Ils vécurent leur belle idylle jusqu’au jour où, un soir alors qu’ils n’étaient pas ensemble, Ryan fut découvert ivre-mort devant un night-club, les poches bourrées de marijuana. L’incident fit scandale dans toute ville et faillit coûter au maire son fauteuil. Monsieur Tano en fut si vexé qu’il imposa une austérité de moine à son fils. Désormais plus de sorties au-delà de 20heures, plus de sorties en boîte donc, son argent de poche fut réduit de moitié. Il n’était plus autorisé à conduire la Venza qu’il lui avait offerte pour le féliciter d’avoir eu son Bac. Un mois après, son père l’envoya poursuivre ses études en France pour le préserver de la mauvaise camaraderie. Tout se passa si vite. Maory ne vit rien venir. Son petit monde féerique venait de s’écrouler. Plus de tournées des grands hôtels et restaurants de Cotonou, plus de show, adieu les parties de piscine à Atlantic Beach Hôtel, retour à la case départ, retour à la routine : dîners à « Dima » et « As » les seuls restaurants que chérissait tata Eudoxie, retour aux ennuyeuses parties de bowling, retour aux interminables heures de shopping à Erevor où il fallait supporter les goûts quelque peu ringards de tata Eudoxie. Maory pleurait, elle s’ennuyait, elle avait changé. Son goût pour le luxe s’était précisé, son appétit des trop bonnes choses s’était agrandi. Elle ne se plaisait plus dans l’Avalon de sa tante, les plats du resto italien de la Haie Vive lui manquaient, le IPhone x était sorti et elle s’accusait d’être la dernière femme sur terre -outre ses ringardes de sœur et tante- à ne pas se le procurer. Bryan était maintenant si loin d’elle, aucun moyen de le rejoindre.
La voici dans une belle disette. Elle essaya de renouer avec le « petit » luxe que lui offrait sa tante mais elle s’en lassa très tôt. Il lui fallait se trouver une victime sans tarder. Elle réussit à s’enticher d’un gérant de supermarché. Durant le peu de temps que dura leur aventure, Ménélik lui versait 25milles FCFA toutes les trois semaines. <<25 misérables mille de FCFA, c’est cela je vaux moi? A peine de quoi m’offrir une paire d’escarpins et des mèches brésiliennes>>, raisonnait-elle. Un soir elle appela le gars, le taxa d’infidélité, l’engueula et lui annonça que c’était fini entre eux. Pauvre Ménélik, il n’y vit que du vent. Il s’accusa d’avoir sans doute été trop gentil avec une cliente, se cogna la tête contre le mûr, regretta sa bévue et n’osa même pas s’imaginer que Maory l’avait largué parce qu’il n’était pas assez dépensier et que son « tribut » de 25 milles FCFA était <<à peine de quoi s’offrir une paire d’escarpins et des mèches brésiliennes>>.
Samedi soir: « la Galette ». Quelques jours après avoir envoyé balader Ménélik, Maory s’offrait du bon temps dans un fast-food. À trois mètres de sa table quelqu’un la considérait. Il avait remarqué la poitrine frondeuse qui s’échappait de la chemisette décolletée sans doute trop étroite pour la discipliner. Le visage harmonieux, le derrière éléphantesque que moulait parfaitement un blue-jean destroy l’avaient conquis. <<Heureux homme qui grimpera cette croupe!!!, prophétisa-t-il, il connaîtra les délices du septième ciel>> Cela dit, il ne s’attarda plus à admirer en silence ce chef-d’œuvre si proche et si loin de lui. <<Allez!! >>, se motiva -t-il avant de foncer tout droit vers Maory.
– Vous êtes drôlement seule Mlle, pour une beauté de votre espèce, lança-t-il. Puis-je?, enchaîna-t-il, en tirant la chaise rangée en face de Maory.
– Oh non! désolé, j’suis pas si seule en fait, j’attends une amie qui me rejoindra d’une minute à l’autre, mentit Maory, tout en grimaçant.
– Ah pardon!! je m’excuse, répliqua l’autre apparemment un peu gêné.
