« Ma beauté,…ma souffrance ! » de Lydie Biby MEGHUIOPE Par: Mohamed Dim

« Ma beauté,…ma souffrance ! » de Lydie Biby MEGHUIOPE Par: Mohamed Dim

Plan

Introduction

I- DE LA PRESENTATION DE L’AUTEURE ET DU CORPUS

1- L’auteure

2- Présentation du corpus.

II- CARACTERISTIQUES INTRINSEQUES À L’ECRITURE FEMININE

1- Du féminisme avéré

2- Adoption du genre autobiographique

3- Effacement de l’homme

4- Recours permanent à la sororité

III- SPECIFICITE DE L’ECRITURE DE « Ma beauté,… ma souffrance ! »

1- Des problèmes de femmes à la critique sociale en général.

2- Du refus de la réappropriation du corps dans l’affirmation de soi

3- Dynamique du genre autobiographique : insertion du genre épistolaire

4- Valorisation de l’intellect comme arme de combat.

Conclusion

Bibliographie

Introduction

« La construction d’un champ littéraire féminin permet la mise en évidence de la production littéraire des femmes dans une démarche visant à inventer un style littéraire qui puise son caractère inédit du féminin, un féminin qui varie selon chaque auteure. Ainsi, le féminin devient une arme de positionnement dans le champ féminin. » Analyser une œuvre féminine c’est questionner dans celle-ci ce qui fait sa particularité en rapport aux œuvres masculines lorsqu’on sait que selon le mot de Marceline Nnomo : « L’écriture féminine est victime d’une conspiration du silence quand elle ne fait pas purement et simplement l’objet de manœuvre d’exclusion ». Nous allons, dans le cadre de ce travail, prendre pour corpus « Ma beauté,… ma souffrance ! » de Lydie Biby Meghuiope. Ainsi, analyser ce roman reviendra à répondre à la question ci après : comment est mise en place l’esthétique du roman féminin dans cette œuvre ? Pour répondre à cette question, nous allons présenter le corpus, identifier les caractéristiques de l’écriture féminine et enfin la spécificité de l’écriture de « Ma beauté,… ma souffrance ! ».

 

I- DE LA PRESENTATION DE L’AUTEUR ET DU CORPUS

1- L’auteure

Lydie Biby Meghuiope est née le 12 mars 1975 à Yaoundé. Elle est diplômée de sociologie et de gestion des ressources humaines. Responsable des ressources humaines à l’agence Hysacam de Bafoussam à l’Ouest Cameroun et par ailleurs directrice du Centre Vie de Femmes de l’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes en abrégé ALVF. Son parcours assez difficile a fait d’elle une coache personnelle, une enseignante et enfin une consultante. « Ma beauté,…ma souffrance ! » est son premier bébé intellectuel. Par la suite, elle commettra Mackenzie la même année.

2- Présentation du corpus.

« Ma beauté,…ma souffrance ! » est une œuvre de 386 pages éditée en 2015 chez Edilivre en France ( rééditée bientôt au Cameroun) . C’est une œuvre en 9 chapitres qui adopte le genre autobiographique. La fluidité et le style simplet dont elle fait monte font d’elle une œuvre facile à lire. Cette œuvre assez originale de par son intrigue, convoque du début à la fin, des actions qui se suivent sans «trêves». À lire cette œuvre on se retrouve presque dans un film d’action Nigérian à la différence que cette fois, l’intrigue se passe dans l’entre-deux comme un roman d’immigration. D’abord au Cameroun, puis en France et enfin au Cameroun après une déception causée par la difficulté de s’insérer en France et surtout la quête des projets personnels. C’est roman qui peut se lire comme un roman d’immigration, comme un roman féminin tout simplement ou encore comme un roman féministe.

