« Le poulet de la discorde et autres autofictions », Colbert Tatchégnon DOSSA

« Le poulet de la discorde et autres autofictions », Colbert Tatchégnon DOSSA

INTRODUCTION

Les relations interpersonnelles peuvent parfois s’envenimer et, pour un rien, la mésentente et les conflits peuvent naître. On ne le soupconnerait peut-être pas, mais même une simple bestiole, un poulet peut être source de différend. Chez Tachégnon le poulet ne fait pas que picorer et pialler, ça peut diviser ; chez lui, la femme a un là-bas qu’il n’est pas donné à n’importe qui de découvrir ; les cancres de Colbert DOSSA sont capables de merveilles. L’univers de l’auteur-personnage déborde d’expériences nombreuses, curieuses et plus désopilantes les unes que les autres. Allons découvrir de quoi sont faites ses journées imaginaires. Allons voir jusqu’où peut voyager son imagination fertile et vagabonde.

RÉSUMÉ

« Le poulet de la discorde et autres autofictions » est un recueil de dix (10) textes autofictionnels écrits par l’écrivain béninois Colbert Tatchégnon DOSSA. Ci-après est résumé chacun d’eux.

1- Le poulet de la discorde

L’enseignant affecté à Parakou ne se contente depuis le début de son séjour que de repas frugaux. Dans son assiette, point de poisson, point de viande. Que ne donnerait-il pas pour un morceau de viande ? On immole enfin un poulet chez Yaï. Ça va être la fête ! Les papilles et l’estomac excités, il espère et attend impatiemment le repas du soir. Or rien, même pas une plume de volaille dans son assiette. Le voilà qui peste et maudit Yaï, les pères de ses pères, ses aïeux, sa lignée entière et toute la clique des Bariba. C’est Ouziz qui avait raison «Oui, les Bariba sont mauvais». Ces gens ne partagent avec personne leur viande. Mais quand la vieille Yaï lui présente les quelques morceaux de viande grillée qu’elle lui avait réservés, l’enseignant est confondu. Yaï est chrétienne et en bonne croyante, rien de ce qui a été servi aux faux-dieux ne franchit ses lèvres. Pourquoi offrirait-elle à  son hôte ce qu’elle-même dédaignait? Elle avait voulu avoir l’avis de l’enseignant. Celui-ci comprend enfin. Il s’était trompé. Les Bariba, ce sont de bonnes gens.

2- La femme et son là-bas

«Don wè xo lo te»: C’est là-bas que tout se joue. « Là-bas, toutes les femmes ont un là-bas », « un couvent dont elles restent les seules initiées, les seules prêtresses, les seules maîtresses ». Là-bas, c’est aussi le foyer. Après le mariage en grande pompe, les premières années d’amour fou, c’est le calvaire. Maman Fèmi et sa copine en savent quelque chose. L’une doit faire avec un mari déserteur et irresponsable, l’autre doit se contenter des visites éclair de son Salomon fantôme. Maman Fèmi tombe. C’est son propre mari qui l’a fauchée. Il devait être trop occupée à se rincer les yeux sur la poitrine de sa maîtresse pour remarquer que celle qui traversait la voie n’était personne d’autre que sa maman Fèmi.

  • Le procès du professeur au discours grossier et belliqueux

Le discours du professeur de français n’a pas plu à son collègue. Comment peut-il déprécier devant les élèves sa matière, son gagne-pain ? En conseil des professeurs, le professeur d’espagnol a exprimé vertement son mécontentement. L’auteur du discours belliqueux se dévoile et se défend. Ce qu’il pointe du doigt, ce n’est pas l’espagnol. C’est l’école en Afrique où, faute de laboratoire, on dessine l’eau iodée au tableau, où les langues nationales sont boycottées au profit de celles occidentales. Ce qu’il décrie, ce sont les tares de l’enseignement en Afrique.

  • Le secoureur

On ne récolte que ce qu’on a semé. La moisson de Djadja est plutôt succulente, de quoi lui donner envie de porter davantage de coups de main à son voisin et ami. Sam trompe sa femme avec une de ses élèves. Mais madame débarque à l’improviste. Que faire ? Il balance le « colis » à peine déballé par dessus le mur mitoyen. La fille, bousculée dans cette gymnastique forcée, fait tomber son iPad de 300. 000f. Elle est triste. Alors Djadja, le secoureur, la console et, un geste tendre appelant un autre, ils finissent au lit. Sam échappe au courroux de sa femme. Mais il ne pardonne pas à Djadja sa trahison. Les menaces de la fille n’arrangent pas les choses. Elle voulait un iPad neuf. Sinon…Sam est perdu et désemparé. Son mariage est menacé, il n’a pas assez d’argent pour offrir à la fille un nouvel iPad. Il est foutu. Il disparaît et tente de se suicider. On le retrouve et il échappe au pire. Djadja et un autre ami l’aident à mobiliser les 300. 000. Il est sauvé.

