INTERVIEW AVEC AYI HILLAH (AH)

INTERVIEW AVEC AYI HILLAH (AH)

Il n’a pas sa langue dans sa poche. Il croit en L’Afrique. Lui, c’est Ayi HILLAH, écrivain togolais. Il vient de publier un livre dérangeant sur une thématique toute aussi dérangeante: « Il s’appelait Mouammar. » Et il déclare au sujet de son livre et du personnage dont il y parle: « Sans mentir, je me soucie peu de ceux qui pourront avoir des frissons, pris de peur, à l’évocation du nom de Mouammar Kadhafi. L’essentiel pour moi en écrivant ce livre, c’était de substituer à la tartine de mensonges et aux non-dits ce que je crois être vrai. »

BL: Bonjour Monsieur Ayi. Vous êtes écrivain togolais et vous vivez en Europe. Pourriez-vous nous tracer votre parcours?

AH: Bonjour, je suis Ayi HILLAH, je suis né au Togo où j’ai fait la première partie de mes études jusqu’à la licence, option « Littérature d’Afrique et du tiers monde anglophone« , option que j’ai abandonnée en Belgique pour  me spécialiser en histoire littéraire. Je suis écrivain ; auteurs de plusieurs livres dont quatre recueils de poèmes, un roman, deux récits et un recueil de nouvelles. Dans la vie, je suis employé dans l’humanitaire…

BL: Dans l’une de vos publication sur Facebook, on lit ceci: « Non, je ne suis pas un feu perdu qui se déchire à l’horizon entre deux mondes. Pour preuve, la famille me suit, me supporte et me dit d’aller de l’avant. Merci » Que s’est-il passé à un moment donné?

AH: C’est simple. Il s’est passé que j’ai choisi un métier dangereux. Ecrire, c’est un long chemin comparable à un deuil, c’est des moments de privation, d’isolement, de sacrifice. C’est aussi s’exposer. Je crois l’avoir bien dit, un écrivain c’est un souvent un feu perdu qui se déchire à l’horizon, entre deux mondes.

BL: Comment faites-vous justement pour mener une vie équilibrée quand on considère le nombre de livres que vous avez lus l’an dernier par exemple, le nombre de manuscrits élaborés et la publication qui s’est ensuivie?

AH: Sans vouloir faire le malin, je vous dirai que je ne sais pas. D’ailleurs, pour tout dire, je ne sais pas si j’ai une vie équilibrée, et je vous le dis sincèrement. Tout ce que je sais, c’est qu’entre l’art et la vie, mon choix est clair. (Cette dernière phrase n’est pas de moi. Elle est de Flaubert).

BL: Vous venez de publier un livre sur Kadhafi. Pourquoi avoir choisi d’écrire un roman plutôt qu’un livre d’histoire pour parler de Kadhafi ?

AH: Mon livre, pour tout dire, n’est pas un roman. Sur Amazon et ailleurs, il classé dans la catégorie des fictions politique et historique. C’est avant tout un récit, et je laisse le soin aux historiens de profession de faire leur part. Le champ de la connaissance est vaste, et nous ne devons pas laisser le soin aux seuls historiens de l’occuper. Par la littérature on peut valablement rendre compte des faits dignes de mémoire ; c’est mon cas avec ce livre.

BL: Écrire un livre sur Kadhafi, un homme polémique qui ne fait pas l’unanimité. Ne craignez-vous pas des représailles ?

AH: (Rire)… Permettez que je vous cite deux vers de Bob Marley, extraits de sa chanson Redemption Song : « How long shall they kill our prophets, While we stand aside and look? ». Que tout homme intelligent réponde à cette question.

BL: Pourquoi Kadhafi ? Plutôt qu’un certain Olympio de chez vous ou un certain Houphouët-Boigny ou tout autre leader subsaharien ? Qu’est-ce qui vous a séduit chez l’ancien président libyen pour que vous ayez décidé de lui consacrer un livre entier?

