LaRéus Gangoueus: « Bloguer, c’est partager »

LaRéus Gangoueus: « Bloguer, c’est partager »

 

BL : LaRéus Gangoueus. Voici un nom que plus d’un amoureux « branché » de littérature a déjà au moins une fois entendu, tellement l’homme qui le porte fait parler de lui. Ça reste toutefois un nom que d’aucuns ignorent encore. Bonjour Gangoueus. Merci de nous accorder cette interview. Veuillez vous présenter.

LG : Tout d’abord, je vous remercie de m’accorder la parole pour parler de mon blog littéraire. Une aventure qui a commencé le 27 juin 2007. Gangoueus est un nom de scène pour le web. Je m’appelle Réassi Ouabonzi. Dans le monde réel, je suis consultant en Informatique. Je réside en région parisienne. La littérature est une passion que j’entretiens depuis mon adolescence.

BL : Star du blogging africain francophone, vous vous spécialisez dans le domaine littéraire. Pourquoi la littérature, sachant que l’homme n’est ni professeur de lettres ni rien de très proche du monde littéraire, apparemment ?

LG : Star du blogging francophone, je ne sais pas. Même si j’ai été finaliste à deux fois finalistes du BOB (Concours international de blogs organisé par la Deutsche Welle) en 2009 et 2010. Pourquoi la littérature ? Parce que j’aime les livres et que je m’exprime sur un monde que j’explore chaque jour. La fiction principalement. Sur mon blog, je parle de ma passion. On n’a pas besoin d’un titre, d’un diplôme pour parler d’un sujet qu’on aime, d’un hobby.

BL : Loin de garder pour vous seul le plaisir des Lettres, vous le distillez et le faites savourer à une foule immense de gourmands de littérature. L’outil que vous avez choisi pour ce faire n’est rien d’autre que le blogging. Pourquoi ce choix ?

LG : Une opportunité. A partir de 2005, le web 2.0 a commencé à prendre le pas sur les anciennes plateformes comme les forums communautaires. Le blog a permis la mise en place d’espaces personnalisables sur le web avec une certaine souplesse sur le plan technique et la possibilité d’interagir avec un public. Beaucoup de blogs de grands lecteurs sont nés à cette période sur différentes comme Blogger, WordPress, Canalblog, Overblog, etc. Bloguer, c’est partager.

BL : Le blogging comme outil de promotion de la littérature dans une Afrique grandement inculte en matière de numérique et où l’accès à internet reste un luxe pour beaucoup, n’est-ce pas selon vous un pari risqué ?

LG : Je n’aime pas le terme d’inculte. Parce que c’est inexact. Les plateformes comme Mondoblog ont prouvé que des centaines de jeunes africains pouvaient s’emparer de cet outil. Il fallait juste leur mettre le pied à l’étrier. Non, ce n’était pas un pari. Parce qu’au moment de créer mon blog, l’intention première n’était pas d’interagir avec un public africain. Je voulais partager mes lectures sur le web. Et surtout les partager avec des blogueurs littéraires francophones. Les trois premières années de mon blog ont été des moments où j’avais envie de convaincre les grands lecteurs qui étaient autour de moi de la spécificité et de la qualité des littératures africaines. Ce qui est intéressant, c’est que le lectorat africain a été présent dès le début. En particulier les lecteurs d’Afrique de l’ouest (Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin d’abord…)

BL : Vous tenez quand même le pari et relevez vaillamment et infatigablement le défi depuis 2007 par le biais du très célèbre blog « Chez Gangoueus ». Parlez-nous de la genèse de ce blog et de ses principaux objectifs.

LG : Je me suis déjà exprimé sur la genèse de ce blog. Vous savez, un blog n’a pas d’autres objectifs précis que de parler d’une passion. C’est une prise de parole citoyenne, une volonté de raconter une histoire à partir d’un angle précis. La mienne porte sur mes lectures. Elles étaient cosmopolites au départ, avec une dominante afro-descendante. Les circonstances m’ont implicitement amenées (rencontres, émissions, événements littéraires) à me centrer sur les lettres africaines et celles de la diaspora africaine.

