« Avec beaucoup de glaçons » , Martial KOGON

« Avec beaucoup de glaçons » , Martial KOGON

Introduction

La nouvelle est un genre littéraire qui depuis quelques années fait vivre la littérature béninoise. Ce genre s’inscrit dans le besoin d’éduquer, de distraire tout lecteur avec de petites histoires plaisantes et avec moins de personnages surtout en ces temps où les jeunes gens meurent d’ennui, la plupart du temps, devant des ouvrages volumineux. C’est possiblement dans cet ordre d’idées que l’un de nos auteurs béninois aurait laissé « libre cours aux envolées de sa plume volontiers éclectique » pour nous servir « Avec beaucoup de glaçons », un recueil de nouvelles littérairement appétissantes. En effet, Martial KOGON refait son apparition dans l’arène littéraire avec ce joyau qui force l’attention et vous rend impatient de le relire. Nous vous proposons un petit exposé sur ce recueil en trois phases : que savoir d’abord sur l’auteur ? Ensuite sur l’ouvrage ? Enfin quelques notes de lectures de cette œuvre.

 

Que savoir de l’auteur ?

Né à Kpékplémé au Togo, Martial KOGON est de nationalité béninoise. Poète, slameur et rappeur, il est également juriste résidant à Paris. En 2013, il participa au concours littéraire Plumes Dorées où il finit lauréat du prix avec son roman « Temps additionnel » préfacé par l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti. Après cinq bonnes années de concentration sur d’autres compétences, d’observation et d’inspiration, avec la complicité des « Editions Plurielles » il signe en mars 2018  ‘’Avec beaucoup de glaçons’’, son premier recueil de nouvelles qu’il lance au centre ArtistikAfrica devant un public venu nombreux s’imprégner du contenu de son livre.

 

Que savoir de l’ouvrage ?

 

« Avec beaucoup de glaçons » est un recueil de sept nouvelles. L’œuvre couvre 177 pages. Chaque nouvelle telle un verre de vin décanté servi avec délicatesse vous requinque dans votre lecture ou plutôt dans l’ensemble des images que vous offre Martial à travers son style charmant.

Dans la première nouvelle intitulée ‘’Quarante n’est pas divisible par trois’’ (page 11), Doziao, une entrepreneuse très rusée et presque ruinée convainc par tous moyens Zinflou « ex-futur avocat, le gayi-man désargenté » de l’aider à arnaquer, braquer sa propre entreprise aux fins d’avoir une assurance de la part de son assureur. Pour réussir cette entreprise, tous les coups étaient donc permis : Bèlèfoutou, le vigile ayant trouvé « l’occasion de libérer le héros qui sommeille en lui » reçut deux balles, coup sur coup. Ces tirs n’étaient pas au pif mais une trame préalablement ourdie par l’entrepreneuse qui se fit kidnapper pour mieux réussir leur « djika (bluff) ». Mais, il ne savait pas malheureusement, pauvre Zinflou tué par Doziao après le forfait, que quarante n’était pas divisible par trois, le comptable Klébé de l’entreprise étant de mèche avec sa patronne. A ses dépens, Zinflou comprit que la promesse d’une femme est un morceau de sucre jeté en mer et que l’amour « est la plus belle farce » (page 30).

La deuxième nouvelle baptisée « Embrasser le diable » est, tel un long poème prosaïque à la tonalité pathétique et tragique avec une teinte et un fond d’amour, l’histoire de Evenyé et Essoh qui vous émeut et peut vous faire pleurer. Dans une belle sortie vespérale, le couple allé au bataclan pour voir jouer le morceau kiss the devil « embrasser le diable » eut la malchance d’être aux alentours d’une zone où venaient de retentir trois tirs avant une rafale dont l’une des balles atteint Essoh alors qu’ils quittèrent les lieux à grandes enjambées. Les terroristes opéraient. Transporté à l’hôpital après une grande perte de sang, Essoh et Evenyé n’auront plus le temps, plutôt, n’auront plus jamais le temps de se dire les mots qu’ils ne s’étaient pas dits. Cette nouvelle  vous imposerait une pause de tristesse dans la lecture mais heureusement s’ensuit la troisième qui vient vous tempérer avec beaucoup de glaçons. Terrible attentat de Nice…