II- CARACTÉRISTIQUES INTRINSÈQUES À L’ÉCRITURE FÉMININE

1- Du féminisme avéré

Convoquer le féminisme comme caractéristique de l’écriture féminine, c’est considérer l’écriture féminine comme une écriture d’émancipation de la femme, de l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme. De manière globale, dans cette écriture, les femmes sont en quête d’identité ; la femme doit briser le silence et se faire entendre dans un contexte d’autorité patriarcale. Dans « Ma beauté,.. ma souffrance ! », Lydie Biby Meghuiope sait s’y prendre. Elle ne passe pas par des chemins tortueux pour se positionner. Elle se veut être finalement la combattante des droits des femmes ; ce que Aimé Césaire dans son Cahier d’un retour au pays natal a appelé « la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche ». Il s’agit pour elle d’être « la voix des sans voix ». D’ailleurs, le préfacier Jean Pierre Bekolo à la page 13 le souligne d’entrée de jeu à suffisance lorsqu’il déclare : « L’auteure nous produit un récit autobiographique sur le phénomène féminin universel qu’est la beauté ». C’est dire que cette œuvre va s’intéresser effectivement à la femme, non pas dans une position de critique, mais dans celle d’une défense et d’encouragement à poursuivre le combat qui est le leur face aux aversions des hommes tendant à les réduire à leur plus simple expression. En effet, l’auteure le souligne à suffisance en ces termes : « Et ces femmes et amies à qui je fais un clin d’œil, pour qu’elles poursuivent inlassablement leurs rêves, sans baisser les bras devant l’adversité masculine devenue subtile, mais qui veut que nous soyons plus utiles à leur servir du café. » confère page 10. A lire cette œuvre, on comprend clairement que l’auteure milite pour une quête d’autonomisation de la femme. C’est une arme de lutte à ne pas négliger. Car elle se trouve très souvent dans une position de subalterne du fait de la pauvreté l’exposant à des supplices divers. On peut le voir lorsque le constat est fait par Lydie Biby Meghuiope à la page 11 en ces termes : « Malheureusement, le coût de vie faisant, elles sont sujettes à des abus et des violences multiformes qu’elles auraient pu contourner et maitriser. ». L’auteure n’échappera pas à cette violence durant son parcours s’étalant sur 386 pages. Elle est sujette à de violences multiformes de la maison conjugale en passant par ses nombreux périples en Europe et à l’université de Ngaoundéré pour ne citer que ceux-ci. Au niveau conjugal, elle le soulignera ainsi qui suit à la page 176 : « La maison est devenue mon lieu de torture, de violences physiques et d’abus multiformes. ». La dénonciation de cette violence qui « avait fait son entrée dans ce foyer jusque là tranquille » a pour finalité d’exposer le mal être subi par plusieurs femmes dans leur foyer. C’est pourquoi, l’auteure estime qu’elles doivent faire bloc pour contrecarrer le mal. Elle le dit de manière très subtile en convoquant sa mère à elle qui, pour se défaire de violences multiformes « se rallie à des amies pour se dévouer à la lutte pour la défense des droits des femmes » page 20. C’est dire que l’écriture féminine s’écrit par les femmes, et pour la cause de celles-ci. On peut voir Hélène Cixous affirmer dans Le rire de la Méduse à la page 37: « Il faut que la femme s’écrive, que la femme écrive de la femme… ». Voilà qui justifie le féminisme évoqué dès l’entame de notre travail. A la page 216, Elodie Carine Tang dans Le roman féminin francophone de la migration publié chez L’Harmattan en 2015 affirme pour appuyer davantage notre position que : « La plupart des femmes qui écrivent dans le champ littéraire africain se sont mises à écrire pour se révolter contre la marginalisation de la femme. ».

Dans « Ma beauté,…ma souffrance ! », Lydie Biby M partage avec son lecteur une production de sa mère. Dans cette production, il est question de la prise de position de la femme dans un monde phallocratique. Citant sa mère elle dit ceci clairement : « Il faut apprendre aux femmes à parler d’elles, de leurs problèmes, et non pas de ceux que leur suggère leurs maris. Il faut qu’elles comprennent que leurs problèmes à elles sont aussi légitimes. C’est une question de prise de parole en public, surtout. Il faut leurs amener à parler de leurs rôles dans la société, dans l’environnement, en tant qu’individu. » (2015 : 369).