BL : Le livre aujourd’hui confronté à plusieurs difficultés, tente tant bien que mal de survivre et de prospérer. Internet, le web, le numérique s’offrent en belles aubaines. Spécialiste de l’informatique que vous êtes, dites-nous quels avantages l’outil informatique présente aujourd’hui pour la promotion de la littérature ?

LG : Peut-être parce que je suis informaticien, je crois au livre numérique. Je crois en l’édition numérique et les nouvelles possibilités que celle-ci offre pour avoir accès au livre. Il faut dire que la chaine classique du livre papier a montré toutes ses limites. En termes de distribution, de diffusion, d’espace de ventes. Cette faillite est totale dans les espaces nationaux du continent africain, de manière générale. Mais elle enferme également la littérature dans des carcans nationaux qui poussent les auteurs à publier leurs ouvrages à Paris ou plus largement en France pour avoir une reconnaissance d’abord en France, mais aussi en Afrique en dépassant les frontières. Le livre numérique n’est pas soumis à ce type de contrainte. Un texte publié au Bénin, peut être lu n’importe où dans le monde s’il est numérisé et disponible sur une plateforme d’édition numérique efficace. J’aime comparer l’émergence de l’édition numérique dans le monde du livre africain à l’arrivée du smartphone dans les télécommunications africaines. Et à la manière avec laquelle la téléphonie mobile a pallié aux insuffisances criardes du téléphone fixe.

 

BL : Évidemment, cela présente aussi des risques. Tant de contenus sont relayés sur les plateformes numériques aujourd’hui, et la tentation de préférer un banal post de divertissement à une chronique de Chez Gangoueus est grande. Quel est votre secret pour maintenir la barre toujours haute, gagnant chaque fois plusieurs dizaines d’abonnés ?

LG : il n’y a pas vraiment de secrets parce qu’en fonction du social media qu’on utilise, le mode de communication pour présenter un article va différer. Je ne pense pas avoir la bonne méthode.

BL : Gourmand de littérature que vous êtes, c’est sans grande surprise que vous offrez au lectorat votre nouvelle Bonjour! contenue dans le recueil Sous mes paupières – extérieur vies paru chez l’Harmattan en 2014. Dites-nous un mot sur ce texte et les contextes de sa parution.

LG : C’est une belle expérience conduite par Joss Doszen qui animait le collectif des Palabres autour des arts. Cette structure organisait des rencontres littéraires disruptives sur Paris puis en province. Cet ouvrage collectif avait pour but l’exploration du thème de la marginalité avec des auteurs ayant participé à nos rencontres et certains chroniqueurs.

BL :Une quantité impressionnante de chroniques, de compte rendu de lecture et d’articles ont jailli de votre plume. Mais pas de roman, pas de théâtre, pas d’essai, du moins pas qu’on sache. L’envie ne doit pas vous manquer, et certainement pas le vocabulaire et le doigté pour écrire un ouvrage. Qu’attendez-vous ?

LG : On ne peut pas tout faire. Ecrire une œuvre de fiction de qualité exige du temps et une consécration totale. Pour l’instant, je parle des œuvres des autres et cela suffit à mon plaisir.

BL : Animateur d’émissions littéraires sur la chaîne culturelle Sud Plateau TV, vous avez vu défiler et avez échangé avec un parterre impressionnant d’écrivains. Quels sentiments en nourrissez-vous ?

LG : Une grande satisfaction. Guy Padja, réalisateur et producteur de cette émission m’a donné pendant près de six ans une totale liberté dans le choix des écrivains que nous avons reçus avec professionnalisme et originalité. Une grande satisfaction à produire un contenu de qualité pour accompagner une œuvre littéraire. Donner la parole à un écrivain est une chose. Rassembler des lectrices et des lecteurs ayant décortiqué l’œuvre de l’écrivain en une autre.  Invité sur les plateaux de certains médias, souvent les textes des écrivains ne sont pas lus. Pendant six ans nous avons garanti des lectures croisées et un montage de qualité. J’ai reçu les plus grands écrivains africains. Beaucoup d’auteurs que j’apprécie, des jeunes romanciers parfois inconnus…

BL :Selon vous, comment le livre africain se porte-t-il de nos jours ?

