Bonjour les amis. Nous recevons aujourd’hui une écrivaine haïtienne, vivant aux USA: » Les Haïtiens on tendance à vénérer le Bénin comme leur terre d’origine, vu que la traite des esclaves avait arraché plusieurs ancêtres de Dahomey. Beaucoup d’Haïtiens se voient comme des descendants du Bénin. J’ai toujours gardé un désir de visiter ce pays et de fouler cette terre de nos ancêtres, donc j’y arriverai sans doute bientôt. »
BL : Bonjour Madame. Nous sommes heureux de vous recevoir sur Biscottes Littéraires. Voudrez-vous bien vous présenter, s’il vous plait ?
FJ : Je suis Fabienne Josaphat, auteur du roman A L’OMBRE DU BARON. Je suis Haïtienne et je vis aux Etats-Unis depuis plus de vingt ans, et ma passion c’est l’écriture. J’écris des romans dérivés de l’histoire, du passé, des évènements qui nous marquent.
BL : Nous vous recevons en tant que femme de lettres. Le lectorat est curieux de connaître la source de votre amour pour les lettres. Voudrez-vous bien la partager avec lui ?
FJ : J’ai toujours aimé les lettres parce que j’ai grandi avec les lettres. J’ai toujours aimé les livres, les romans, et mes parents ont toujours inculqué en moi une passion pour la lecture. Au fait, quand je réussissais mes examens ou que je travaillais bien dans mes études, ma récompense, c’était toujours une visite chez le libraire pour acquérir de nouveaux livres. Donc j’ai eu cela dans le sang. En plus, mon père était un lecteur assidu et chez nous, il gardait une bibliothèque robuste, de mémoires de grandes personnalités, de romans, et tout.
BL : Vous avez plusieurs cordes au bout de votre plume. Vous vous essayez à la poésie, à l’essai, au roman. Quel rôle assignez-vous à la femme écrivaine ?
FJ : Ce que je pense de la femme qui écrit, c’est que le monde lui est ouvert et qu’elle se droit d’explorer toutes les formes. Qu’elle fasse ce qu’elle veut de la littérature parce qu’elle le mérite bien. Les femmes sont intelligentes, elles font tout pour la famille ou encore pour le progrès du monde, et alors elle comme cela, elles méritent bien de trouver leur place partout, dans leurs écrits ou dans tout autre carrière.
BL : Comment définissez-vous la littérature aujourd’hui, en tant que femme noire haïtienne vivant aux USA ?
FJ : Je pense qu’avec tout ce qui se passe autour de nous ces jours-ci, surtout au niveau socio-politique, la littérature est encore plus nécessaire que jamais parce qu’elle nous permet de nous exprimer et de raconter nos histoires à nous. Les lettres ont toujours été un instrument et j’espère que dans les années à venir nous serons plus nombreuses à écrire.
BL : Pensez-vous que le rêve de Martin Luther King soit devenu une réalité quand on considère les atrocités perpétrées à l’endroit des noirs comme ce fut le cas récemment avec George Floyd ?
FJ : Le rêve de MLK c’était d’achever une vraie égalité pour les noirs aux USA et malgré la déségrégation, c’est clair que non. Le racisme ne s’efface pas du jour au lendemain et c’est évident que les noirs sont toujours traités de façon différente à cause d’un certain conditionnement qui persiste, en comptant l’institution policière qui, sans le dire par des mots, continue à exercer un pouvoir coercif sur les populations minoritaires, surtout les noirs.
BL : Vous êtes l’auteure de A l’ombre du Baron. Un roman au titre inquisiteur. Le lecteur pense, en lisant le terme Baron, à un certain Baron Byron. Ce dernier et le héros de votre livre partagent des traits communs : facétieux, obscurs, terribles, excessifs en toute chose. La seule différence est que l’anglais Gordon Byron est célébré pour ses actes de soutien envers les peuples brimés et élevé au rang de Héros par la Grèce, tandis que Baron Duvalier est considéré comme le pire cauchemar de tout un peuple. Voudrez-vous bien partager avec nous le postulat d’écriture de ce chef-d’œuvre ?