Ainsi, la subversion de l’écriture se voit clairement chez Lydie Biby Meghuiope qui ne passe pas par des chemins tortueux pour aborder les sujets graves et choquants tels que la violence conjugale et ses corolaires. Elle termine en cherchant à autonomiser la femme, en lui donnant la parole.

2- Adoption du genre autobiographique.

À la page 211 de « Le roman féminin francophone de la migration. Emergence et identité« , Elodie Carine Tang définit l’autobiographie en soulignant que « L’analyse moderne définit l’autobiographie comme un récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle (auteur) fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité » En effet, la formule privilégiée de l’écriture féminine est l’autobiographie. Car au travers d’elle, celle-ci transcrit mieux les émotions qui la traversent. C’est le cas de Lydi Biby Meghuiope qui a choisi pour l’écriture de son roman, l’autobiographie. Ce roman, est comme elle le souligne elle-même à la page 11, « le récit de ma vie ». C’est dire que l’écriture féminine est une écriture de soi. Elodie Carine Tang dans Le roman féminin francophone de la migration le souligne à suffisance en ces termes : « Par rapport à la réflexivité dont nous parlons pour ce qui est de l’écriture féminine, elle renvoie à l’écriture de soi. Cette écriture permet de lire un fond important de la vie personnelle d’un écrivain. » (2015 : 212). Plusieurs épisodes de ce roman traduisent les mésaventures multiples de Lydie Biby Meghuiope. Dans celui-ci, nous retrouvons plusieurs marques d’une « écriture du moi ». Durant ces 386 pages, elle parle à la première personne du singulier. C’est un « je » sans détour. La preuve, à la page 9 qui n’a que 19 lignes, elle utilise 10 fois le pronom personnel « je ».

Cette réflexivité, emprunte du roman féminin a fait l’objet de plusieurs études. Alice Delphine Tang soutient pour aller plus loin que dans presque tous les romans féminins, le personnage féminin est, soit le narrateur, soit l’héroïne. Ceci se voit clairement chez Lydie Biby M dont le narrateur personnage est féminin. Besoin n’est pas faire toute une analyse car elle le souligne clairement à la page 11 c’est « le récit de ma vie ». A travers cette esthétique, le personnage-narrateur exprime son malaise personnel. Ce malaise est à la fois physique (violence de son mari sur elle), psychologique (échec à répétition du baccalauréat, rejet par son entourage, expérience difficile en France, harcèlement par l’enseignant à l’Université de Ngaoundéré, etc.).

Au demeurant, la femme écrit toujours dans l’optique de respecter l’appel d’Hélène Cixous selon laquelle « la femme doit s’écrire elle-même … ». Lydie Biby Meghuiope partage son passé douloureux afin de constituer une médication pour les autres femmes qui la liront en intégrant le fait que seule la persévérance est gage de réussite dans tout projet. Aujourd’hui, elle souhaite par le partage de son histoire avoir « l’avènement d’une société juste en punissant sévèrement les auteurs de tels actes » Page 376.