  • Le retardataire

Le professeur de français n’aime pas le retard. Il ne veut pas être le sujet de jactance des élèves. Il ne veut pas qu’on l’intègre dans le lot de ses collègues dont on dit « Même les professeurs sont en retard ». Ce matin-là, il se réveille à 7h10. Il est en retard, il s’affole, s’apprête, traverse la pluie, entre en classe. Il salue et s’excuse. Il écrit le sujet d’évaluation au tableau. Mais le professeur d’histoire- géographie débarque. C’est son horaire de cours. Le prof de français s’était trompé d’horaire. Il a cours normalement à 15h. Il est confondu mais sauve la face. Les élèves s’inquiètent pour lui. « C’est sûr, ce type a pété les plombs »

  • Délice et délire

L’amour sur Facebook, c’est dangereux. Les apparences ici sont toujours ou souvent trompeuses. Et gare aux hypersensibles et aux naïfs. Lui, il aime sa Câline même s’il ne l’a jamais rencontrée. Il garde espoir que telle elle est belle dans ses photos, telle elle le sera réellement. Il ne tarit pas de mots mielleux et romantiques pour lui conter fleurette. La Câline se fait désirer. Mais il tient bon. Il hallucine, il fantasme, il rêve d’elle. Quand il se réveille, il ne peut plus écrire à Câline. Son compte est bloqué. Tout va vite sur Facebook.

7- Les cancres

Le prof de physique-chimie a décrété que Tatchégnon est un cancre, qu’il n’a pas sa place sur les bancs d’une école. Mais plus tard, là où le même professeur Wègblo échoue à connecter un groupe électrogène à une installation électrique, Tatchégnon apparaît et la lumière fut.

8-  Remerciements insomniants

M.Kessa s’inquiète des remerciements répétitifs et intempestifs du pasteur. Pourtant il ne s’agit que de simples remerciements. L’équivoque, le point d’ombre et d’inquiétude réside dans la préposition « Sur ». Le pasteur le remerciait-il du travail abattu avec sa fille ou sur sa fille ? C’est le SUR qui l’inquiétait parce que lui, Kessa ne remplissait pas que la tête vide et inféconde de la fille du pasteur. Il remplissait bien d’autre trou, plus en bas.

9- Dan, le dispensateur de grâces et de tourments.

Quand on est concentré sur la poitrine de sa voisine, on peut en arriver à confondre Dan, le serpent et Dan, le village. Il n’était pas troublé que par les «Dan do hunwonmè» de la vieille. La poitrine « lisse et lourde » de sa co-passagère le met dans tous ses états. Elle descend et il regrette, il s’en mord les doigts. Il vient de louper une occasion en or.

10- Le discours interdit

Le professeur Guy Ossito Midiohouan n’aime pas qu’on déforme l’intitulé de son cours. Il exècre encore plus les discours défaitistes et fatalistes. Pourquoi l’Afrique serait-elle maudite? Quand Tatchégnon fait la grossière erreur de prononcer pareil discours, cela sort le prof d’Ecritures et identités en Afrique et dans le monde francophone de ses gonds. Il tance l’étudiant. Il lui ôte ces sottises de la caboche.

ÉTUDE THÉMATIQUE

Les thèmes abordés et développés par l’auteur sont légion. Le vivre-ensemble et les bonnes manières y sont éloquemment encouragés. Les préjugés ethniques, eux, sont farouchement combattus. En témoignent de nombreux passages qui font l’apologie de l’unicité des peuples. L’auteur va jusqu’à emprunter un chant de l’artiste béninois Don Metok qui magnifie les peuples du nord au sud. “Ayi tocemin kpon a Atun Maxinu lè a… Hun Anago agosin an Me lè nyin wannu gbeto…”

