« Xala » d’Ousmane Sembène ou La révolte des spoliés

« Xala » d’Ousmane Sembène ou La révolte des spoliés

Introduction

La période post indépendance est davantage marquée par un désir d’acquisition des parcelles de pouvoir par les nouveaux dirigeants et élites africains. Ayant longtemps critiqué la politique de domination occidentale, la nouvelle élite considérée comme fils authentiques du terroir semblait donner de l’espoir dans l’avenir tant défendu et rêvé des peuples africains. Toutefois, la gestion de ces dirigeants africains, loin de favoriser l’émergence politique et économique de leurs pays était plutôt orientée dans des politiques de gestion individuelle et égoïste.

L’œuvre littéraire « Xala » du grand sénégalais Ousmane Sembène entend revisiter les premières heures de la gestion des nations africaines et les nombreuses désillusions du peuple occasionnées par ses propres dirigeants. Ce livre nous entraîne dans un long voyage où la gabegie financière, la corruption, la polygamie, l’injustice semblent cohabiter aisément dans une société où les riches deviennent de plus en plus riches au détriment des indigents. La vengeance des défavorisés devient un recours pour manifester leur immense désarroi face à cette société de plus en plus cruelle.

  1. Biobibliographie de l’auteur

 

Ousmane Sembène est un écrivain, réalisateur, acteur et scénariste né le 1er Janvier 1923 à Zinguinchor en Afrique-Occidentale française. Il meurt le 9 juin 2007 à Dakar au Sénégal. C’est un écrivain qui est très connu pour ses œuvres portant sur les questions politiques et sociales.

Le jeune Ousmane, âgé de huit ans, entre à l’école Escale (actuel Collège d’enseignement général Malick Fall) qu’il quittera très tôt soit à cause de son indiscipline, soit de son exclusion de l’établissement. Renvoyé chez son oncle maternel, il fréquente l’école coranique. Vers les années 1936 où il se préparait pour le Certificat d’études à Dakar, il se fit une fois de plus renvoyé après une altercation avec le directeur de l’école qui voudrait leur enseigner le corse.

Durant cette période de renvoi, il exerça le métier de mécanicien et de maçon tout en s’intéressant à la chose cinématographique. Suite à la visite du Général de Gaulle au Sénégal en février 1942, le jeune Ousmane est mobilisé par l’armée française et intègre les tirailleurs sénégalais. Cette expérience difficile et douloureuse le marque profondément et favorise en lui la naissance de sentiments anticolonialistes.

Il embarque clandestinement en 1946 pour la France et débarque à Marseille, où il travaille en tant que docker. En 1956, il publie son premier roman, « Le docker noir » pour raconter son expérience de docker. L’année suivante, il publie « Ô pays, mon beau peuple ». Il publie de nouveau en 1960, son roman « Les Bouts de bois de Dieu » qui raconte l’histoire des cheminots et de la grève qu’ils ont déclenchée pour revendiquer leurs droits d’être traités au même titre que les cheminots français.

Après l’indépendance du Sénégal en 1960, Sembène Ousmane rentre en Afrique. Il commence alors à penser au cinéma afin de montrer à la face du monde les réalités africaines à travers les masques, les danses et les représentations. Pour mieux parvenir à cet objectif qu’il s’est fixé, il entre en 1961 dans une école de cinéma à Moscou. Il réalise dès 1962 son premier court-métrage « Borom Saret » (le charretier) suivi de « Niaye » en 1964. Au nombre de ces réalisations, nous avons « Le mandat », « Ceddo », « Camp de Thiaroye ».

Le 9 novembre 2006, quelques mois avant sa mort, il reçoit à la résidence de l’ambassadeur de France à Dakar, les insignes d’officier dans l’ordre de la Légion d’honneur de la République française. Il meurt à son domicile à Yoff le 9 juin 2007 des suites de maladie. Il est inhumé au cimetière musulman de Yoff.

Romans

  • 1956 : « Le docker noir»
  • 1957 : « Ô pays, mon beau peuple»
  • 1960 : « Les bouts de bois de Dieu»
  • 1962 : « Voltaïque»
  • 1964 : « L’Harmattan»
  • 1965 : « Le mandat»
  • 1966 : « Vehi-Ciosane, ou Blanche-Genèse ; suivi du Mandat»
  • 1973 : « Xala»
  • 1981 : « Le Dernier de l’Empire»
  • 1987 : «Niiwam, suivi de Taaw»

 

  1. Résumé de l’œuvre

Xala est un mot wolof qui désigne un sort jeté pour rendre mystérieusement impuissant un individu. El Hadji Abdou Kader Bèye, riche commerçant, convolait en troisième noce une jeune fille. Mais la nuit de miel devînt pour lui très tôt une nuit de fiel car il n’arrivait pas à consommer le mariage compte tenu d’une faiblesse sexuelle provoquée. Qui en est l’auteur et qui attaquer pour pouvoir sortir de cet engrenage honteux ? La consommation du mariage traditionnel, constitue le scellage principal de ce mariage. Doit-il répudier cette jeune femme au risque d’être considéré comme un homme impuissant ? Voilà un dilemme qui nourrira la trame de fond de cette histoire. Dans cette situation inconfortable, les premiers accusés furent évidemment les deux premières femmes d’El Hadji Abdou Kader Bèye. La présomption était fondée puisqu’elles étaient les plus touchées par ce mariage qui leur ravissait une fois encore leur mari. La Bediène, tante de la nouvelle mariée et principale protagoniste de ce mariage arrangé et forcé, décida de prendre la situation en main afin de se laver de cet opprobre qui se jetait sur sa famille.

Les nombreuses visites chez les marabouts se soldèrent en échec pour la plupart. D’autres plus habiles, profitaient de cette occasion pour s’enrichir davantage. Par l’entremise d’un voyant de renom, El Hadji Abdou Kader Bèye sut que son mal provenait de la méchanceté d’une personne de son entourage. Les suspicions grandissaient davantage en lui. Qui serait à la base de ce déshonneur. En effet, chacun avait une raison de le tenir dans cet état. Ses femmes par l’aiguillette de la jalousie meurtrière, des envieux, des défavorisés, etc… La liste longue et incertaine le rendait davantage triste. Voyant la souffrance morale de son patron, le jeune chauffeur l’aida à entrer en contact avec un grand marabout de la place. Celui-ci l’aida à se départir de ce mal mais lui précisa que tel qu’il a su si habilement le délivrer il pourrait le sceller davantage. Ayant reçu ses honoraires par chèque, il les laissa partir. L’immense joie de El Hadj le porta vers la nouvelle villa de sa nouvelle épouse afin de laver l’opprobre jeté sur lui par la non consommation de ce mariage. Grande fut sa déception quand il sut à son arrivée que celle-ci était en période et ne pouvait alors répondre à ses demandes. Feintes ou réalités, n’ayant aucune possibilité de vérification de ses allégations, il se dirigea vers sa seconde épouse qui le reçut avec joie.

 

  1. Les personnages
  • El Hadji Abdou Kader Bèye: Membre de la chambre du commerce, il est dans la cinquantaine. Ancien instituteur rayé du corps enseignant à cause de son action syndicale à l’époque coloniale, il se reconvertit dans le commerce. Polygame avec deux femmes et onze enfants, il entreprit de convoler en troisième noce. Il est l’acteur principal et est l’image des dirigeants africains avides de pouvoir et de domination sur la classe des prolétaires.
  • Adja Awa Astou : Première femme de El Hadji Abdou Kader Bèye, elle est l’image de la femme soumise et respectueuse. Mère parfaite et éducatrice, elle sait comprendre son mari et le supporte malgré toutes les situations désobligeantes.
  • Oumi N’Doye : Deuxième femme, elle est l’image de la femme acariâtre et opportuniste. Très jalouse, elle n’hésite pas à pousser ses enfants aux désirs des grandeurs et à la haine. L’amour de l’argent et du gain facile la poussera à délaisser son mari quand celui-ci fut dépossédé de ses biens.
  • N’Goné : Troisième femme, elle est la nouvelle mariée de El Hadji Abdou. Très jeune, elle est de la tranche d’âge de la première fille de son époux. Manipulée par les désirs opportunistes de sa tante (La Badiène), elle est forcée à prendre comme mari El Hadji dans un mariage arrangé contre son gré. Elle quittera très tôt son époux après plusieurs tentatives restées vaines de consommation du mariage. Elle sort finalement avec un jeune après les déboires qu’elle subit dans ce mariage.
  • La Badiène : Femme rusée et subtile, elle sait tirer les avantages de chaque situation. Elle construit à elle seule le projet de mariage de sa nièce avec le riche El Hadji Abdou. Très méfiante, elle soupçonne les deux épouses de El Hadji d’être à l’origine du déshonneur qu’est le Xala pour elle et sa famille.
  • Rama : Première fille de El Hadji, elle est à la charnière entre le monde traditionnel et moderne. Elle soutiendra moralement sa mère sans cesser de faire face à son père afin de lui manifester son mécontentement pour ce nouveau mariage.
  • Modu : Chauffeur personnel d’El Hadji Abdou, il est très fidèle à son maître et n’hésitera pas à lui venir en aide dans son désarroi. Il est l’image de l’ami fidèle capable d’être présent tant dans les moments de bonheur mais et surtout dans les moments de malheur.
  1. La thématique
  • Le mariage traditionnel
  • La polygamie

L’œuvre Xala de Sembène Ousmane, nous aide à porter un regard critique sur les affres de la polygamie. Souvent présentée comme signe de richesse et d’aisance, la polygamie est à la base de la destruction des familles. Les propos que Sembène prête à Rama dans cette œuvre sont fortement illustratif : « Un polygame n’est jamais un homme franc », P 30. En effet, vivre dans la polygamie c’est cultiver une vie de duplicité constante afin de satisfaire toutes les femmes que l’on a à sa charge. Elle favorise aussi des dépenses exagérées pour combler le manque d’amour et de temps non consacrés aux enfants. La multitude des enfants d’El Hadji Abdou Kader Bèye semble souffrir pour la plupart d’un manque d’éducation sévère et rigoureuse, rôle que devrait assumer un père de famille auprès de ses enfants.

 

  1. Le contexte d’émergence, la portée et l’actualité du livre

Cette œuvre vient dans un contexte d’indépendance des pays africains de la tutelle occidentale. Vivre sous des dirigeants de sa propre race était une lutte de jadis portant plein d’espoir car cela favoriserait une plus juste répartition des biens et des richesses du pays entre les diverses classes de la société. Mais l’avidité des nouveaux dirigeants africains semblait détruire ces rêves jadis portés par tous. L’œuvre « Xala » de Sembène Ousmane, vient rappeler aux dirigeants africains leur mission première qui est et demeure la revalorisation de l’homme noir bafoué par le système colonial. Loin d’être une course d’enrichissement personnelle, le pouvoir doit être au service du peuple africain et de toutes les classes sociales et plus particulièrement celle défavorisée. Dans cette œuvre, Sembène Ousmane continue par rappeler à nos dirigeants actuels d’établir une politique visant le bien commun et non une ambition égoïste et démesurée. La voix du peuple souvent faible, se fait de plus en plus haute lorsqu’il est dépassé par les déboires de ses responsables. La révolte des indigents à la fin de cette œuvre voudrait être écho au ras-bol des populations souvent reléguées en seconde zone. Dans une société urbaine marquée par l’extrême richesse des uns et des autres, il est ici important de revoir la gestion des biens pour un juste partage entre les membres de la société.

  1. Critique du livre

L’œuvre « Xala » est un livre de 190 pages qui se laisse lire aisément. L’auteur parvient à tenir en haleine le lecteur à travers le suspens qu’il garde merveilleusement sur la provenance de ce mal. Tant de suspect probable à cause des divers mobiles. Tel un roman policier, le lecteur se retrouve dans une quête du responsable de ce mal en essayant d’imaginer à chaque instant celui qui serait capable d’une telle méchanceté. Cette enquête sortant des normes traditionnelles de la raison se situe davantage dans un monde de mysticisme et de magie noire.

Toutefois, la fin de l’œuvre semble incomplète. Sembène Ousmane laisse une très grande ouverture dans l’œuvre en donnant au lecteur une faim sur la suite de l’histoire. Est-ce que El Hadji Abdou Kader Bèye se convertira après cette correction humiliante et ce délaissement de ses amis ? Quelle serait la récompense de l’épouse qui demeure fidèle et compréhensive dans les moments les plus durs de la vie conjugale ? Autant d’interrogations qui demeurent sans réponse pour le lecteur.

 

  1. Conclusion

Ce livre qui nous porte dans l’univers de la polygamie et des nombreuses affres qu’elle crée au sein des familles est un appel pour chacun de nous. Un appel pressant à reconstruire les bases de nos familles, condition d’une société équilibrée et saine. L’entretien de la famille ne doit pas aussi occulter celui de la société et des nombreux défavorisés qu’elle comporte. De la société traditionnelle qu’est la famille à celle plus grande qu’est la société, il urge d’entretenir les deux. Nous pouvons retenir de ce livre qui finit sans une conclusion agréable que la vie bâtie sur du faux et de la maltraitance des pauvres finit par payer. La vie de chaque personne compte et ne peut pas être brisée face aux intérêts égoïstes et inhumains.

 

  1. Quelques citations

 

  • « C’est avec la vieille marmite que l’on prépare de bonnes soupes » P.15
  • « On ne conseille pas à un borgne de fermer un œil. Pas plus qu’on indique à la main où se situe la bouche » P.18-19
  • « Un polygame n’est jamais un homme franc » P.30.
  • « L’amour se nourrit de la présence de l’autre » P.104
  • « Pour avoir la faveur de son homme, une épouse en compétition se doit d’avoir comme cible les deux centres vulnérables du mâle : le ventre et le sexe. Et aussi savoir se faire désirer ; être féminine avec un soupçon de pudeur. Et au lit, être sans gêne : la gêne n’enfante que le regret. » P.96

 

Elisée DAH,

Philosophat Saint Paul de Djimé.

 

 

×

Aimez notre page Facebook