Sur ce, il regagna sa table, les pas pesants. Maory le suivit du regard jusqu’à ce qu’il allât s’enfoncer dans un siège capitonné. Entre deux simulations d’appel, elle jetait de petits coups d’œil au monsieur dont le regard et le sien s’étaient croisés plus d’une fois déjà .L’homme attendit quinze minutes et ne voyant personne venir revint à la charge.
– Votre amie ne semble pas près d’arriver, je vous tiendrais volontiers compagnie le temps qu’elle n’arrive. Vous permettez?
Maory feignit l’hésitation.
– Allez!!, supplia l’homme, juste de quoi causer et tuer l’ennui, s’il vous plaît.
Face à l’insistance du monsieur élégamment vêtu et d’un certain âge, Maory céda :<<Okay au plaisir, ça me gêne pas>>
– J’adore ce cocktail, c’est mon préféré, répartit l’homme une fois assis, en pointant du doigt le verre de Daikiri que sirotait Maory. Après avoir sollicité l’avis de la jeune-fille qui acquiesça, il en commanda deux autres verres pour eux deux. Servis, l’homme prit une bonne lampée de cocktail avant d’engager la discussion.
– Moi c’est Johann, Johann Kemba, homme d’affaires, j’suis très honoré que vous m’ayez accepté à votre table, même si j’ai fait un peu du forcing (sourire) Puis-je savoir comment se nomme la jolie demoiselle en face de moi?
– Maory N’taka, étudiante en communication, répondit la jeune fille, le visage fendu d’un sourire espiègle.
– Ah Maory, très joli prénom, j’ai une cousine qui porte le même et elle est presque aussi jolie que vous.
– Ooh j’suis jalouse, je savais pas qu’on était si populaires, je croyais être la seule à porter ce prénom, répondit Maory.
Les civilités ainsi faites, Maory et Johann passèrent une bonne demi-heure autour d’un plat de salade forestière, à parler de tout et de rien. Johann fit mille éloges sur la beauté de Maory et la comparait sans cesse à l’héroïne du film qui passait à l’écran fixé à un mûr au fond de la salle. Flattée, Maory souriait et bredouillait des mercis timides. Entre temps, sa copine ne venait toujours pas, alors Johann voulut savoir ce qui en était.
– Tchips, la garce, elle vient de m’écrire qu’elle ne viendrait plus. Vous inquiétez pas, j’suis habituée, c’est pas la première fois elle me pose un lapin.
À cette réponse, l’homme qui avait depuis longtemps compris la supercherie, sourit intérieurement et joua les étonnés. Ils bavardèrent de plus belle jusqu’à ce que Maory décida de prendre congés. Galanterie oblige, Johann proposa de la déposer chez elle. Celle-ci hésita mais consentit finalement. Ils sortirent ensemble du resto et Johann fit un tour au parking. Au bout de quelques minutes, Maory vit venir se garer devant elle une Range Rover blanche toute pimpante. Le chauffeur baissa la vitre, klaxonna et fit signe à Maory de monter. Maory n’en croyait pas ses yeux et put à peine masquer son admiration. Elle s’empressa d’aller s’y installer aux côtés de Johann. Dans la caisse où retentissait un RnB entrainant, Johann se fendit de compliments vis-à-vis de Maory et en dit plus sur sa profession. La jeune fille déjà conquise faisait quand même l’indifférente. À sa demande, Johann la déposa à quelques mètres de chez elle, se dit ravi de l’avoir rencontrée et lui tendit son iPhone 8. Sans se faire prier,bMaory ajouta son numéro au répertoire déjà chargé de Johann, lui sourit une énième fois et lui dit au-revoir et merci.
