« Le baiser d’antan » Mimosette KODJO

« Le baiser d’antan » Mimosette KODJO

Le baiser d’antan

     Le soleil semblait faire ses adieux journaliers. Dans une splendeur inhabituelle, il offrait aux amoureux de la nature un spectacle riche de couleurs. L’astre diurne avait arboré une couleur rouge sang et, par son volume, semblait indiquer que sa journée lui fut bénéfique. Il s’était repu des heurs et malheurs des humains.  Peu à peu, il engagea une courbe décroissante en s’enveloppant d’un épais voile nuageux.

Toi, tu adorais te promener dans le sable fin de la berge. Tu aimais contempler de près, la démarche féline de l’astre du jour qui s’en allait sur les ruelles de l’horizon. Devenu rouge sang, l’astre descendait du firmament pour plonger sous les houles humides qui s’élevaient dans les entrailles de l’océan. Peut-être avait-il besoin d’un bain rafraichissant. Jeune fille tu ne te passais guère de cet instant. Tu y retrouvais l’astre. Tu lui confiais de petits bouquets de fleurs à porter derrière l’horizon au mystérieux prince charmant qui, telle une nouvelle mariée, se faisait désirer.

Ce soir de dimanche, vêtue d’une petite culotte de couleur blanche sur un chemisier bleu marine, tu marchais comme à l’accoutumée de ton déhanchement altier le long de la plage. Tu allais à la rencontre des vagues et du coucher du soleil. Sentant tes pieds faiblir, tu fis une pause. Tu t’assis un moment, le regard tourné vers l’ouest. Le bonheur scintillait sous tes prunelles frimousses. De toutes tes rencontres avec l’astre, tu ne l’avais jamais vu aussi auguste. Tant il était à la fois la poésie et l’élégance. Majestueux avec sa grosse croupe. Il te fit un clin d’œil complice. Fier d’être dans le secret des prochains événements heureux qui s’annonçaient.

     La vingtaine révolue, tu tutoyais le mètre soixante-dix. Et pourtant… Ce soir, tu regrettas ton âge et ta taille. Tu pensas que si tu étais mieux bâtie, tu aurais pu te tenir sur la crête des vagues. Te rapprocher de l’astre, et de ta plus belle voix lui susurrer à l’oreille le doux message qu’il devrait transmettre à ton prince charmant. Puis tu te relevas et marchas vers les ressacs.

     Digne descendante des amazones daxomènous, tu avais un charme à faire fondre même le plus misogyne des hommes. Ton corps arachnéen sublimé par une poitrine moyenne te donnait la grâce d’une gazelle. Ton teint noir de jais offrait au contact du soleil une toile luisante. Tout ceci était accentué par un regard vif et brillant d’intelligence qui pétillait de malice.

     Tu étais la fleur du quartier, celle qui mettait en émoi nombre de mâles qui n’osaient pourtant trop s’approcher, de peur de se brûler. Tant ta mystérieuse beauté les subjuguait. Toi la belle nymphe qui sous la couette nourrissait leurs fantasmes. Dans ton fort intérieur, tu chérissais un vœu dont seul l’astre rouge connaissait les contours. Songeuse, tu projetas ton reflet dans les eaux de l’océan et pus à peine admirer ta poitrine généreuse.

Le soleil avait été durant toute ta traversée du sable chaud du désert ton confident le plus fidèle. Il existait une muette alchimie entre vous et depuis longtemps, jamais tu n’avais regagné ton logis sans être venue te revigorer à la fontaine de ses rayons. Tu étais revenue spécialement cet après-midi mue par une force indescriptible. Durant toutes les activités qui ont meublé ta journée, tes pensées s’envolèrent à chaque instant de répit vers la plage. Elles se distillaient en toi dans un sourd appel.

A quelques encablures d’où tu te tenais dans l’allégresse, dans l’une des habitations riveraines, Maurile, un jeune homme frêle, s’instruisait. A présent, la seule lucarne distillant, dans la chambre, la lumière diurne ne laissait entrer qu’une vague lumière furtive et blafarde. La chambre s’assombrissait. Il se sentit happé par les ombres environnants.

Il songea à l’air frais et son visage s’illumina.

D’un pas leste, il sortit de la chambre. Le contact de ses pieds nus avec le sable marin lui fit un grand bien. L’air marin l’accueillit en pleins poumons. Il se sentit relaxé. Il avançait en admirant les contours de chacun de ses pas sculptés dans le sable humide de la plage. Maurile était le prototype de la jeunesse studieuse et consciencieuse. Maurile continuait sa randonnée pédestre. Il sursauta. Au loin, il entrevit une sirène. Il reprit sa marche. Se rapprocha davantage. Il se rendit compte de l’illusion. Ce n’était qu’une jeune fille. Une fille-sirène. Tu lui parus éblouissante et irrésistible. Il organisa son courage, et marcha le front relevé vers la belle inconnue. Tous deux, vous vous prîtes en sympathie. Une profonde amitié venait d’éclore.