AH: Oui, c’est vrai, tout le monde peut écrire un livre sur Sylvanus Olympio, mais, le livre sur Sylvanus Olympio reste à écrire. Honnêtement, j’aimerais l’écrire, mais je laisse le soin à d’autres plus savants que moi de le faire. Disant ceci, je pense particulièrement à un écrivain togolais dont je tais le nom. En ce qui concerne Houphouet Boigny, j’ai très peu de sympathie pour l’homme qui, à mes yeux, est une figure incontournable de la Françafrique, un de ceux que j’appelle dans mon livre des bouffons sans culotte ou encore des pantins au QI de musaraigne.

Pour répondre à l’autre volet de votre question, ce qui m’a séduit chez Mouammar Kadhafi, c’est que ce Monsieur a rendu son pays indépendant. Indépendant.

BL: La question revient sous une autre forme: Finalement qui est Kadhafi pour vous ? Un dictateur sanguinaire comme le décrivent certains ou un véritable héros africain, digne d’être célébré ?

AH: Homme parmi les hommes, en proie aux problèmes dont font face les hommes, Mouammar Kadhafi avait sa part d’ombre, ses faiblesses, ses égarements. Toutefois il n’était pas le mal dont souffrait l’Afrique. Pour ne pas trop parle, regardez l’état de la Libye après sa mort…

BL: Quel est le réel objectif de votre roman ? Juste raconter l’histoire d’un homme qui aura marqué son temps ou sanctifier un homme que plus d’un s’accorde à diaboliser?

AH:  Comme je le dis souvent, j’ai écrit ce livre pour présenter l’autre moitié du visage de Mouammar Kadhafi.

BL: Justement, quant à la question de savoir si le Libyen est plus heureux aujourd’hui qu’aux temps du regretté Kadhafi. » que répondez-vous, d’après votre point de vue personnel ?

AH: Pour être heureux, il faut à un peuple un territoire, une identité nationale, une volonté de vivre ensemble, et j’en passe. La Libye n’appartient plus aux Libyens. Comment voulez-vous qu’ils soient heureux ?

BL: Les circonstances de la disparition de Kadhafi restent aujourd’hui encore objet de débat. Vous qui avez sans doute mené beaucoup d’enquêtes avant d’écrire ce livre, qu’en savez-vous ?

AH: A part la convoitise des ressources du sous-sol libyen, les loups avaient pour mission de s’opposer à tout prix à l’émancipation du continent noir. Pour y arriver, c’était clair qu’il leur fallait éliminer celui qui prônait, défendait et soutenait financièrement l’Union africaine, le processus de création d’une monnaie africaine, et bien d’autres projets…  Ce n’est plus un secret pour personne.

BL: Dans votre livre, on lit ceci: « Il m’a parlé entre autres de la lâcheté des chefs d’État africains… » Est-ce là un rapport fidèle des propos du héros de votre roman ou une manière pour vous de tancer la passivité des dirigeants africains et d’exciter leur panafricanisme ?

AH: Il s’agit bien des propos du Guide. (Rappelons qu’il a dit pire que ça)

BL: La première de couverture du roman montre un Kadhafi tout sourire. Quel message cache cette image ?

AH: Merci pour cette question. Vous savez, l’image de sa dépouille mortelle sous le tristement célèbre hangar de Misrata tourne encore dans ma tête, comme une souffrance permanente. Cette photo du jeune Mouammar sur la couverture du livre, sourire aux lèvres est comme un remède pour m’enlever cette vision du patriarche jeté par terre, le visage en sang, la gueule ouverte et la mâchoire tordue.

BL: Quels sentiments vous habitent lorsque vous entendez le discours d’un Donald Trump qui pense que c’était une erreur que d’avoir tué le Guide Libyen?

AH: Pour une fois j’ai donné raison à ce guignol. Je l’ai même écrit dans mon livre. Mais, ne nous leurrons pas, si Obama a participé à la mort de Kadhafi, Trump pourrait faire pire.

