Africae munus, 10 ans après: Une dynamique théologique à poursuivre.

Africae munus, 10 ans après: Une dynamique théologique à poursuivre.

Il y a déjà une décennie, plus exactement le 19 novembre 2011, que solennellement dans la Basilique Mineure de l’Immaculée Conception de Ouidah, le Pape Benoît XVI signait l’Exhortation apostolique Africae Munus (AM). Cet événement a été vécu dans une grande ferveur de dévotion et d’émotion. En effet, il était le point d’orgue non seulement de l’anniversaire des 150 d’évangélisation continue du Dahomey-Bénin mais surtout du deuxième synode pour l’Afrique après Ecclesia in Africa. Par cette Exhortation post-synodale, le Pape voulait donner à l’Église en Afrique la mission de « construire une Afrique réconciliée, par les voies de la vérité et de la justice, de l’amour et de la paix » (AM no2).Dix ans après, quel bilan peut-on faire de la mise en œuvre de ces recommandations ? Et quels défis sont à relever pour satisfaire les exigences d’une Église définie à juste titre « […]comme famille et une fraternité[…] » (AM no8) devant « […]contribuer à édifier la société en collaboration avec les autorités gouvernementales et les institutions publiques et privées engagées dans l’édification du bien commun » (AM no81) ?

Ne pouvant investir tous les chantiers d’exécution que cette lettre a impactés, nous nous appesantirons essentiellement sur le champ de l’apostolat de l’éducation et plus particulièrement celui de la théologie. Nous commencerons d’abord par montrer en quoi la priorité accordée à ce projet accomplit l’un des souhaits majeursdes Pères synodaux. Nous parcourrons ensuite deux institutions à vocation académique qui satisfont l’exigence de la pastorale de l’intelligence et de la raison avant de faire quelques propositions qui boosteront certainement cette dynamique.

  1. L’apostolat de la formation théologique, le principal vœu des Pères conciliaires ?

Il serait prétentieux de réduire les recommandations auxquelles l’Exhortation Africae munus invite l’Église, uniquement à l’apostolat de la formation théologique ; de même, il serait  peu probant de soutenir que la principale action à laquelle invite le synode est l’émergence d’une pastorale de la formation théologique. Et pourtant à y voir de près, on n’est pas loin de soutenir cette hypothèse.

            Il faut déjà commencer par remarquer la place non négligeable accordée à cette recommandation de l’apostolat de l’éducation dans le chapitre 2 qui annonce les principaux champs de l’apostolat. En effet, après l’Église universelle qui, dans ses démembrements diocésains comme paroisses doit travailler à être foyer pour « […] accueillir et vivre le don de la réconciliation offert par le Christ, notre paix » (AM no133), c’est au monde de l’éducation qu’est lancée la vocation de faire de la société un ferment de réconciliation, de justice et de paix.Á la vérité, c’est à l’éducation que l’on doit la vocation de donner, à l’enfant, les premières et importantes instructions pour espérer en faire un homme complet et équilibré. « Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre ; Et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas » (Pr 22, 6). Cela, Benoît XVI l’a compris quand il souligne que « les écoles catholiques sont de précieux instruments pour apprendre à tisser dans la société, dès l’enfance, des liens de paix et d’harmonie par l’éduction aux valeurs africaines assumées par celles de l’Evangile » (AM n° 134). Il n’est pas nécessaire de rappeler que dans ce cadre, l’avantage de la formation aux valeurs africaines et chrétiennes est double. On peut d’un côté assurer une formation continue et soutenue au jeune croyant et de l’autre offrir au non-chrétien, sans tomber dans le prosélytisme, des valeurs nécessaires à l’évènement d’une société africaine plus juste.