Entre eux le courant passa si vite. Dans l’intervalle de deux mois, ils multiplièrent les dîners, se confièrent leur amour et parlaient déjà mariage. L’idée venait de Johann qui disait avoir découvert en Maory son âme-sœur, la femme de ses rêves. La jeune femme calmait le jeu, disait qu’ils se connaissaient à peine et qu’il était beaucoup trop tôt de parler de se marier. Mais au fond d’elle-même elle tressaillait de joie à l’idée de se marier avec un multimillionnaire, héritier et propriétaire de nombreuses entreprises d’import-export éparpillées dans le monde. Bien évidemment, ce brusque et précoce projet de mariage n’enchantait pas tata Eudoxie. À tout juste 22 ans, sa nièce était beaucoup trop jeune pour se marier. Elle avait un avenir à se construire, des diplômes à collecter. Il n’en était pas question. Maman Nafi et Nafi étaient évidemment du même avis. De plus, la tête de ce Johann, qui était de 12 ans l’aînée de sa nièce, ne lui plaisait pas. Il semblait assez gentil et respectueux mais avait l’air de dissimuler un côté sombre. Tata Eudoxie s’était plusieurs fois déjà montrée agacée face à ses multiples visites et l’avait souvent reçu avec une froideur à peine voilée. Maory s’en était plainte et faillit même une fois s’engueuler avec sa tante. Mais rien ne pouvait enlever à tata Eudoxie la conviction que le prétendant de sa nièce couvait une facette douteuse. On lui avait brisé le cœur par le passé et elle en avait appris à distinguer les goujats des gentlemen. Elle ne laisserait pas sa nièce connaître la même souffrance qu’elle. Docile, Maory se plia aux volontés de sa tante. Mais Johann de son côté ne l’entendit par de cette oreille et mit à sa fiancée une telle pression qu’elle finit par céder. Maory n’hésita pas à se mettre en port à faux avec les siens. Elle pleura, accusa tata Eudoxie de ne pas vouloir son bonheur, fit une grève de faim, bouda tout le monde. Excédées, maman Nafi et sa cousine décidèrent finalement de l’abandonner à son destin. Le mariage tant retardé et controversé eut enfin lieu, devant un impressionnant parterre d’invités, bourgeois tirés à quatre épingles, venus de tous horizons, les bras chargés de présents pour les nouveaux mariés. Un buffet de roi avait été servi: arc-en-ciel de repas, cascades de boissons hors de prix. On mangea et but tout son soûl. Le moment des adieux vint. Maory embrassa les siens visiblement pas très enchantés ce là, fit la bise à quelques invités, lança le bouquet que Janis que quelques-unes de ses amies alors présentes se bousculèrent pour pêcher au vol, puis son mari et elle s’enfermèrent dans leur Bentley et quittèrent l’assistance sous une explosion d’applaudissements et de vœux.
Dès le lendemain du mariage, ils partirent en lune de miel à Acapulco au Mexique. Ils revinrent une semaine plus tard et emménagèrent dans la villa « jouvence » à Vald’air, un quartier huppé, connu pour n’abriter que les gens à la bourse pesante. Maory était heureuse, folle de joie. Elle savourait enfin cette vie de princesse dont elle avait toujours rêvé : voiture personnelle avec chauffeur, compte à 8 chiffres en banque, dîners dans des restos 5 étoiles, vacances à Dubaï, shopping à Paris, séjour à Saint-Tropez où vivaient ses beaux-parents, villégiatures à Hawaï, domestiques et cordon bleu à son service. Johann ne lésinait pas sur les moyens pour lui faire plaisir. Accra, Durban, Aljazeera, elle était de tous ses voyages. Johann ne supportait pas de la savoir loin d’elle. Quelques mois après, Maory tomba enceinte de jumeaux. Le couple célébra la nouvelle dans une mare de champagne. Les enfants tant attendus naquirent enfin, saufs et pétillants de santé. Deux bouts de choux, Rony et Rudy, tout petits, tout ronds, tout mignons et de surtout de vrais sosies de leur père, à part le grain de beauté sur la joue qu’ils avaient hérité de leur mère.
Le temps passait et ils grandissaient, adulés par leurs parents et ne manquaint de rien.
Quelque chose en revanche manquait depuis peu à l’harmonie chez les Kemba.
Junior Gbeto est étudiant en 1 ère année à l’Université d’Abomey Calavi (UAC) où il se forme en administration culturelle.