FJ : C’est un roman qui rend hommage aux survivants du régime. J’étais jeune en ce moment mais mes parents ont quand même vécu l’époque. Donc c’est l’histoire de deux frères emprisonnés qui cherchent à fuir la terrible forteresse de Fort Dimanche. J’ai un peu basé l’histoire sur celle de mon père et mon oncle, son frère. Leur vies, différentes, mais entremêlées par le sang et l’amour filial. Deux caractères ayant combattu la dictature Duvalier, c’est une histoire fascinante, je me suis dis. Voilà, c’est comme cela que ce roman est né.
BL : Doit-on croire que c’est un livre de révolte et de ressentiment ? Ou un devoir de mémoire pour faire connaître à la postérité haïtienne un pan de son histoire ?
FJ : Je crois que ce livre est une lettre d’amour pour mon pays, et cette époque qui la marque toujours est devenue une source d’idées pour les écrivains. Je pense que c’est un devoir de mémoire aussi, définitivement. Je voudrais que ceux qui ne connaissent pas Haïti apprennent un peu de quoi elle est faite : de révolte contre l’injustice, toujours.
BL : Le règne de François Duvalier surnommé ‘’Papa Doc’’ et ses milices ‘’les tontons macoutes’’ s’observe aujourd’hui dans plusieurs pays africains qui se disent démocratiques, mais au fond, sont régis par des régimes monarchiques. L’Afrique partage un lien profond avec Haïti, première république formée par les esclaves noirs affranchis. Ce livre serait-il aussi une image décadente de l’Afrique, et surtout, une hampe lancée dans la conscience des dirigeants africains ?
FJ : Je pense que la dictature est pareille partout même si certains de ses aspects paraissent différents. On reconnait toujours un dictateur par les mêmes signes. Donc pour moi, ce livre est pour tous ceux et celles qui l’ont vécue, vaincue, ou qui ne l’ont pas encore mais qui ont besoin de la lumière sur le passé pour pouvoir contrecarrer les nouvelles tendances despotiques. Mais avant tout, ce livre raconte et engage les lecteurs à se retrouver dans les lignes et faire une petite escapade. C’est vraiment tout ce qu’un auteur désire.
BL : Dans un régime totalitariste, les journalistes sont souvent les bêtes noires des régents. Ils ont la langue caustique et la plume corrosive. Le cas de Zongo Norbert assassiné en 1998 à Sapouy au Burkina-Faso reste un exemple probant. En essayant de prendre par Raymond, le chauffeur de Taxi qui, malgré tout, décide d’aider le journaliste poursuivi par les milices du dictateur François Duvalier, quel message aimeriez-vous y véhiculer ? Avez-vous pensé à son sort s’il s’était fait surprendre ?
FJ : Je pense que les personnages que j’admire le plus sont ceux qui font preuve de courage que les autres de démontrent pas. Oui, si Raymond se faisait capturer, son sort aurait été tragique. Mais Raymond est un homme bienveillant, bon, et en sauvant un journaliste il sauve aussi la vérité et le pouvoir du peuple. Je crois beaucoup dans le pouvoir des journalistes, le pouvoir des mots. Raymond fait donc un choix dangereux, mais les journalistes travaillant dans des conditions pareilles aussi sont des héros qui bravent le danger. Ils tiennent à reporter la vérité et ceci coûte cher.
BL : Le professeur de droit Nicolas, trahi par un de ses étudiants, a été arrêté et torturé par les tontons macoutes. Pensez-vous que le monde est si rempli d’hommes malveillants qu’au point où un enseignant ne peut plus partager ses réflexions avec ses apprenants ?