3- Effacement de l’homme

Partant de ce que les femmes ont toujours été marginalisées même dans l’écriture, l’écriture féminine se pose comme un contre discours de l’établi. L’objectif ici est de fondre la suprématie de l’homme. Car elle est capable de grandes choses aussi. C’est dire que dans cette écriture, seront exposés les travers les plus obscures de l’homme pour montrer son caractère bestial lui retirant le statut d’homme réfléchi. C’est ce que fait à suffisance Lydie Biby Meghuiope dans « Ma beauté,…ma souffrance ! ». Elle fait une peinture assez sombre des hommes. Pour elle, ce sont des hypocrites, des profiteurs ou encore des « moins que rien ». Parlant de son mari par exemple, c’est la métaphore par excellence de ce que l’on ne souhaiterait pas voir sur son chemin. Elle nous présente un jeune homme d’une nonchalance à nulle autre pareille pendant ses années d’Université mais qui, montrera véritablement son caractère qui semblait récessif une fois qu’il aura gagné la loterie américaine. Elle affirme que « La maison est devenue mon lieu de torture, de violences physiques et d’abus multiformes » Page 175. Ceci traduit à suffisance l’état bestial de son mari. Un peu plus petite, à l’âge de cinq ans, elle a failli se faire violer par « un tonton » pour reprendre son mot. Et ce monsieur était un invité de la famille. Elle le souligne en ces termes : « J’avais senti par deux fois, deux soirs différents dans mon sommeil, un corps lourd au dessus de moi. J’avais pourtant un sommeil de morte. Comme d’ailleurs tous les enfants de cet âge. Mais il a fallu qu’il vienne m’écraser avec son lourd corps déjà dévêtu. Il gardait encore sa culotte heureusement. » Page 28. Cette peinture chosifie finalement le genre masculin. Un adulte qui essaye de violer une enfant de cinq ans n’est à proprement pas parlé, un humain. Aussi, sa tante Maman Kiki subit les violences et l’assaut des coups de poings de son mari. Ce qui va par la suite conduire au divorce qui, pour sa tante, sera une sorte de libération. D’où le constat de la page 31 : « Il faisait bon pour ma tata de goûter aux délices de femme libérée… ».

A l’université de Ngaoundéré, la représentation de l’homme n’est toujours pas reluisante. Lydie Biby Meghuiope nous présente des enseignants spécialistes de ce qu’elle a appelé « les notes sexuellement transmissibles ». Elle subit l’assaut d’un enseignant qui va aller jusqu’à participer à son échec.

Au bout du compte, à chaque fois que Lydie Biby Meghuiope nous présente un homme, c’est sous le prisme d’une représentation négative. Il en est de même de la figure du père qui, à sa naissance, a fait preuve d’irresponsabilité en abandonnant sa mère (les deux étant encore élèves). De l’Afrique en Europe, les comportements des hommes semble identiques car son oncle présent en Europe l’a abandonné à elle-même dans un pays inconnu d’elle à son arrivée or, il était sensé l’accueillir. Voilà qui peint une fois de plus en noir la représentation de l’homme.

Finalement, on est en droit de se demander si elle ne milite pas pour un effacement complet de l’homme. Une femme libérée de ses chaines ne voudrait plus y retourner. Les influences psychologiques qui constitueraient des motifs de rejet du genre masculin sont légions dans cette œuvre.

4- Recours permanent à la sororité

Convoquer la sororité ici, c’est évoquer le fait que la femme aime bien dans ses écrits se confier à la femme. De Mariama Bâ à travers Une si longue lettre à Calixthe Beyala dans Tu t’appelleras Tanga, on constate une tendance à la confidence. La femme aime bien se confier à une autre femme. Elle expose son problème à une autre femme. Cette tendance n’a pas échappée à Lydie Biby dans « Ma beauté,…ma souffrance ! ». Elle écrit plusieurs lettres dans ce livre pour se confier à une amie qu’elle considère comme sœur. Prenant en considération ses souvenirs à elle consignés en lettre et les notes de sa mère, cette œuvre a douze lettres. Environs sept échanges. Dans ses lettres, pour la plupart, il est question de ses déboires, sa souffrance, son vécu quotidien. C’est une manière pour elle de se libérer en prenant son amie comme « une épaule sur laquelle pleurer ». On peut le voir lorsqu’on lit cette lettre :

« A Pat, mon épaule sur qui pleurer : Pat, tu seras très surprise, mais c’est la vie. Je mes suis séparée de mon mari très bêtement, mais irréversiblement, ce sont des choses qui sont difficiles à expliquer mais tous ces problèmes ont tournés autour de la personnalité de mon mari, lui-même n’étant pas sûr de lui, il doutait beaucoup et cela le rendait jaloux, méchant et aigri et ensuite il a été fortement manipulé par sa famille. Je t’épargne pour l’instant des détails qui t’irriteront davantage. […] » Page 181.