            L’idée d’un apostolat de l’éducation et plus spécifiquement d’un apostolat de la formation théologique semble plausible quand on considère ensuite d’un point de vue général les recommandations faites par le synode. En effet, dès l’introduction, le lecteur attentif remarque la récurrence des concepts telsque : chantier,programme, projet, champs d’apostolat. On en déduit l’idée que l’Exhortation entière constitue un ensemble de grandes lignes, de grandes perspectives à monnayer et à adapter par chaque région ou pays. L’Exhortation en son n°14 affirme en effetà propos de la réappropriation qui doit en être faite :« Il revient aux Églises particulières de traduire ces axes en ‶fermes propos et en lignes d’action concrètes″ ». Et quoi de mieux qu’un cadre académique pour réfléchir et élaborer une stratégie d’action ? « Lequel d’entre vous, quand il veut bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et juger s’il a de quoi aller jusqu’au bout » (Lc 14, 28) ? Quoi de mieux qu’un cadre conceptuel pour planifier la théorie de l’action quand on sait que bien planifier, c’est s’offrir les chances de réussir ?

            Enfin, on n’est pas loin d’accorder la priorité à l’établissement d’un cadre conceptuel comme point d’ancrage à la réalisation des recommandations d’Africae Munus quand on considère le n°137. Les évêques y sont en effet invités expressément à « soutenir une pastorale de l’intelligence et de la raison ». Une telle pastorale permettra en effet de créer l’espace nécessaire à l’émergence d’un discours critique sur l’Eglise et la société dans un dialogue rationnel. Outre ce fait, l’apostolat de la formation théologique qui en émergera, sera favorable à une réflexion sur l’évangile et à sa réception dans le quotidien de l’être africain. Ceci permettra au laïc chrétien de s’engager en politique avec une conscience éclairée du bien à faire. C’est donc « […] aux frères et sœurs engagés dans les universités et les institutions académiques que revient d’une part, d’éduquer l’intelligence et l’esprit des jeunes générations à la lumière de l’Évangile, et d’autre part, d’aider les sociétés africaines à mieux comprendre les défis auxquels l’Afrique est confrontée aujourd’hui […] » (AM n°135).

  • Deux institutions scholastiques au service de l’intelligence de la foi et de la raison

Notre objectif ici n’est pas de réduire exclusivement à deux institutions : ISSR-NDI et EITP, la pastorale de l’intelligence de la foi et de la raison à laquelle le synode invite les évêques. Il y a certainement plusieurs cadres universitaires ayant une telle vocation. Notre modeste contribution est de montrer à travers la création de ces deux institutions, une volonté manifeste de répondre à l’invitation d’Africae Munus dans le chantier de l’inculturation et celui de la formation théologique des laïcs.

2-1- L’ISSR-NDI ou le cadre conceptuel de l’Inculturation

            La question de l’inculturation plus qu’une question de convenance ou de goût relève d’une nécessité on ne peut plus urgente pour tout peuple et pour l’Afrique en particulier. Á la vérité, avec l’événement de l’Incarnation, l’avènement de Dieu dans la culture humaine, la réception de l’évangile s’accompagne de l’identité culturelle propre du néophyte. C’est dans ce sens que l’invitation de Paul VI à Kampala le 31 juillet 1969 doit être accueillie dans toute sa simplicité et radicalité : « Vous, Africains […]pouvez et vous devez avoir un christianisme africain ». Là se joue en effet, l’avenir de la foi en Afrique. Car comme le rappelle Jean Paul II, le 16 janvier 1962, « une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n’est pas pleinement accueillie, entièrement pensée et fidèlement vécue ». On comprend alors que le synode invite les Évêques à prendre à cœur ce chantier d’évangélisation et à « […] veiller à cette exigence d’inculturation dans le respect des normes fixés par l’Eglise » (AM n°37). Le synode parle en termes d’exigence pour montrer qu’il s’agit bien d’une priorité à ne pas reléguer au second rang. Cette exigence de l’inculturation, parce qu’elle s’accomplit dans un processus minutieux et patient a besoin d’un cadre académique pour en assurer la rigueur méthodologique. En effet, pour en espérer des résultats probants, l’Assemblée synodale invite à « […]une étude approfondie des traditions et des cultures africaines » (AM n°36).