LG : Question difficile, parce qu’il y a selon moi des livres africains avec des dynamismes différents en fonction des zones, des aires culturelles que l’on évoque. L’Afrique du nord par exemple produit des ouvrages de qualité, avec des mécanismes de production souvent assistés, des difficultés de circulation des livres en dehors des pays mais avec une place du livre très présent. Mes passages au Salon International du Livre d’Alger ont été particulièrement édifiants sur cet aspect. Les Nigérians développent des œuvres littéraires engageantes, puissantes, denses que nous rencontrons par le biais de la traduction. Il y a de très bons textes subsahariens de langue française souvent publiés sur Paris. Des auteurs qui nous content une Afrique en fonction de la dynamique de générations qui s’expriment. Il y a aussi des textes francophones passionnants publiés sur le continent. Ces textes n’abordent pas souvent les mêmes thèmes que les auteurs en « exil ». Mais, il faut dire qu’ils ne sont pas toujours bien accompagnés sur le plan du travail d’édition.  Je me penche beaucoup sur les éditions locales africaines et ce problème est récurrent.

Après, le livre africain se porterait bien s’il était lu en Afrique. Et sur ce point, il y a matière à cogiter, sur les moyens permettant que les meilleurs livres soient accessibles. Il y a du bon et du moins bon…

BL : Que vous inspire le fait que les écrivains africains qui écrivent l’Afrique et peut-être aussi pour africains, se fassent éditer en Europe ce qui rend parfois difficile l’accès à leurs livres sur le continent africain ?

(formulation de la question à améliorer)

LG : Le fait de publier en France ou en Europe n’est pas un problème en soi. Ce qui est délicat, c’est le fait que peu d’écrivains publiés en France se soucie du fait que leurs textes soient disponibles sur le continent. Pourtant dans la négociation, la coédition est possible, la gestion des droits par espace est possible et la question des droits numériques est sous exploités. Certains écrivains argumentent en soulignant que les éditeurs locaux ne sont pas à la hauteur. Que des projets de coédition ont été envisagés, mais que pour des raisons économiques ou du manque de sérieux des interlocuteurs, ils ont fini par capoter. Je constate juste qu’en Algérie, j’ai pu observer que de grands auteurs algériens, dont souvent les textes publiés en France, sont également présents à des prix accessibles par le biais de coédition ou de la gestion des droits par zone. Je pense à des romanciers comme Salim Bachi, Kamel Daoud ou Anouar Benmalek… Il y a donc des possibilités à exploiter pour de nombreux écrivains, des remises en cause nécessaires aussi.

BL : Que préconiseriez-vous pour remédier à cette situation ?

LG : Personnellement, d’une part, je crois au numérique. Il y a des résistances fortes. Des résistances qui sont un peu une sorte de calque de la réaction du milieu du livre français face aux livres numériques. Les réalités du monde du livre français sont néanmoins très différentes. Tous les secteurs du métier du livre fonctionnent parfaitement en France. Du processus de création d’une œuvre à la présence de ce livre dans une librairie ou dans une bibliothèque. Mais les solutions numériques sont disruptives et vont au-delà du mode de consommation du livre tel que nous le voyons encore avec le papier. D’autre part, je pense que les écrivains doivent maîtriser dans leur contrat d’édition les clauses liées au numérique et à la territorialité. C’est un choix qui leur appartient. Je pense à des exemples comme Véronique Tadjo ou Hemley Boum. Le nouveau roman de cette dernière a été publiée dans la collection « Blanche » du prestigieux éditeur Gallimard, pour l’Afrique ce sont les éditions Eburnie qui rendent disponibles ce texte et un projet de traduction est prévue avec une plateforme camerounaise. Cette démarche a été accompagnée par une agence littéraire. Mais, c’est possible. J’aime le pragmatisme et la cohérence de ces deux grandes dames des lettres africaines.