La troisième nouvelle, l’éponyme de cet ouvrage est une histoire entre deux personnages, Fatai et Aladji Sambo. La vengeance est un plat qui se mange froid, dit-on, mais avec Fatai c’est un plat qui se mange très froid, avec beaucoup de glaçons d’ailleurs et si une année devrait représenter un glaçon, alors c’est 25 glaçons qu’il lui a servi ce plat fumant. Pour avoir été la cause de la mort de sa sœur, Fatai attendit 25 années, le temps de murir sa vengeance pour arracher également la vie à l’homme d’affaires dans son studio de massage recommandé à l’ancien locataire de l’hémicycle par un ami. Il offrit du *tovioun* à l’assassin de sa sœur qui mourut suintant jusqu’au cul pour simuler un AVC.  Le titre en rouge sur la première de couverture exprime aisément cette vengeance.

« Skéléwu« , la quatrième nouvelle, vient, quant à elle, nous montrer le prix de la docilité et de l’innocence, de l’écoute et de la compassion. Sènou surnommé Skéléwu pour sa parfaite maitrise de la danse ‘’Skéléwu’’ promue par l’artiste nigérian Davido, se voit obligé d’escalader le mur de la maison de la vieille Nanan pour chercher le ballon qu’il a par maladresse envoyé là-bas au risque de se voir radié de la ligue de la rue. Eh oui ! La rue a également ses règles. Entré dans la concession, il fut menacé par la vieille qui promit appeler l’animal gardien de la maison, l’accro des os s’il essayait de s’échapper.  Il devra servir de public à Nanan qui lui raconta toute son histoire. Comme un dialogue entre grand-mère et son petit-fils, les deux personnages sympathisèrent si vite que prise de compassion pour le petit enfant de la rue, serviable par-dessus tout, la vieille lui offrit une bague précieuse et un jouet rempli d’oseille. Mais Skéléwu pourra-t-il bénéficier de l’entièreté du don?

La cinquième nouvelle ayant pour titre « Le collier » est une histoire qui traite de la culture. L’actualité y trouve sa place : la restitution des objets sacrés au peuple auquel ils appartiennent. Guichi-Gao Fodjinon accompagné d’une stagiaire, Kékéli, avait, par le biais d’un initié, dérobé un masque sacré que réclamait le Ballè de la cérémonie de sortie des égoungouns, cérémonie à laquelle il prit part. Niant les faits et comptant sur son amulette, il lança un défi au Hounnon, le Ballè. Celui-ci accepta volontiers le challenge mystique. Devant le Tolègba, Guichi-Gao Fodjinon comprit à ses dépens qu’on ne ment par devant la divinité, ni les ancêtres et que son amulette ne saurait le sauver. Il dut avouer pour survivre à l’essoufflement mystique.

Il appert que la politique est un thème presque incontournable de nos jours en écriture. Faisant un tour à la sixième nouvelle de ce recueil nommé Ewlizo, l’on pourrait confondre l’histoire à l’un des événements poignants de 2016 avant les présidentielles. Mais attention précise l’auteur « cette histoire est une pure fiction ». Zéwé, un jeune fougueux, à l’arrestation de Djabi Mangba, cherchait à se révolter contre le gouvernement de Wissemwa sur les réseaux sociaux. Tres actif dans la vie politique, il a des militants et des jeunes frères dont Tchénabi qui lui était très dévolu et qu’il initiait. Il semblerait que Djabi Mangba, le député gentil, Kpoto’o, aurait fait allégeance à Crésus d’Achille devenu pire ennemi de Wissemwa. Wissemwa ne pouvant digérer cette félonie, dépêcha sa force militaire au domicile de Mangba qui « avait été élevé au rang de héros national pour avoir tenu des propos irrévérencieux à l’endroit du Président de la République… Il aurait traité Wissemwa de plusieurs noms d’oiseaux, de mammifères et même de poissons». S’étant rendu aux abords de la maison du député pour prendre les photos à chaud, Zéwé ne savait pas ce qui l’attendait. Crépitements. Détonations…Il a fallu que Tchénabi se précipitât pour tenter de le sauver sans compter avec les caprices des agents de santé. Juché sur « un véhicule » à deux roues, le Bajaj d’un Zémidjan compatissant, il fut transporté à l’hôpital où la mort semblait l’attendre.

