie pharmaceutique etc.). Réfléchir par nous-mêmes à un système, un modèle africain. Nous débarrasser de ce nivèlement par le bas, de ce complexe d’infériorité à nous inculqué à coup de bâton il y a plus d’un siècle par l’homme blanc.
BL: A considérer votre recueil, l’on se rend compte que vous stigmatisez la puberté comme l’étape de tous les bouleversements. L’oeuvre est-elle en définitive une conscientisation? Si oui, que peuvent les parents si eux-mêmes n’ont jamais entendu leurs géniteurs leur parler de sexualité, quand on sait qu’on ne donne pas ce qu’on n’a pas
(AF): Ah oui ! Pour moi la puberté est la période de l’existence qui détermine le futur homme qui servira la société. C’est l’étape où il faut véritablement contrôler le feu de la cuisson, surveiller l’enfant, parfaire son éducation, l’écouter, le canaliser… afin que surgisse de lui, le meilleur pour sa famille et sa société. Oui, on peut se plaire à dire de l’œuvre qu’elle est une conscientisation. Permettez-moi de rappeler qu’avant la colonisation, malgré l’éducation « austère », les parents avaient leur manière de parler de sexualité à leurs enfants. Ils ne le faisaient pas ouvertement certes, mais ils le faisaient et préparaient même l’enfant à s’adapter à la vie de couple. Aujourd’hui tourmentés par la colonisation et ses corollaires, les parents « tâtonnent » en ce qui concerne le modèle d’éducation adéquate.
BL: A qui finalement la faute, selon vous?
(AF): C’est justement pour qu’on m’aide à situer cette responsabilité, cette faute, que j’ai, à travers le titre de l’ouvrage, posé la question! (rire) Je pense qu’il importe à chaque acteur du processus (papa, maman, enfant…) de faire une rétrospection, de voir sa faute et de la corriger.
BL: Comment avez-vous vécu les diverses péripéties qui ont conduit à l’édition de votre livre? Qu’est-ce que cela vous inspire?
(AF): Je ne serai certainement pas le premier à dire que l’édition du livre et sa parution au Bénin sont un calvaire, ni le premier à dire que ce combat vaut la peine pour le bien-être de la postérité. Cependant je tiens à faire remarquer le grand désintéressement du pouvoir public face au livre en particulier et à l’art en général. On a comme l’impression que le pouvoir public serait fier d’avoir un troupeau d’incultes à conduire!
BL: Quand on est jeune, on a certainement de grandes ambitions. Quelles sont les vôtres en matière de littérature?
(AF): Les rêves, les grandes ambitions sont des caractéristiques des esprits jeunes! Pour ne pas faire exception à la règle, je dévoile mon rêve d’être un jour nobélisé, (rires) enfin, si on ne supprime pas cette distinction avant que j’y arrive.
BL: Si vous devez re-définir le rôle de l’écrivain dans la société qui est la nôtre aujourd’hui, que direz-vous?
(AF): Le rôle qu’il y a toujours tenu n’a pas changé. Cependant, je me complais à dire que les œuvres engagées ne courent plus les rues de nos jours au Bénin.
BL: Vous êtes étudiant en Lettres Modernes à l’Université de Parakou. Quel regard portez-vous sur l’intérêt que les apprenants ont de la littérature dans cet univers?
(AF): Sans vexer les autorités, j’affirme sans ambages que les étudiants de cet univers ne se cultivent pas. Ils s’intéressent simplement à leur passage en année supérieure, à leur diplôme… Avoir du poids dans leur domaine, ne leur semble pas si important malgré les recommandations de leurs professeurs qui les invitent constamment à la lecture. En même temps on a l’impression que l’Université n’a cure du peu qui se démarque et fait l’effort de la pratique quotidienne de la lecture et des recherches littéraires dans la mesure où des étudiants parmi cette poignée au savoir appréciable peuvent-être recalés aux examens. C’est un univers un peu difficile.
BL: C’est la rentrée des classes. Vous avez certainement un mot à l’endroit des autorités, des parents, des enseignants et des apprenants…
(AF): Oui, je tiens à inviter chaque maillon de la chaîne à jouer pleinement son rôle sans hypocrisie afin que l’année soit propice à tous puisque l’école est système d’ensemble. Entendez par système d’ensemble, apprenants, professeurs, parents, Etat, etc.
BL: Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans la littérature?
(AF): (Rire) Ce qui, en bref, me passionne dans la littérature, c’est son caractère divin, cette faculté qu’elle a d’éduquer, de chérir, de divertir, de fustiger…
BL: Votre mot de la fin
(AF): Je tiens à remercier Mme Padonou Abèni pour son soutien indéfectible. A vous et à tous ceux qui ne cessent de m’accompagner, j’exprime ici ma gratitude. Je salue le travail des autorités des Lettres Modernes de l’UP et j’invite les férus de la lecture à faire un tour dans les librairies pour se procurer « À qui la faute? » Merci.
Les rêves, les grandes ambitions sont des caractéristiques des esprits jeunes! Pour ne pas faire exception à la règle, je dévoile mon rêve d’être un jour nobélisé, (rires) enfin, si on ne supprime pas cette distinction avant que j’y arrive.
😁😁😃😃😃😃 😃😃 Je t’encourage. Pas de rêve impossible tant qu’on y travaille.
Merci cher Bonaventure AGBON pour votre commentaire. La jeunesse se doit d’être ambitieuse et de travaille pour l’accomplissement de ses projets.
Merci à toi Bonaventure
Aubin. Que Dieu te guide. j’avoue que j’ai éprouvé un immense plaisir à te lire. Ton livre et cette interview. À qui la faute ? je pense que c’est un recueil de nouvelles qui devrait être lu par tous. En ce qui est de La toilette, je comprends que ton génie est hyper élevé. Formidable, admirable, fascinant et surtout, ne croit pas que ce sont des propos séduisants. Non. ils viennent du fond de mon coeur. Ton petit Gervais