Dès lors, Maurille et toi ne pouviez passer une journée sans vous voir. Dans la violence des cas, vous vous échangiez des messages.

Chacun avait enfourché le seuil de l’amitié. Il fleurissait aux fonds de vos entrailles, une douce flamme qu’aucun de vous ne laissait paraître. Personne n’osa briser la glace de l’amitié afin d’accéder à l’antichambre de l’Amour.

Un soir, tu rendis visite à ton ami. Vous demeuriez sur la berge en laissant les vagues vous caresser parcimonieusement les pieds. Maurile ne sembla pas lucide. Sa voix parut fébrile tout au long de la conversation. Pour toute réplique à tes questions, il répondait par un petit baiser. Un petit baiser, encore et encore. Tu résistais. Estimant qu’il te fallait encore un peu de temps, que tu n’avais pas envisagé donner un baiser en partant de chez toi, que le prêtre en serait mécontent, que le pape t’en voudrait toute sa vie, que la géhenne t’engloutirait.

L’air attendri de ton ami te tourmentait. Tu ne voulus pas retourner chez toi en le laissant triste. Tu te sentis désarmée et finis par articuler presque inaudible : juste un petit baiser.

Un gros rayon lumineux zébra le visage de ton amant. Il se rapprocha pour le petit baiser. Vous vous donniez un petit baiser. Vous en aviez voulu un autre. Puis un autre. Puis un autre encore. Puis encore un long baiser. Vos corps se mêlèrent, fracassèrent les muscles du sable. Le sol où tu étais assise s’affaissa. Le sable mouvant vous servit spontanément de lit comme s’il avait toujours attendu ce moment. Et les vagues dans leur houle venaient s’échouer à vos pieds comme pour vous accorder leur onction. Toute la nature semblait approuver cet élan qui transportait vos cœurs, vos corps et votre être dans les méandres de l’amour. La nuit vous couvrit de son voile.

Le temps aussi connut son creux. Tu reçus une bourse pour poursuivre tes études universitaires en Belgique. La fréquence de vos appels se perdit dans la distance. La vague étendue saumâtre happa les illusions de votre idylle gestante.

Désarçonné. Perdu. Insipide. Maurile sombra. Puis un matin, il disparut de la vie ordinaire.

La vie, narquoise continua sa marche. Tu te marias et eut des enfants. Tu revins au pays avec tes diplômes bonifiés de ces bonheurs de la vie. A tes enfants, tu donnas une éducation religieuse quoique n’étant pas très impliquée aux affaires de la paroisse. Ton aînée Meldy, âgée de seize ans fut inscrite au lycée catholique de la ville. Très intelligente, elle était aimée de tous ses enseignants. Elle avait un diamant dans le gosier et faisait partie de la chorale animée par les élèves. Le curé de la paroisse et directeur du collège confia au nouvel abbé la direction de la chorale bien qu’étant appelé à assumer ses prérogatives académiques et religieuses.

Meldy, très allumeuse succomba au charme de l’abbé. Bel homme à la stature d’apollon. Il faisait fondre le cœur des femmes. Son sourire espiègle en rajoutait à son charme. Elle rivalisait d’ingéniosités, de toilettes avec ses camarades. Toutes les occasions étaient bonnes pour attirer l’attention du prêtre. Il le constata et se mit à prier. Au bout d’un temps, il focalisa son intérêt sur la finesse des courbes de la belle Meldy. Aux répétitions, il fit moins attention aux gammes de sa voix. La fermeté de sa généreuse poitrine lui parut plus convaincante. Il en devint obsédé. Il jeûna pour se tenir ferme dans les allées de son sacerdoce. Un soir, en fin de séance de répétition, Meldy, ta fille demanda à parler en privé au père. Elle déclara vertement ses sentiments et poussa le bouchon loin en essayant d’embrasser l’abbé. Il la repoussa sur le coup, scandalisé. Deux jours plus tard, Meldy revint à la charge et il se laissa fléchir. Il l’attira à lui et leurs lèvres se muèrent en une symphonie lascive. Ils s’embrassèrent avec passion et fougue.