BL: L’évocation de Kadhafi ne va pas sans celle de la situation de l’Afrique. Quelques années après sa mort, que vaut le panafricanisme selon vous aujourd’hui?

AH: Qu’est-ce que cela peut valoir dans la mesure où nous n’avons plus un Sékou Touré en Guinée, un Nkrumah au Ghana, un Sylvanus Olympio au Togo, et j’en passe ? Pour tout dire, aujourd’hui, le panafricanisme est un mot. Un simple mot. Rien de plus.

BL: Dans la même lancée, la question du franc CFA mérite d’être posée. Que pensez-vous des dernières « altercation entre Rome et Paris » au sujet du CFA?

AH: L’Afrique est un fonds de commerce. Ne me faites pas croire que l’extrême droite italienne au pouvoir actuellement défend les intérêts du continent noir. Voyez-vous, c’est l’euro qui soutient le CFA. Mais, tout le mécanisme ne profite qu’à la seule France. Déduction, Rome veut sa part du gâteau. Je pense d’ailleurs que tous les pays d’Europe doivent réclamer la leur.

BL: Comment expliquez-vous l’assassinat de tous les leaders africains qui, à un moment de l’histoire, ont décidé de frapper leur propre monnaie?

AH: Je ne sais pas si vous avez déjà essayé d’arracher un morceau d’os de la gueule d’un chien. C’est une scène intéressante au cours de laquelle il arrive à certains chiens de mordre leurs maîtres. Je pense que l’image est assez claire et qu’elle répond à votre question.

BL: N’avez-vous pas peur à un moment donné d’ouvrir une page à peine fermée et dont l’évocation donne des frissons à des personnes comme Sarkozy?

AH: Sans mentir, je me soucie peu de ceux qui pourront avoir des frissons, pris de peur, à l’évocation du nom de Mouammar Kadhafi. L’essentiel pour moi en écrivant ce livre, c’était de substituer à la tartine de mensonges et aux non-dits ce que je crois être vrai.

BL: Vous avez enflammé la toile, dans votre battage médiatique. Votre maison d’édition ne dispose-t-elle pas d’un réseau de distribution fiable?

AH: Si, mon éditeur dispose d’un réseau de distribution ; Sodis. Je crois que c’est le même distributeur que Gallimard, et le livre est bien référencé et disponible sur toutes les plateformes en ligne et aussi dans quelques librairies en France (pas toutes). Toutefois, nous avions eu quelques difficultés au début. La demande était tellement grande qu’il nous a fallu du temps pour prendre la mesure de ce qui nous arrivait. (Rire)

BL: A quoi devons-nous nous attendre après « Il s’appelait Mouammar »?

AH: Merci également pour cette question. Après « Il s’appelait Mouammar« , je sors un recueil de poème en prose. C’est une première pour moi. Juste après ce recueil, je sortirai un roman dont l’ancrage se situe dans un pays d’Afrique où le chef de l’Etat est démocratiquement élu par les armes chaque cinq ans. (Ne le dites à personne)

BL: Avez-vous déjà envisagé une présentation de votre livre en Libye? En France?

AH: Oui, je l’ai déjà présenté en France lors d’une rencontre informelle. J’y retourne bientôt pour des rencontres plus structurées. Quant à la Libye, je préfère la survoler en avion pour le moment. Ceux qui y ont installé la démocratie préfabriquée n’y vont plus, ne me demandez pas d’y aller. (Rire)

BL: Votre mot de la fin

AH: Il ira à mes lecteurs à qui je dis merci pour l’accueil qu’ils ont réservé au livre, pour leurs différents témoignages et leurs soutiens. J’ai fini par comprendre que c’est le livre que tout le monde attendait. C’est facile à dire, mais, je ne suis rien sans eux. Pour cela, je dis merci. Je le dis avec mon cœur.  Merci à vous aussi pour cette interview. Merci pour l’intérêt.

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