« Kotto Bass, Comme un oiseau en plein envol » de Danielle EYANGO: Entre hommage,déchirures et déchirements intérieurs

« Kotto Bass, Comme un oiseau en plein envol » de Danielle EYANGO: Entre hommage,déchirures et déchirements intérieurs

Danielle Eyango, si ce nom est bien connu du public camerounais, il ne jouit pas nécessairement de la même aura sur le plan international. Mais quand on le lie à la virtuose Kotto Bass, l’un des plus grands musiciens que le Cameroun ait porté, l’on peut se faire une idée plus claire de celle qui, en signant, . « Kotto Bass, Comme un oiseau en plein envol », entend immortaliser la mémoire de celui qu’elle aime le plus au monde : Kotto Bass, son « Tonton Vieux » chéri : « Tonton Vieux est devenu comme mon deuxième papa depuis le divorce de maman. C’est à lui qu’elle doit rendre toutes sortes de comptes : Pourquoi Dany pleure ? Pourquoi tu l’as frappée ? Dany a mangé ? Où est Dany ? Elle n’est pas encore revenue de l’école ? » (P 15)

Si ce livre est l’hommage de la nièce à son oncle, la « fillette de cinq ans au corps rongé de varicelle« , juriste de formation et Présidente de la Fondation Kotto Bass pour enfants à mobilité réduite et de familles démunies, se sert de sa plume, comme jadis son oncle de sa guitare, pour se libérer d’un poids devenu trop lourd à porter : « J’avais soudain le cœur criblé d’onéreuses dettes du souvenir, et ce cruel créancier ne me laisserait aucun répit tant que je ne les aurais pas toutes apurées. Mon estomac faisait des crampes, à force de mon obstination, à ne pas me nourrir des délicates herbes  du laisser-aller. » (P. 67)

Au-delà de l’hommage et de la reconnaissance qui rythment et cadencent ce récit, il faut lire dans la démarche de Danielle EYANGO, une réappropriation de son histoire et une élévation du passé de son oncle à la gloire des héros qui transcendent le temps et s’offrent à la mémoire comme des références et des monuments indépassables. En témoignent les dernières lignes du livre :

« Si un jour vous venez au Cameroun

Comme ça par hasard

Il y a à Douala la Cancresse un cimetière bien connu,

rebaptisé « Cimetière Kotto Bass »

(…) Sa taille défie la haute clôture.

(…)

Le rugueux morceau de solitude que j’ai encore

de la peine à avaler

Que parfois Jésus seul parvient à émietter

L’obstinée boule au creux de ma gorge

C’est lui, c’est tonton Vieux.» (P. 187)

Kotto Bass est très connu. Sa mort demeure un mystère et une perte. La nièce se fait la véritable épouse de l’oncle disparu et fait son deuil à la manière d’une veuve. Elle remonte le cours du temps et fait découvrir un jeune nommé Vieux. Ce dernier tombe brutalement malade et perd l’usage de ses membres inférieurs. Très tôt, il se découvre une passion pour la musique, se fabrique sa propre guitare et apprends ses rudiments chez Koffi, un congolais. Le voilà virtuose, un monstre de la guitare et de la percussion. Dans la foulée, une fille moche et méchante, Caroline, s’entiche de lui et devient par la suite sa copine. Elle fait des alliances avec un charlatan et envoûte Koto Bass dont il fait sa caverne d’Ali Baba. Mais elle le trompe avec tous ce qui a un phallus dans le quartier. Au même moment, la grande sœur de Koto Bass, Chantal, la mère de la narratrice, jeune mariée et salariée, sur l’instigation de sa mère, construit une villa sur un domaine acheté par elle-même mais dont le titre foncier, sur conseil de sa mère était au nom de cette dernière. Chantal devient la vache à lait de toute la famille. Malheureusement, son foyer se brise et elle revient chez sa mère. Alors qu’elle croyait retrouver la paix du cœur auprès de cette dernière, elle n’eut droit qu’au mépris des siens. Guerre ouverte entre elle, ses frères et sa mère. Ingratitude. Méchanceté gratuite. Ses frères et sœurs et même sa mère commencent à la détester et à lui en vouloir à mort. La pauvre Chantal tombe malade, quitte la maison qu’elle a construite elle-même et se retire en campagne… Koto Bass va la saluer et la réconforter. A son retour de chez cette dernière, on le trouve agonisant le lendemain matin. Il décède tragiquement.

La narratrice perd son confident, son ami sincère, celui qu’elle a toujours aimé comme son père. Après l’enterrement de Kotto Bass, la mère de la narratrice est assignée en justice par sa grand-mère et ses oncles et tantes. Ces derniers font feu de tout bois pour la condamner. Les amis de Kotto font comprendre, c’était trop tard, qu’avant se rendre au chevet de sa sœur malade, l’illustre musicien fauché avait mangé chez Caroline et que c’était le seul repas de la journée, cette même Caroline qui, quelques jours plus tôt, l’avait menacé de mort.