Plusieurs pareilles se multiplient au fur et à mesure qu’elle rencontre des difficultés. Cette méthode ; la confidence, est utilisée généralement par les psychologues pour amener le patient à s’ouvrir pour se soigner. C’est ce que fait généralement l’écriture féminine et Lydie n’est pas en reste dans cette production autobiographique. Pour clore cette articulation, le constat fait dans ces lettres est la longueur des phrases. Ceci montre que nous sommes en face d’une femme qui parle à une autre sans retenu.

III- SPECIFICITE DE L’ECRITURE DE « Ma beauté,… ma souffrance ! »

Dans cette articulation, il est question pour nous de montrer l’originalité ou encore ce qui fait la particularité de Lydie Biby Meghuiope dans cette œuvre.

1- Des problèmes de femmes à la critique sociale en général

« Ma beauté,…ma souffrance ! » de Lydie Biby Meghuiope est d’une originalité à saluer quant à l’écriture féminine. Généralement, c’est une écriture qui se cantonne à exposer les problèmes de femmes. Comme on peut le voir, cette œuvre ne se défait pas de cet objectif reconnu à l’écriture féminine. Elle le fait si bien au travers de l’histoire autobiographique qui construit la trame de ce roman. Les thématiques tournent autour de la critique des grossesses précoces, la critique du forcing des mariages endogamiques, la critique des positions des belles-mères dans le choix du conjoint ou encore la critique de la place des familles dans la gestion des couples, la critique de la parenté irresponsable. Ces problématiques sont bien celles de femmes. Lydie Biby Meghuiope aborde aussi la question de la beauté. Généralement, les « femmes belles » sont sujettes à de problèmes divers ; des préjugées aux harcèlements en passant par le rejet. Elle le souligne fort bien à la page 138 en ces termes : « Etre belle chez nous, c’est surtout lutter pour se trouver une place parmi les personnes normales, c’est lutter contre l’étiquetage collectif, contre les accusations non fondées, contre les préjugées aiguisés et partiellement têtus ». Cette œuvre est assez originale parce qu’elle va au-delà des problèmes de femmes pour s’intéresser à la société toute entière. Ceci dit, elle ne saurait être réduite essentiellement à l’écriture de féminine qui ne s’intéresse qu’aux problèmes de femmes. Comme on le voit, dans « Ma beauté,…ma souffrance ! », l’auteur au travers de son histoire pose les problèmes liés à l’immigration clandestine ; ces problèmes caractérisés par le rejet de l’autre. Elle le souligne sous forme de regret dans une articulation qu’elle a choisi de nommer au chapitre IV « L’épopée Européenne ». Dans ses regrets, elle affirme à la page 113 : « Je commençais à comprendre que je m’étais trompée de lieu, moi qui avait construit durant quelques années mes convictions profondes selon lesquelles mon pays ne m’avait pas donné ce que j’allais retrouver ailleurs, cet ailleurs qui me repoussât impitoyablement ». A la même page, elle ajoute : « Cet ailleurs était dur, préférant me montrer ses lois, ses rigueurs, sa violence muette, d’où j’ai tiré au fond de mes tripes l’expression « dans le mot souffrance, il y a la France », je ne pouvais pas concevoir la France sans souffrance » Aussi, elle s’intéresse aux problèmes que traversent les enfants uniques. Ces enfants qui n’ont pas toujours de conseiller, d’épaule sur qui pleurer en cas de difficulté. Elle le mentionne fort bien de la page 113 à 114 en ces termes : « Dans la vie d’adulte, les enfants uniques maquent impitoyablement d’appuis sûrs sur qui compter. Je le découvris ainsi à mes dépends. Je n’ai pas toujours eu des épaules sur qui pleurer… ».

La critique de l’hypocrisie et du mensonge n’est pas en reste. Il s’agit bien là d’un dépassement des problèmes de femme pour une critique sociale tout simplement. Cette critique peut se percevoir au travers des déclarations telles que : « Je n’ai toujours pas eu les gens sincères et désintéressées qui m’ont accompagné dans ce que j’appelle les combats de ma vie ». Page 114. Au final, ce qui confère à cette œuvre une singularité est la place qu’elle accorde à l’école comme étant le lieu de socialisation des individus. De l’école, elle affirme à la page 67 qu’elle est « le miroir de ce qui se vit dans les différents milieux de vie ».

Tous ces éléments mis ensemble donnent à cette œuvre une particularité associant aux problèmes de femmes, ceux de la société toute entière. Elle s’adresse aux femmes et aux hommes, bref aux Hommes. L’auteur le mentionne d’ailleurs : « Le travail au Centre Vie de Femmes s’adresse aux femmes et aux hommes pour déconstruire le système en cours, il faut s’adresser bien aux victimes qu’aux auteurs de viol. […] Le but visé est l’avènement d’une société juste en punissant sévèrement les auteurs de tels actes » Page 376.

2- Du refus de la réappropriation du corps dans l’affirmation de soi

Dans Une si longue lettre (1981), Mariama Bâ à la page 7 déclare : « C’est à nous, les femmes, de prendre notre destin en main pour bouleverser l’ordre établi à notre détriment et de ne point le subir ». Par cette affirmation, elle entend briser le silence et se faire entendre dans une société patriarcale. Ainsi, chaque auteure pour s’affirmer choisit un axe. Chez Calixthe Béyala par exemple, dans Tu t’appelleras Tanga, le corps possède un langage à travers lequel il s’exprime et qui lui est particulier. Parce qu’on note une récurrence des mots « corps » et « chair » dont le texte est émaillé. En effet, notre romancière s’en sert pour exprimer ce que les mots ne peuvent exprimer. Plusieurs techniques scripturales dans le texte contribuent à ce vaste mouvement langagier où le corps et tous ses membres sont sollicités. Cette expression du corps se voit dans l’œuvre également à travers l’usage des formes non-verbales de la communication perceptibles à travers le regard, la gestuelle lorsque la romancière veut montrer de façon silencieuse les sentiments d’amour que Tanga éprouve pour Anna-Claude « Tanga la regarde. Œil fixe, élargi. Lèvres cisaillées. » Page 60, « Leurs corps s’enlacent. Anna-Claude pleure. Tanga trace un sur son cou et son flanc des sillons de tendresse. » Page 65. Comme on le voit, Calixthe Béyala fait de l’écriture du corps un élément d’affirmation de soi car celui-ci confère à la femme un pouvoir. Cet avis n’est pas partagé par Lydie Biby Meghuiope dans « Ma beauté,…ma souffrance ! » car elle réfute toute idée d’appropriation comme arme de combat ou comme élément de domination de la femme. On le voit lorsqu’elle refuse de la relation intime avec son enseignant pouvant lui conférer les points. Pour elle, son corps est sacré elle affirme : « Je m’étais fait quelques principes fondamentaux pour ma vie, j’avais des principes qui reposaient sur des valeurs qui m’étaient chères. J’y croyais dur comme fer » Page 145. Malgré toutes les menaces encourues, elle n’a pas cédé aux « fameuses notes sexuellement transmissibles » (P.138). C’est dire que pour elle, le corps n’est pas une arme comme le postule Calixthe Béyala. Or elle pouvait bien s’en servir pour arriver à ses fin comme « les filles aimant la facilité choisissent ce chemin là avec les conséquences qui leurs sont propres » P. 138 mais elle s’est refusée dans ce jeu où le corps n’est pas sacré.