Dans La femme et son là-bas, l’auteur fustige la goujaterie des hommes et appelle à distinguer le mariage, célébration d’union du mariage fête, où on fait bombance. Il encourage la prise d’initiative par les femmes ( de quoi faire plaisir aux féministes). Parce qu’on a besoin de femmes-cheval, de femmes qui savent ce qu’elles veulent et travaillent loyalement pour l’avoir. L’amitié est célébrée. Les réseaux sociaux et leurs déviances sont décriés. En bon enseignant, l’auteur n’a pas oublié de révéler les tares de l’enseignement en Afrique et de s’offusquer contre les bassesses de ses collègues. Il n’a pas été tendre avec les enseignants à la culotte indisciplinée. Il appelle à la ponctualité et demande à ses collègues de révéler et d’entretenir les potentialités de leurs élèves. Le milieu universitaire et ses misères n’ont pas échappé à sa plume. Sa plume, bien aiguisée a touché a beaucoup de thèmes. L’amitié est célébrée lorsque Djadja l’ami traître se mue en ami sauveur (p 108). Il appelle à la ponctualité et demande à ses collègues de révéler et d’entretenir les potentialités de leurs élèves car « Tout le monde est un génie. Mais si on juge un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est totalement stupide» (p154). Pour finir, il acclame ceux qui l’ont formé et s’indigne contre les discours avilissants sur l’Afrique, de quoi exciter la volonté des uns et des autres pour la construction de notre cher continent : «Comment ai-je pu alors emboucher la même trompette que Victor Hugo, par exemple, qui se foutait pas mal de ce que certains intellectuels appelleront de l’universalisme et autres fadaises dites de valeurs de la mondialisation ?»(p208)

Les interjections (hein! , Hum!,Oh!, Tcho!, Hé!Ahhh!), les expressions locales (abokoun, lèwayi, gangan, kassom-bourou, ziyè, ochinon etc…), les proverbes du terroir fidèlement traduits en français

CONCLUSION

Cette œuvre, parue en 2019 aux Éditions Plurielles, est sans aucun doute de ces œuvres qu’on prend le plus grand plaisir à lire. Les titres assez évocateurs et accrocheurs y encouragent. Sans parler du style simple et léger. Sa lecture est une dégustation. L’auteur a su assaisonner son livre aux épices de l’humour et d’un vocabulaire simple. Les interjections, les expressions locales, les emprunts à d’autres œuvres sont ce qui tient le lecteur en haleine et excite son envie de déguster le livre. M. DOSSA n’apostrophe-t-il pas d’ailleurs le lecteur de temps en temps ? Impossible donc de s’ennuyer. L’œuvre, fluide, se lit vite. Les situations abordées et décrites ne sont pas extraordinaires et la touche humour qui les enrobe ne manque pas de provoquer l’hilarité du lecteur. Ce qui fait davantage le charme et l’originalité du livre est qu’il nous fait découvrir ou redécouvrir un sous-genre littéraire assez méconnu du grand monde. Le lectorat est sûrement plus habitué aux longs récits qui emploient passé simple et imparfait. Ici, le présent domine les débats. Mieux, l’auteur se met en scène. C’est lui qui fait et c’est encore lui qui narre. Tatchégnon est sur toutes les pages et nous offre l’occasion d’en savoir plus sur l’Autofiction. Pas grand-chose à reprocher à l’œuvre qui séduit assez par la qualité de l’édition, le prix abordable (3000fcfa seulement pour un tel joyau), et le doigté de l’auteur. On pourrait reprocher à M. DOSSA les emprunts répétés aux chants et autres ouvrages littéraires. Ça fait une belle publicité aux œuvres citées mais ça fatigue aussi. On veut lire Colbert Tatchégnon DOSSA, pas des extraits d’ouvrages d’autrui. Un extrait, ça aurait pu passer inaperçu. Mais leur répétition alerte et peut agacer. On félicite quand même l’auteur pour son honnêteté à citer l’auteur des extraits utilisés. On pourrait aussi reprocher à l’auteur la fin brusque et inattendue de certains textes qu’on aurait aimé voir se prolonger et offrir plus de rebondissements. Mais libre à l’auteur de faire de son œuvre ce qu’il veut. Quoi qu’il en soit, « Le poulet de la discorde et autres autofictions » est une œuvre qu’on ne regrette pas d’avoir lue. Ceux qui n’ont pas encore feuilletée les 211 pages devraient faire diligence. Il y a de la bonne humeur et du rire au rendez-vous.

Junior GBETO

 

×

Aimez notre page Facebook