Introduction
Amadou Hampaté Bah, dans Aspects de la civilisation africaine affirmait : « L’abandon de nos langues nous couperait tôt ou tard de nos traditions et modifierait tôt ou tard la structure même de notre esprit. Ce serait amputer irrémédiablement l’humanité d’une de ses richesses, d’un style de vie profondément humain, fraternel et équilibré, de plus en plus rare dans l’humanité moderne ». Cet écrit était comme un cri d’alarme pour montrer l’importance de nos langues nationales et ce qu’il adviendrait si jamais nous la méprisons, pire, l’abandonnons. Mais pourquoi il est si important de retrouver ses origines, mieux de maîtriser sa langue maternelle ? Quelles conséquences si cette langue est abandonnée au profil des autres ? Comme pour répondre à cet appel, cet auteur congolais, Moussibahou Mazou, dans Babingo au nom des acculturés, qui est son 3è livre, fait ce plaidoyer pour l’instauration des langues nationales dans le système éducatif. Allons à la découverte de ce roman à thèse.
Résumé du livre
Alex Babingo est garçon unique d’une famille, dont le père Papa Makouta indigène évolué dans l’administration du Moyen Congo –territoire français à l’époque- interdisait à tous les membres de la famille de s’exprimer dans une langue autre que le français ; faisant ainsi de ce dernier, la langue maternelle de la famille. Babingo, en grandissant, dut se rendre compte de l’acculturation que revêtait la consigne de son père et décida d’apprendre à s’exprimer, à l’insu de ce dernier, en kituba, un des dialectes les plus utilisés du pays. Mais cette décision ne fut plus qu’une étape vers l’atteinte de son nouvel objectif : l’instauration des langues nationales dans le système éducatif du pays. Un objectif dont la réalisation nécessita un retour aux sources et bien de sacrifices auxquels, Babingo, n’hésita à consentir.
Etude des personnages
Alex Babingo (Intu Ngolo Babingo) : personnage principal de l’ouvrage, son acculturation à la langue française l’amena à mener des actions pour l’instauration des langues nationales dans le système scolaire de son pays.
Paul Makouta : père de Babingo, indigène évolué, il interdit à tous les membres de sa famille, de parler autre langue que le français.
Madeleine Mamatouka : épouse de Paul Makouta et mère de Babingo.
Tessa : amie d’enfance de Babingo, elle apprit à ce dernier quelques rudiments du kituba. Aussi l’aida-t-elle pour l’instauration des langues nationales dans le système scolaire.
Kiéli Mafouta : tante de Babingo, elle accueillit ce dernier avant le départ de celui-ci pour la France.
Kassissi et Massissi : filles de Kiéli Mafouta, cousines de Babingo. Ce sont elles qui lui font visiter Brazzaville lors du bref passage de celui-ci chez sa tante.
Galin Doite : ami de Paul Makouta, il devint tuteur de Babingo lorsque celui-ci fut envoyé en France poursuivre ses études.
David Dupont : proviseur du collège du Sacré-Coeur à Bagnères-de-Bigorre en France, où Babingo fit ses études du 1er cycle au secondaire.
Ingrid Jondottir : compagne de Babingo, ils eurent ensemble un enfant.
Mwana Yu Kikimayo Didrik Alexson : fils de Babingo et d’Ingrid.
Jon Einarson : père d’Ingrid.
Eleina : mère d’Ingrid.
Nga Babatolé : devin du village d’Odiba.
Makolondinga : représentant du lignage dont est issu Mamatouka, la mère de Babingo.
Nga Mpandu : guérisseur du village d’Odiba qui initia Babingo à la médecine traditionnelle.
Maurice Okima : syndicaliste et compagnon de Tessa.
Kamanga : chef d’Etat déchu.
Dieudonné Matoungoulou : nouveau chef d’Etat.
Balossa : super ministre, chargé de la santé, du travail, de l’éducation, de la jeunesse et des sports.
Pindi : ministre des affaires territoriales.
Sana : journaliste au canada, amie de Tessa.