Dorénavant, ils ne perdaient aucune occasion pour s’amouracher. La salle de catéchèse, la nouvelle église en construction, et autres lieux déserts leur servaient de cachette. Ils ne tardèrent à consommer le fruit défendu. Les deux tourtereaux, avec la complicité de la nuit visitaient très souvent les restaurants de la place.  Pour cacher son jeu, l’abbé loua un appartement dans un des quartiers périphériques de la ville. Ils s’y retrouvaient très souvent pour leurs ébats. Meldy, s’était entichée de l’abbé. Une sainte passion l’ensorcelait. Elle buvait dans l’encre des yeux. Elle faisait des pieds et des mains pour le garder dans son giron. Elle ne manquait aucune occasion de mettre en pratique le fruit de ses lectures. Notre cher abbé s’en délectait à loisir. Ils ne manquaient pas de s’échanger des centaines de messages et de vidéos sensuelles via whatsApp.

Un soir pourtant, alors que tu étais passé dans la chambre de ta fille pour lui souhaiter bonne nuit, tu tombas, sans le vouloir sur une discussion WhatsApp. Meldy s’était endormie laissant le téléphone allumé. Tu en fus horrifiée. Jamais tu n’aurais imaginé cela de ta fille aînée, pourtant si docile et candide en ta présence. Tu voulus identifier l’interlocuteur mais n’y parviens pas. Avec l’inconnu, elle discutait en ces termes :

« – Je te voudrais auprès de moi. Effleurer tes effluves… ton haleine… ressentir la moiteur de ta peau si…Je voudrais parcourir chaque millimètre de ton corps. Je voudrais goûter, une fois encore aux délices de ton nectar. Je voudrais m’en gaver à satiété, jusqu’à l’ivresse.

–           Là, tu me tues, ma belle tigresse. Même à distance, tu envahis tout mon être qui se transporte tout près de toi pour jouir des bienfaits de ta tendresse.

–           Viens mourir en moi, mon Apollon. Viens.

–           Te remplir de moi, quel délice si doux de l’imaginer ! Te porter dans mes bras, t’entendre m’offrir de belles mélodies d’un pays que seul l’expérience peut imaginer est mon vœu, ma douce.

–           Oh mon étalon, transporte-moi vers la galaxie de l’extase. »

Face à une telle situation, tu ne pouvais rester indifférente en tant que mère. Mais embarquée dans tes occupations quotidiennes, tu manquas du temps matériel pour interpeller ta fille.

Trois semaines s’écoulèrent depuis ce fameux soir. A la maison, tu constatas le changement de comportement de ta fille. Elle était devenue d’une pâleur qui la rendait davantage belle. Elle refusait de consommer ses plats préférés. Son mutisme, elle, de nature exubérante, ne t’inquiétait que davantage. Suite à une série d’interrogations teintées de menaces, tu reçus les aveux de ta fille. Tu te rendis chez le curé de la paroisse, décidée d’élucider l’affaire. Tu y conduisis Meldy. Le curé vous reçut avec déférence. Avant même qu’il n’entende le motif de la visite, un abbé fit irruption dans le bureau. Il venait apporter des documents à son supérieur. A la vue de la dame assise, il eut le souffle coupé. Il était comme tétanisé. Ce fut toi qui rompis le silence en balbutiant les deux syllabes du prénom de l’homme de Dieu : «  Mau-rile ? ». Le jeune abbé répondit à cet appel en articulant avec une vive émotion ton prénom. Vous sembliez transportés dans un autre univers. Revisitant le film de votre jeunesse. Nonobstant la présence de Meldy et du curé vous vous enlaciez chaleureusement. A peine fut-il sorti de l’émotion des retrouvailles et de l’étreinte que tu lâchas : « un de tes collègues a abusé de la candeur de ma fille que voici. Elle en est tombée enceinte. » Ce n’est qu’en ce moment qu’il se rendit compte de la présence de Meldy. Il pâlit. La jeune fille ayant entrevu le ridicule de la situation, jeta le paquet dans la marre. « Maman, c’est lui. » Tu te crispas. Tu fis une chute de tout ton haut. Ta conscience faillit. Le sol accueillit ta douce peau. Tu venais de retrouver Maurile, l’amour de tes jours d’antan. Celui dont le petit baiser engendra Meldy dans tes entrailles.

Mimosette KODJO

 

Professeur de français, écrivaine.

6 comments

Hehehé! Quelle histoire? Qui aurait cru ? Le personnage s’appelle Meldy en plus hein. Est-ce que Destin a lu cette nouvelle? Belle plume, Mimo. Florent Couao-Zotti peut se reposer tranquillement. Son successeur est déjà là.

Quel talent d’écriture tu as !
C’est impression cette facilité de manier avec dextérité les mots
J’espère que tu sortiras très vite un roman , je suis subjugué

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