FJ : Je pense que la nature humaine nous partage toujours en deux camps : le camp de l’oppresseur et le camp de l’opprimé. Il y a toujours ceux qui choisissent, pour des raisons quelconques, de se joindre au despote et donc ceci arrive partout. Donc c’est arrivé dans plusieurs cas sous la dictature de Duvalier. Ainsi est fait le monde. Et les enseignants seront toujours visés parce qu’ils sont vus comme des sages ou des êtres illuminés qui communiquent des idées aux étudiants, et cela effraie toujours les despotes. Au fait, nous sommes susceptibles d’en arriver à ce point là n’importe quand. Aux USA, nous voyons des enseignants se faire refuser des postes à cause de leurs réflexions et de leurs publications (la journaliste Nikole Hannah-Jones, en publiant son Projet 1619 sur l’histoire esclavagiste des USA, vient tout juste de se faire refuser son titre de professeur titulaire).
BL : Vous faites remonter le lectorat aux années 60, sur cette île attenante à la République Dominicaine. Vous lui faites voir la misère, la vie atroce, l’engrenage de la liberté d’expression, autant de maux dont est victime un peuple. Quel est le message qui se cache derrière toutes réflexions scripturales ?
FJ : Je pense que la littérature nous sert de mémoire. Les générations à venir, et même les générations courantes, devraient apprendre des leçons du passé et de ces évènements pour qu’elles puissent reconnaitre l’injustice et se mettre à la tâche pour que cela ne nous arrive jamais plus.
BL : Votre plume a l’audace et la témérité de Césaire, ce puissant poète qui n’avait d’arme que le logos, le verbe. Ce dernier vous inspire-il dans votre projet d’écriture ?
FJ : Quel compliment ! Je vous remercie, je suis une admiratrice de Césaire mais je n’avais jamais pensé que ma plume évoquerait son talent. Je suis très flattée. Mais je dois avouer que je me sens influencée aussi par les œuvres de Jacques Stephen Alexis (romancier Haïtien qui par coïncidence a disparu sous ordres de Duvalier), ou de Jacques Roumain, et aussi de Toni Morrison et Alice Walker, et James Baldwin. Je prends un peu de tout et je les marie dans ma poésie. Tous sont pour moi ce que j’appelle des ancêtres littéraires.
BL : Pour résumer en quelques bribes de linges A l’ombre de Baron, que diriez-vous ?
FJ : Ce roman est une histoire d’aventure et de survie, un pacte entre deux frères vivant la dictature, déterminés à s’échapper de prison et vaincre contre l’injustice. Ils échappent cette ombre menaçante du dictateur. C’est un roman qui cherche à nous inspirer et nous ranimer de passion contre l’injustice et la terreur découlant du totalitarisme.
BL : Comment le public a-t-il accueilli le livre ?
FJ : Je dois dire que c’était intéressant, bien accueilli, mais quand même modestement vu que c’est mon premier roman sur le marché Américain et puis traduit en Français. La France bien entendu a démontré un élan envers cette histoire parce que la leur y est liée. Mais ici aux USA c’était assez bien reçu à cause de la curiosité à propos du sujet.
BL : A quoi doit s’attendre votre lectorat après ce roman ? Voudrez-vous bien partager avec nous votre projet d’écriture ?
FJ : Je m’intéresse toujours à l’histoire donc je veux écrire au sujet du peuple noir de partout. Je tourne mon regard vers l’Afrique et j’aimerais que mon prochain roman se déroule là, donc je fais mes recherches. Je ne peux pas trop dévoiler donc je m’arrête là, mais j’ai hâte de partager de nouveaux romans.
BL : Vous vivez aux USA depuis que vous avez 17ans. Quel regard porte-t-on sur une femme écrivaine noire en Floride ?