Etude des thèmes
Acculturation
C’est le thème principal du roman. L’acculturation se définit comme le processus par lequel une personne assimile une culture étrangère à la sienne. Dans l’ouvrage, l’auteur aborde l’acculturation par la langue, à travers le personnage de Papa Makouta qui, en interdisant à sa famille de parler autre langue que le français, les acculture à la langue étrangère : « Chez nous, mes parents, et plus précisément mon papa nous interdit de parler une autre langue que le français. Il ne veut pas que nous ayons un accent bantou en parlant la langue française. Il dit aussi que si nous ne nous habituons à nous exprimer en français à la maison, nous aurons du mal à suivre les leçons à l’école. « La consigne de papa est stricte. Quiconque parmi nous essaierait de parler le téké, la langue du village ou le kituba la langue véhiculaire d’ici avec les domestiques, serait sévèrement puni. Tout le monde doit suivre la consigne », p.23.
Le pouvoir politique en Afrique
L’auteur peint dans les pages 187 à 204, le pouvoir politique en Afrique, longtemps marqué par la venue au pouvoir de dirigeants dont la seule préoccupation est de perdurer sur le fauteuil présidentiel, qui serait « très juteux ». Ce type de dirigeant est illustré ici par le personnage du Président Kamanga. Comme nombre de chefs d’Etats africains, Kamanga envisageait asseoir un régime dictatorial par l’instauration du parti unique, les arrestations arbitraires et autres : « … Encerclés par une patrouille de gendarmes armés à matraque, les manifestants ne purnte mettre à exécution leur dessein de tenir un meeting à la bourse du travail. Ils décidèrent alors de marcher sur le palais du gouvernement. Mais comme il fallait s’y attendre, le mouvement avait été stoppé net par les forces de l’ordre visiblement déterminés à réprimer toute tentative d’émeute », p.188. Mais c’était sans compter sur la détermination des syndicalistes (dont l’un des guides était Maurice Okima, le compagnon de Tessa) qui ont tôt fait de manifester leur mécontentement et ont réussi à mettre fin, avec l’appui des forces de sécurité et de défense, au mandat de Kamanga en faisant démissionner ce dernier : « Le président Kamanga dut se défaire des multiples mandats qu’il accumulait. L’homme était en effet à la fois Président de la république, président du parti, député et maire de la capitale », p.203.
La culture et les traditions africaines
La culture et les traditions sont l’ensemble des valeurs, croyances, coutumes, habitudes et modes de pensée d’une civilisation, transmise de génération en génération. En Afrique, ces valeurs ont une place importante dans le quotidien et tout en long de l’ouvrage, l’auteur en parle, que ce soit par les langues nationales, la circoncision et les autres rites auxquels Babingo veut soumettre son bébé, la consultation régulière des oracles par Papa Makouta avant toute entreprise ou encore la médecine traditionnelle que Nga Mpandu enseigne à Babingo : « Ce sera avec la permission des dignitaires responsables de ce sanctuaire que je t’initierai aux vertus curatives des plantes qui guérissent des maux que parfois la médecine moderne est incapable de soigner », notifia le guérisseur à son nouveau protégé » p.151.
Conclusion
Mazou a su aborder par cet ouvrage, un des grands maux dont souffrent les sociétés africaines depuis un certain temps. L’acculturation persiste dans nos différents pays sous plusieurs formes : la langue, la médecine, le mode de pensée, l’habitude vestimentaire et bien d’autres encore. Ce livre nous renseigne sur la nécessité de mettre fin à ce fléau et précisément le bien-fondé de l’instauration des langues nationales dans le système éducatif des pays africains car, « la langue est porteuse de toutes les valeurs », p. 30. Ecrit dans un style simple et fluide, ce livre nous invite à croire qu’aucun développement n’est possible sans un retour au patrimoine culturel. C’est en cela que William Sassine, écrivait à la page 134 dans Saint Monsieur Baly: « L’alphabétisation, puis les études dans une de nos langues nationales, m’apparait de plus en plus comme la solution la plus simple et la plus profonde de notre déculturation ».
Ariel Migan
Etudiant en 1ère année de Sciences Juridiques à la Faculté de Droit et de Sciences Politiques (FADESP) de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC).