Chers amis, Biscottes littéraires vous propose pour cette semaine, une étude plus ou moins détaillée du roman Une si longue lettre. Allons ensemble à la découverte de ce chef d’œuvre de Mariam BA.
Bref aperçu de l’auteur
Mariama BA est née en 1929 à Dakar au Sénégal. Après la mort de sa mère, ce sont ses grands-parents maternels qui la prirent en charge. Envoyée à l’école, elle fut une excellente élève et devint en 1947 institutrice. Elle se maria et eut neuf enfants. Divorcée, elle éleva seule ses enfants. Elle mourut après une longue maladie du cancer en 1981, six mois après la sortie de son roman. Son livre reçut le prix Noma de littérature. Fut publié à titre posthume en 1981, Un chant écarlate.
Bref résumé du roman
Ramatoulaye s’est mariée à Modou Fall avec qui elle eut douze enfants. Mais ce dernier, avide de sang frais et de la chair fraîche et jeune, abandonna sa femme et ces douze enfants, et s’attacha à Binétou, une jeune lycéenne, qui avait pratiquement le même âge que de sa propre fille Daba. De ce mariage, Ramatoulaye souffrit toutes les douleurs du monde. A la mort de son mari, sa belle-famille demanda qu’elle épousât un frère du défunt. Mais, elle s’y opposa fermement. De même, elle repoussa les avances de Daouda Dieng, un homme politique intègre : à son amour, Ramatoulaye préféra son amitié. Elle adressa une longue lettre à son amie d’enfance Aïssatou résidant aux USA. Cette dernière, trompée elle-aussi par son mari, ne se laissa pas amadouer. Elle divorça sans coup férir et refit sa vie. Dans cette lettre, elle lui fit part de tout ce qu’elle a vécu.
Etude de quelques personnages
Ramatoulaye : Personnage principal et narratrice du roman. Après le décès de son mari Modou Fall, elle refuse de suivre la tradition qui lui impose d’épouser un frère du défunt. Elle accepte d’élever seule ses douze enfants en les ouvrant un peu à la modernité, car ne voulant pas leur faire subir ce quelle a vécu. Très croyante, elle a su rester elle-même et pense qu’aujourd’hui, la femme ne doit plus être un objet de plaisir pour l’homme, ni celle qui doit s’occuper uniquement du foyer.
Modou Fall : Epoux de Ramatoulaye. Il épouse, Binétou, une jeune fille congénère et amie de Daba, sa fille aînée.
Binétou : Jeune fille lycéenne en classe de 1ère, poussée dans les griffes de Modou-Fall par la pauvreté. Elle épousa Modou Fall, sous la pression de sa mère qui voudrait avoir une vie heureuse. Malheureusement après la mort de son mari, elle souffrit l’enfer.
Daouda Dieng : Homme politique intègre et monogame. Il désira épouser Ramatoulaye à la mort de Modou Fall. Il est le seul à s’intéresser à la cause féminine au Parlement.
Daba: Fille aînée de Ramatoulayee et de Modou-Fall, elle est le symbole du progressisme dans le roman Une si longue lettre. A plusieurs reprises, elle a demandé à sa mère de demander le divorce. Elle réussit sa vie et racheta la maison où logeaient Binétou et sa mère.
Aïssatou : Amie d’enfance de Ramatoulaye, elle claqua la porte après les pressions de sa belle-mère attachée à la question des castes et qui obligea Mawdo à épouser la petite Nabou. Elle ne put supporter cet avilissement. Et contrairement à Ramatoulaye, elle divorça.
Etude de quelques thèmes
L’amitié
Après la lecture d’Une si longue lettre, l’on est tenté d’affirmer que l’œuvre est une hymne à la gloire de l’amitié. Il s’agit d’ailleurs d’une correspondance entre deux amies. Ramatoulaye et Aïssatou. Il s’agit d’une amitié agissante qui a d’ailleurs poussé Aïssatou à offrir un véhicule à Ramatoulaye. Cette amitié, Mariama BA en fait une valeur capitale, un degré supérieur auquel l’amour est appelé à atteindre : « L’amitié a des valeurs inconnues de l’amour. Elle se fortifie dans les difficultés, alors que les contraintes massacrent l’amour. » On comprend alors la dose de confiance qu’a Ramatoulaye en Aïssatou en lui ouvrant son coeur : « Amie, Amie, Amie! » (P.2) « La confidence noie la douleur« . La foi en l’amitié a permis aux deux amies de s’affirmer face à leur sort de femme qu’essaie de torpiller une tradition imitoyable.