3- Dynamique du genre autobiographique : insertion du genre épistolaire

« Ma beauté,…ma souffrance ! » comme nous l’avons dit plus haut, relève de l’autobiographie. C’est un roman écrit à la première personne du singulier qui donne un rythme haletant au livre. La narration est rapide, rythmée et digne des films d’action Nigérian. Le rythme effréné du roman ne laisse pas le temps de reprendre son souffle. Le style nous semble personnel, le personnage a du corps et de l’âme et, très vite, on a envie de la suivre, de savoir où elle va. Dans ce roman, on constate une dynamique des genres qui lui confère une certaine originalité. Ainsi, l’esthétique de celui-ci se trouve dans sa capacité à concilier plus d’un genre. Lydie Biby Meghuiope dans ce roman combine deux genres propres à l’écriture féminine : l’autobiographie et l’épistolaire. Dans ce roman autobiographique, douze (12) lettres en plus des notes laissées par sa maman l’accompagnent. Ce roman a donc tout pour entre dans le canon esthétique de l’écriture féminine.

4- Valorisation de l’intellect comme arme de combat

Dans « Ma beauté,…ma souffrance ! » de Lydie Biby Meghuiope, l’intellect a une place de choix quant à la réussite. Elle nous montre la persévérance comme une qualité. De ses nombreuses années d’attente (6 ans au total) pour avoir enfin le baccalauréat, elle a pu arriver au Master en sociologie et en Gestion de Ressources Humaines. Ce parcours pas évident lui a fait connaître les misères les plus sombres de sa vie. Mais au final, son projet de connaître la sociologie s’est réalisé. Face aux multiples problèmes, elle a déclaré à la page 117 : « Je me suis convaincu de vouloir étudier la sociologie, pour comprendre les relations de cause à effet, pour comprendre ce qui pouvait motiver les uns à faire ci et non ça et pas les autres. ». Elle ne s’est pas arrêtée là. Bien qu’étant mariée avant son divorce, elle continuait ses études en Gestion des Ressources Humaines. C’est dire que pour elle, la femme doit se positionner au travers de son « bagage intellectuel ». La preuve aujourd’hui, elle l’affirme à la page 381 : « C’est exaltant, les femmes m’écoutent, les hommes aussi. Je suis devenue un modèle. Enfin j’inspire, je suscite les vocations. J’ai gravi les échelons dans la société et personne ne se doute de mon entourage d’où je viens, mes tribulations, mes longues années de pleurs, mes craintes, mes doutes, on ne voit que la belle grande dame que je suis devenue. ». Et à elle d’ajouter à la page 383 : « Par mon travail, dans mes divers champs, je côtois autorités et divers partenaires, je suis invitée à intervenir à des séminaires, à des diners débats, à des tables rondes, à des émissions radiodiffusées, pour apporter mon expertise, de façon locale et régionale. ».

Conclusion

Au demeurant, il était question pour nous d’analyser une œuvre féminine. Pour le faire, nous avons choisi comme corpus le texte de Lydie Biby Meghuiope intitulé « Ma beauté,…ma souffrance ! ». Nous sommes partie d’une présentation du texte aux spécificités de celui-ci en passant par les caractéristiques qui font d’elle une œuvre féminine. Nous avons constaté que cette œuvre correspond bien de par ses éléments, à l’écriture féminine. Ces éléments sont entre autres le féminisme, le recours à l’autobiographie, l’effacement de l’homme et la sororité. Comme spécificité, nous avons constaté que Lydie Biby part des problèmes de femmes à la critique sociale en général, qu’elle refuse la réappropriation du corps dans l’affirmation de soi comme le font certaines auteures féminine, qu’elle procédait dans son texte à une sorte de dynamique des genres et enfin, nous avons vu que ce texte milite pour une valorisation de l’intellect comme arme de combat chez la femme.

Mohamed DIM

Mohamed DIM est fan de lecture, de musique classique, chrétienne et hip-hop, auteur du recueil « Nulle part : D’ici et d’ailleurs » et attaché culturel au sein de l’association Auteurs Solidaires du Cameroun (ASC).

Bibliographie

Calixthe Béyala, « Tu t’appelleras Tanga », Paris, Stock, 1998.

Elodie Carine Tang, « Le roman féminin francophone de la migration », L’Harmattan, 2015.

Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse », 1975, P.37

Lydie Biby Meghuiope, « Ma beauté,…ma souffrance ! », Edilivre, 2015.

Mariama Bâ, « Une si longue lettre », Munich, Heinemann, 1981.

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