FJ : Je pense que le marché aux USA croit toujours, et les femmes noires ont toujours lutté pour se faire une place dans le milieu. Donc il y a celles qui sont légendaires, comme Toni Morrison, et celles qui sont connues plus dans le milieu noir, et celles qui sont de nouvelles venues mais qui ont déjà fait sensation. Les femmes noires ont un talent immense, et nous ne faisons que commencer notre travail. On s’attend à ce que toute femme noire soit Morrison. Mais on doit surtout se rappeler que nos racines sont diverses et donc nos voix sont diverses, et nous allons toutes avoir un impact de notre propre façon.
BL : Un regard comparatif de la littérature haïtienne d’il y a 15 ans, 20 ans, avec celle de nos jours ?
FJ : La littérature haïtienne évolue avec assurance, vu que nous avons des auteurs extraordinaires qui produisent des romans époustouflants. Je ne peux pas dire si elle est meilleure, mais elle tient le cours et elle traverse les océans aussi pour annoncer aux autres qu’elle est là.
BL : Quels sont vos rapports avec l’histoire de l’esclavage et de la traite négrière dont on évoque l’abolition ces jours-ci ?
FJ : Je pense que les questions d’esclavage et de traite négrière continuent malheureusement à nous poursuivre de par les générations, vu que la colonisation nous a tous lésés d’une manière ou d’une autre. Aujourd’hui même il y a des communautés dans lesquelles l’esclavage se continue sous forme de servitude, et je dirais même, comme aux USA, que l’esclavage n’a jamais vraiment été tout à fait aboli, mais a simplement évolué (propos suggérés par l’homme de droit et auteur Bryan Stevenson, qui s’adonne à l’étude du problème chronique de l’emprisonnement des noirs et du système d’incarcération). Alors, je porte attention à ces nouvelles formes, et je me demande comment redoubler nos efforts pour éliminer ces pratiques pour assurer notre prospérité à travers toute la diaspora.
BL : Comment définissez-vous le féminisme ?
FJ : Ma définition du mot féminisme, c’est que c’est un mouvement qui tient à donner les femmes le pouvoir de se définir et de prendre en charge leur propre avenir sans interférence ni dictature des autres, un mouvement qui établit l’égalité et le respect. Le féminisme n’est pas pareil partout, il est différent en ce qui a attrait au pays d’origine de la femme, à sa culture, ses traditions, etc. Mais ma croyance c’est que le féminisme est pour nous tous, les hommes compris, qu’ils partagent avec les femmes et reconnaissent leur humanité et leur potentiel. Qu’ils nous soutiennent et se battent pour nous et avec nous.
BL : Quels sont vos rapports avec le Benin, terre natale de Toussaint Louverture ?
FJ : Les Haïtiens on tendance à vénérer le Bénin comme leur terre d’origine, vu que la traite des esclaves avait arraché plusieurs ancêtres de Dahomey. Beaucoup d’Haïtiens se voient comme des descendants du Bénin. J’ai toujours gardé un désir de visiter ce pays et de fouler cette terre de nos ancêtres, donc j’y arriverai sans doute bientôt.
BL : On ne peut être haïtien sans raviver la mémoire de Toussaint Louverture et de Makadan. Quelle comparaison faites-vous de ces deux destins?
FJ : C’est une bonne question parce que comme les deux frères Raymond et Nicolas, Toussaint Louverture et Mackandal (je crois que vous voulez parler de FrancoisMackandal ?) sont de deux personnalités différentes, deux caractères différents. Toussaint a su manipuler les circonstances à son avantage en passant par les tactiques militaires de la France, et Mackandal était plutôt un savant qui connaissait bien la terre, les herbes, les traditions d’Afrique qui lui ont permit de libérer les esclaves avec la force des ancêtres. Je pense qu’ils ont tous les deux achevé leur destin de libérateurs de leur propre façon. Et pour cela ils resteront toujours des héros pour tous.
BL : Votre mot de la fin
FJ : C’est pour moi un honneur de finalement avoir mes mots en lecture en Afrique, spécifiquement au Bénin. C’est un rêve devenu réalité et j’ai hâte d’écrire encore plus pour cette raison, pour que mon lectorat compte plus de frères et sœurs d’Afrique.