BL : À votre avis, quel(s) service(s) concrets le blogging rend-il à la littérature francophone aujourd’hui ?

LG : Ce n’est pas à moi de répondre. Je sais juste que les blogs participent à donner du contenu qui qualifie les produits culturels sur le web. Un article de blog est un discours qui commente une œuvre et enrichit son référencement sur un moteur de recherches comme Google. Est-ce que cela aide à la décision d’acquérir ou de lire une œuvre, je pense mais je ne peux pas le prouver. Après, il y a aussi la qualité de l’analyse proposée, son objectivité.

BL : Comment appréciez-vous le milieu du blogging en Afrique francophone, notamment dans le domaine littéraire ?

LG : C’est difficile de répondre. Parce que la critique en ligne a beaucoup évolué et use de supports multiples. Entre les booktubeurs, les podcasteurs, les instagrammeurs et les blogueurs, les champs sont multiples. Il y a un problème de constance qui s’explique par l’évolution des supports. Nous avons de belles plateformes dont vous faites partie.  Pour avoir produit une analyse à l’université de Legon d’Accra sur les nouvelles formes de critiques littéraires sur Instagram, j’ai pu réaliser que les blogs semblent plus créer après les comptes Instagram. Ils permettent toutefois aux producteurs de contenus d’avoir un espace personnel, contrairement aux réseaux sociaux. On peut en citer quelques uns : Valet des livres de la critique congolaise Liss Kihindou, Ce que j’ai dans la tête de la sénégalaise Ndeye Fatou Kane, Les notes de Grâce M. de l’Ivoirienne Grâce Minlibé, Hey Manouchka. Je peux citer Afrolivresque qui est une plateforme plus complète qui offre une critique littéraire et d’autres services liés au livre africain.

BL : Peut-on en espérer quelque essor ?

LG : Difficile à dire. De mon point de vue, le blog reste nécessaire pour une indépendance vis-à-vis des réseaux sociaux. Pour asseoir l’identité du critique ou du chroniqueur littéraire. Il est maître de ses contenus, ce qui est moins le cas avec les contenus produits directement sur certains réseaux. Le blog reste donc important, nécessaire. Je regrette toutefois le caractère éphémère de nombreux blogs.

BL : Quelle comparaison faites-vous entre blogging littéraire francophone et anglophone ?

LG : Je ne connais pas suffisamment la blogosphère littéraire de langue anglaise pour répondre à votre question. J’essaie de suivre des observateurs affutés comme James Murua par exemple.

BL : Parlez-nous de vos ambitions et projets pour œuvrer davantage au rayonnement de la littérature africaine.

LG : Nous avons lancé un projet de plateformes de chroniques littéraires mutualisées dédiées aux lettres d’Afrique et de sa diaspora avec des grands lecteurs, des universitaires. http://chroniqueslitterairesafricaines.com. Il y a d’autres initiatives, mais j’attends un peu avant de vous en faire part.

 

BL : Votre portrait chinois à présent :

  • Un héros ou une héroïne : Ma mère
  • Un personnage historique : Thomas Sankara
  • Un auteur : Gabriel Garcia Marquez
  • Un plat : un saka-saka
  • Un animal : un zèbre
  • Un passe-temps : Lire des romans dans les transports en commun

 

BL : Merci M. LaRéus Gangoueus pour cet honneur que vous faites et pour votre disponibilité. Votre mot de la fin.

LG : C’est moi qui vous remercie. J’aime beaucoup votre initiative qui aide à faire découvrir des talents, de jeunes auteurs. Je pense qu’on devrait communiquer plus souvent pour donner une meilleure visibilité à nos contenus. C’est ce que vous avez fait en me proposant cet échange. Je suis honoré.

 

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