Le poids de la tradition
Le poids de la tradition en Afrique n’est as à négliger. Ici, Mariama BA essaie de mettre en lumière toutes les pesanteurs sociales générées par la rigidité de certaines normes traditionnelles qui chosifient par exemple la femme. En témoignent les nombreuses pressions subies par Ramatoulaye pour devenir l’épouse de son beau-frère. Ici, la tradition se conjugue avec la religion musulmane. Or l’Islam signifie « soumission ». Dans un tel contexte, aucune place n’est accordée à la liberté de choix. Les rites sont codifiés dans le Coran et l’on ne saurait y contrevenir. Toute la vie est régie par ce Coran. L’auteure, tout en se soumettant à Allah dont la Parole retentit dans le Livre Saint, envoie des dards à cette société où seul les hommes décident et oppriment les femmes, une société plus ou moins fermée à la modernité et aussi à l’idée de voir une femme aller loin dans les études :
« Après son certificat d’études et quelques années au lycée, la grande Nabou conseilla à sa nièce de passer le concours d’entrée à l’école des sages-femmes d’Etat : « Cette école est bien. Là, on éduque. Nulle guirlande sur les têtes. Des jeunes filles sobres, sans boucles d’oreilles, vêtue de blanc, couleur de la pureté. (…) En vérité, l’instruction d’une femme n’est pas à pousser. Et puis je me demande comment une femme peut gagner sa vie en parlant matin et soir. » (P.39).
L’émancipation de la femme
Mariama BA a résumé cette émancipation dans cette pensée à l’allure catégorique, révolutionnaire et coupante : « La femme ne doit plus être l’accessoire qui orne. L’objet que l’on déplace, la compagne qu’on flatte ou calme avec des promesses. La femme est la racine première et fondamentale de la nation où se greffe tout apport, d’où part toute floraison. Il faut inciter la femme à s’intéresser davantage au sort de son pays. » (P.75)
Le combat de Mariama BAa pour l’émancipation de la gent féminine, disons, son féminisme, se veut le fer de lance du développement de la société basé sur l’équité et la justice. Elle assigne à cette émancipation, une mission unique : que la femme sorte de la cuisine pour bâtir la société aux côtés des hommes. Elle écrit en substance: « Mon coeur est en fête chaque fois qu’une femme émerge de l’ombre. » (108). L’auteure plaide pour que les filles aient les mêmes chances que les hommes. Voici sa péroraison : « Allez leur expliquer qu’une femme qu’une femme qui travaille n’en est pas moins responsable de son foyer. » (P28). Qu’elle insiste pour que la femme prenne son destin en main, elle en donne le ton en refusant de se remarier avec son beau-frère, et malgré des moyens limités, en décidant de s’occuper de ses douze enfants. On le voit aussi dans l’attitude de son amie Aïssatou dont voici les derniers mots de la lettre qu’elle laissa à Mawdo avant de s’en aller : « Je me dépouille de ton amour, de ton nom. Vêtue du seul habit valable de la dignité, je poursuis ma route. Adieu. Aïssatou » (P.42). L’attitude de Daba la classe d’emblée dans cette catégorie de femmes qui ne veulent pas se faire marcher dessus, mais qui sont décidées à arracher leur place dans une société phallocratique.
La famille
L’auteure en fait le nerf de la société, rejoignant ainsi Aimé CESAIRE qui affirmait par la bouche du Roi Christophe : « Il n’y a pas d’Etat stable sans famille stable; pas de famille stable sans femme stable« . (Tragédie du Roi Christophe, P.89). La ligne de Mariama BA est claire : « Ce sont toutes les familles, riches ou pauvres, unies ou déchirées, conscientes ou irréfléchies qui constituent la nation. La réussite d’une nation passe irrémédiablement par la famille. » (P.109). L’auteure est consciente du danger que courent les nations si la famille est bafouée. Voilà pourquoi elle insiste pour que chaque membre du couple y joue son rôle, et aussi que la vie et la morale soit au coeur de la famille : « L’existence de moyens de contraception ne doit pas mener à un déchaînement de désirs et d’instincts.« . Mariama BA plaide pour que la famille redevienne le sanctuaire de la vie, la première école où l’enfant est éduqué.
L’éducation
L’on ne saurait étudier cette œuvre sans aborder la question de l’éducation. Mariama BA en fait d’ailleurs la pierre angulaire de la société, l’avenir de l’individu. Métier noble et sensible, elle est tout aussi délicate et exigeante : » Chaque métier (…) mérite considération. Le nôtre (celui d’éduquer) n’admet pas l’erreur. On ne badine pas avec la vie, et la vie, c’est à la fois le corps et l’esprit. Déformer une âme est aussi sacrilège qu’un assassinat. » (P.31). Tout en chantant la gloire de l’enseignant, Mariama BA prône une éducation à la fois scolaire et domestique pour un équilibre psychoaffectif réel. « A nouvelle génération, nouvelle méthode« , écrit-elle. Elle demande que les parents essaient de bien connaître chacun de ses enfants afin de le prendre en charge tel qu’il est, au lieu de chercher à appliquer à tous une méthode standard : « Des caractères différents requièrent des méthodes de redressements différents. De rudesse ici, de la compréhension là. (…) » (P.92)
Portée de livre
Une si longue lettre demeure un « lexique » des maux des sociétés africaines tiraillées entre modernité et tradition. Sont encore d’actualité les questions de phallocratie, de la présence des femmes sur le champ politique, l’éducation, la jeunesse, la famille, la polygamie etc…Le comportement de Binétou, élève en classe de 1ère qui se marie plutôt que de poursuivre ses études, ce genre de comportement est encore observé dans notre société aujourd’hui. Des jeunes filles abandonnent les cours et préfèrent sortir avec « des gros bonnets ». Surviennent après des grossesses qui oblitèrent leurs rêves et paralysent leur avenir. Par ailleurs, la réalité du féminisme se fait de plus en plus persistance et les femmes revendiquent leurs droits, crient leur dépit d’être longtemps confinées à la cuisine ou réduites à « fabriquer » des enfants et à prendre soin de leur mari et leur belle-famille. Certaines femmes « émancipées » secouent le joug de la tradition et divorcent sans crier gare, abandonnant parfois malheureusement les fruits de leurs entrailles et arguant que : « Le mariage n’est pas une chaine. C’est une adhésion réciproque à un programme de vie. Et puis si l’un des conjoints ne trouve plus son couple dans cette union, pourquoi devrait-il rester? » (P;89).
Avec ce livre, se pose en des termes assez clairs la question du féminisme aujourd’hui. Le féminisme est-il une lutte pour une inversion des rôles dans le couple? Donne-t-il aux femmes le pouvoir de manquer de respect à leurs maris? Est-ce vraiment du « Tu gagnes, je gagne, alors tu sors, je sors« ? La question mérite d’être posée quand on voit ce qui se passe dans nos sociétés de nos jours où au nom de l’émancipation, des femmes confient l’éducation des enfants à des domestiques, dites « bonnes » dont elles ne connaissent pas toujours la moralité.
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Au demeurant, Une si longue lettre est un livre à la fois plaisant et poignant. La narratrice est en même temps un personnage. Nous sommes là en face d’une focalisation interne. L’auteure y a mis toute sa féminité, sa poésie et sa maîtrise des proverbes et maximes de son terroir. L’œuvre est d’une musicalité suave. Elle nous renvoie réfléchir sur nos traditions et la place faite à la femme dans nos sociétés. A travers la réussite des personnages telles que Daba et Aïssatou, l’auteure entrevoit une issue favorable à l’épineuse question de l’émancipation de la femme même si elle demeure interrogative face à la réticence de certaines femmes dont Nabou, la petite Nabou, Binétou. Elle a espoir que les mentalités changeront et que se lèveront pour le bonheur de tous, d’autres femmes de fer telle que La Grande Royale de L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. L’avenir nous le dira…
Claude K. OBOE
Belle étude d’œuvre. À vivement conseiller en lecture aux apprenants au collège !
Merci Akofa pour l’exhortation. C’est un beau livre cette si longue lettre
En effet, Akofa. Surtout à cette ère où soufflent partout les vents de l’émancipation de la femme.
La femme doit sse battre pour sa propre place dans la société
« La femme doit se battre pour sa propre place dans la société ». Je crois, Claude, que c’est cela le vrai féminisme.
Ouf ….envie de relire …!
Quelle poésie ! Quelle musicalité au coeur de toutes les tonalités. !!
Un gisment de maximes et de pensées .
Oui Cyriaque, ce ne fatigue jamais. Un véritable chez-d’oeuvre.