L’Institut Supérieur des Sciences Religieuses Notre Dame de l’Inculturation au Bénin entend épouser cette vocation. En ouvrant ses portes le 28 mai 2018 à Cotonou, Mgr Barthélemy ADOUKONOU, Secrétaire émérite du Conseil Pontifical pour la Culture entend donner un cadre d’éveil et de réveil de la pensée théologique en Afrique, à l’inculturation. L’ISSR-NDI offre ainsi depuis lors aux hommes et aux femmes de ce temps, aux clercs et laïcs en Afrique de recevoir des enseignements dans plusieurs domaines des sciences théologiques et humaines avec la particularité d’un enracinement profond dans le vécu culturel, social, politique et économique africain.Á la suite del’ISSR-NDI, « Avec tous les acteurs de la société africaine, l’Église se sent donc appelée à relever ces défis »(AM n°12) par le biais d’autres structures académiques.

2-2- EITP ou une formation théologique des laïcs

L’un des objectifs de l’Assemblée synodale est également de redonner aux laïcs leur place dans l’Église et de reconnaître à sa juste valeur le rôle non moins important qui est le leur dans le processus de l’évangélisation de l’Afrique. Ils sont d’ailleurs invités, dans cette perspective à approfondir leur foi à l’aune du mystère eucharistique et de la Parole de Dieu qui « sont corrélés intimement au point de ne pouvoir être comprise l’une sans l’autre » (AM n°40). L’autre effort qui est également demandée aux hommes et aux femmes croyants, c’est d’être dans le monde et dans la société, des témoins privilégiés du Christ à travers l’exemple et la droiture de vie. En effet, « par ses membres laïcs, l’Église se rend présente et active dans le monde » (AM n°128). Et pour qu’ils soient à même de répondre à ces différentes exigences, « […]il convient que des écoles ou centres de formation biblique, spirituelle, liturgique et pastorale soient organisés dans les diocèses » (AM n°128).

C’est bien cette invitation du synode que l’Église du Bénin a saisie et traduite en acte ; le fruit étant la création pour l’archidiocèse de Cotonou de l’École d’Initiation Théologique et Pastorale (EITP). Par le biais de cette école, l’Église au Bénin par le Père Rodrigue GBEDJINOU, son directeur-fondateur entend donner à tout laïc qui le désire, un cadre pour approfondir sa foi à travers cinq axes : la Bible, la Théologie, l’Histoire des Pères et de l’Église, la vie de foi et la culture générale. Et puisque « les programmes de formation permanente des laïcs, en particulier pour les leaders politiques et économiques, devront insister sur la conversion comme condition nécessaire pour transformer le monde » (AM n°103), l’école propose également des activités ‶paracadémiques″ dans une dynamique de formation holistique c’est-à-dire une ouverture pastorale sur le monde. Que souhaiter d’autres ?

  • Pour une dynamique toujours plus vive de l’apostolat théologique

Eu égard à ce qui précède, un seul souhait est à formuler: celui d’espérer que la dynamique de la pastorale de l’intelligence et de la raison se poursuive ; que des projets semblables à ceux de l’ISSR-NDI ou de EITP s’étendent à l’échelle nationale pour que grandisse la culture de la foi. Cette dynamique aura pour conséquence la maturation de l’expérience religieuse dépouillée de tout syncrétisme. C’est à ce prix que l’Église garantira la transmission orthodoxe de la foi en Afrique et que la théologie pourra devenir pastorale. Il serait également à souhaiter quela Conférence Épiscopale du Bénin institue un prix destiné à récompenser des recherches en matière d’inculturation. Pourquoi ne pas faire de nos grands séminaires et institutions académiques des laboratoires de recherches en matière pastorale et théologique spécifiquement africaines ?Nous travaillerons ainsi à une renaissance de la prestigieuse école d’Alexandrie et à donner à l’Église universelle des théologiens et maitres spirituels excellents.

            Retenons pour finir la place combien particulière que représente l’apostolat de l’intelligence et de la raison dans la mise en œuvre des recommandations d’Africae Munus. Les évêques l’auront bien compris en mettant sur pieds des institutions à vocation académique pour favoriser cet éveil à la culture de la foi et au témoignage dans la cité. Il reste à souhaiter des efforts non pas seulement dans ce champ de l’apostolat mais aussi dans celui de la santé tel qu’on en éprouve le besoin en ces heures de la crise du Covid-19.

Aurel

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