L’œuvre de Danielle EYANGO est troublante et tranchante. Le ton est sec, franc, accusateur et empreint de vengeance et de haine à l’endroit de cette Caroline qui a privé l’univers de la merveille que constituait Kotto Bass. L’auteure clame ses déchirements intérieurs et les déchirures introduites dans sa famille par Caroline à qui elle ne fait aucun cadeau. La crudité de son langage, la pureté et la nudité du style portent à croire que l’auteure se refuse de voiler sa douleur et la livre drue en même temps qu’elle se livre dans la fougue de sa rage envers Caroline :

« Elle rêvait de se la couler douce en sirotant un verre à St Tropez, elle n’avait eu droit qu’au nettoyage de selles, vomis et urines de vieux Blancs décharnés. Elle rêvait d’être tout au moins ménagère ou baby-sitter, que non ! Elle était renvoyée à chaque porte frappée. Trop moche, trop effrayante, pas assez rassurante qu’on disait. Son physique ingrat avait eu raison de ses ambitions divinement jugées démesurées… Alors elle se faisait culbuter par de sales porcs qui, entre deux beuveries, courraient au bois du coin éponger leurs envies salaces sur « la maigre putain qui se cache toujours dans le noir… ». Elle rêvait d’un vieux Blanc plein aux as qui lui léguerait toute sa fortune à sa mort, telle toute Négresse partie au front. Elle n’avait eu droit qu’à une moitié d’homme, pire que tonton Vieux… Un mongol toqué, dont les moments de crise exacerbaient les fantasmes sexuels déjà naturellement stupéfiants.« (P. 113)

La crudité du style voulu acerbe et viril donne au texte un autre goût lorsque l’auteure y mêle l’humour : « Là où tu la vois, elle a déjà avorté jusqu’à Satan lui-même est allé voir Jésus pour qu’elle arrête !… » (P. 60)

Le livre de Danielle EYANGO resitue la problématique du bonheur dans un contexte dualiste qui va de l’affranchissement de soi des rets et contingences de l’existence à l’accomplissement de soi et de ses rêves dans un monde guidé par le principe du « Chacun pour soi » et l’âpreté au gain. Kotto Bass a été fauché en plein envol, à l’heure même où les fruits ont commencé à donner la certitude de tenir la promesse des fleurs. Il s’en va au moment même où il pouvait enfin bénéficier des fruits de ses efforts. C’est là aussi la folie et l’incongruité de l’amour sur fond d’asymétrie : Kotto aime Caro mais Caro aime l’argent de Kotto. « Kotto Bass, Comme un oiseau en plein envol », c’est à la fois la vie de l’artiste, son histoire, ses erreurs, ses folies d’amour et sa foi en ce qui l’a fait et en ce qu’il a fait : sa musique. C’est aussi une vue sur l’autre côté de la vie des artistes et des étoiles. On les voit planer haut dans l’espace, sur les podiums, mais on ne sait pas toujours que leur vie a aussi ses parts de misère et de tristesse. « Kotto Bass « Comme un oiseau en plein envol, c’est une descente dans les profondeurs des familles africaines.

Il faut louer le courage de Danielle EYANGO qui, sans craindre de déclencher des levées de boucliers en famille ou d’être traitée de fille maudite et incontinente qui déballe sur la place publique le linge sale qui aurait dû être lavé en famille, empoigne sa plume avec sincérité et sérénité et restitue les faits, mais pas à la manière d’une chroniqueuse ni en tant qu’historienne, encore moins comme la biographe du légendaire Kotto Bass. Elle le dit d’ailleurs dans la note de l’auteur : « Ceci n’est pas l’histoire de KOTTO BASS, ceci est l’histoire d’un mort qui ne veut pas mourir, parce que la vie lui est restée en travers de la gorge. Ceci est l’histoire de tonton Vieux réécrite par lui-même. » (P.3)

La littérature n’est-elle pas aussi cela : la vérité sur sa vie personnelle ? Si la littérature peut être définie comme cohérence entre le vivre et le rendu, si elle peut aussi arpenter les sentiers de la fidélité à soi et à ses sentiments, Danielle EYANGO a relevé le double défi d’immortaliser la mémoire de son oncle et de transcrire sans les trahir les sentiments et les émotions qui l’animent : sa haine viscérale pour Caroline et, dans une certaine mesure, pour ses oncles, tantes et grand-mère. Progressivement, suite aux apparitions dont la gratifie le défunt, elle entame son chemin de guérison intérieure et de pardon. Elle y parvient puisque le défunt a guidé ses pas vers le plus grand trésor qu’il possédait : son fameux cahier-répertoire.

Il faut l’avouer, « Kotto Bass « Comme un oiseau en plein envol« , est un livre succulent que l’on trouve tragiquement court. Trop court. L’on aurait aimé que l’auteure parle davantage de ce Kotto Bass et de cette fameuse famille qui l’a vu naître, grandir, aimer et mourir d’amour et de naïveté. Peut-être qu’il y aurait un deuxième tome. Mais en attendant, saluons la poétesse qui se cache derrière la romancière puisque l’œuvre est ponctuée de parenthèses poétiques et musicales qui renvoient à celui à qui elle rend hommage : Kotto Bass. Traduire ses sentiments dans leur pureté est une vertu. Pouvoir le faire avec maitrise, c’est un talent. Mais drainer le lecteur dans le sillage de ses ressentis à soi, c’est de l’art. Bravo à Danielle EYANGO pour ce beau livre qu’on ne se lasse pas de lire.

Destin Mahulolo

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