A travers la dernière nouvelle de ce recueil, « Les pyromanes« , Martial KOGON nous conte l’histoire de deux jeunes dames, Assiba et Dossi. Toutes deux avaient des problèmes financiers. Malheureusement, leurs statuts sociaux ne leur permettaient pas de faire des prêts bancaires afin de booster un peu leurs différentes activités économiques. Après leurs entretiens infructueux dans une structure financière, elles rencontrèrent un homme qui leur parlera d’un prophète par qui Dieu faisait des miracles. Mais quel genre de miracle ? Ce qui est marrant, c’est l’image d’Assiba qui, lorsqu’il ne restait qu’un seul miracle à opérer sur quinze et que le prophète tout proche d’elle se retourna brusquement pour se diriger vers une autre rangée, se mit à crier manquant à peine de défigurer le prophète avec sa béquille : «rends moi mon miracle ». Attention donc aux voleurs de miracles.

 

Notes après lecture 

*Sur le genre ‘’nouvelle’’

Les caractéristiques d’une nouvelle sont respectées : la plupart des nouvelles n’ont que deux à trois personnages, les intrigues connaissent des suspenses mais la chute advient ensuite. Seulement si l’on doit s’en tenir au formel, on note un peu trop de descriptions à certains endroits.

*Sur les thèmes développés

Plusieurs thèmes ont été développés : de la ruse de Doziao à l’amour entre Evenyé et Essoh, de la vengeance de Fatai au coup du destin de Skéléwu avec la force du sacré pour chuter dans la politique, tout avait l’air d’un miracle malgré les difficultés de la vie rencontrées par Assiba.

*sur le style

Martial a un style charmant qui vous laisse ancré dans ses écrits imagés avec une teinte particulière d’humour qu’il crée à chaque intrigue et surtout quand la tristesse vous saisit. Lisons ensemble ces deux petits extraitsdésopilants :

1er extrait

« La première balle a éclaté les incisives du vigile. Ce n’est pas trop mal non plus, l’au-delà sera épargné de son sourire de benêt. Le second projectile a répandu sa cervelle sur le plancher. Je ne parviens pas à réprimer un petit cri de surprise. Je viens de faire une découverte : Bèlèfoutou avait un cerveau. Il a réussi à me le cacher durant tout ce temps. Puis la surprise cède place à la colère. Bèlèfoutou me doit trente mille francs… » Page 19.

2ème extrait

« Une publication était épinglée depuis huit minutes : *si tu penses comme moi que le président Wissemwa est un dictateur, mets ton ‘’j’aime’’ ; si tu crois qu’il viole la constitution, commente ; si tu penses qu’on doit le dégager dès aujourd’hui même, partage* » page 133. Martial KOGON écrit en maitre.

*Sur l’ensemble des histoires

La mort a eu trop de place dans ses histoires surtout les fins, au moins dans trois des nouvelles. Il donne l’impression qu’un écrivain est un assassin fictif (rire). Comme lui-même a eu à le dire au lancement de l’ouvrage, l’écrivain est un créateur de son monde. Et un créateur aime fait vivre… en principe

*Sur les personnages et la culture

Les noms des personnages vous font sourire : Klébé, Zéwé, Djabimangba, Wissemwa, Bèlèfoutou.

On sent que l’auteur est jeune et ancré dans la culture béninoise avec l’utilisation de certains termes tels Dji, Djika, Ballè, Egoungoun.

Conclusion

Avec beaucoup de glaçons est un recueil de nouvelles bien écrit et riche en thématiques toutes intéressantes. D’une intrigue à une autre, d’une nouvelle à une autre, le lecteur est sidéré par le génie littéraire de Martial Kogon.

« Vous laisserez-vous toucher par l’innocence du petit Skéléwu, emporter par la fougue du jeune Zéwé, ou encore choquer par les punchlines de la belle Doziao ?

De Cotonou à Paris, entre hilarité et violence, humanité et passion, cette plume retient votre souffle en otage, avec un sens de l’intrigue et une maitrise de l’humour noir déconcertants  »

Servez-vous avec beaucoup de glaçons et vos expressions seront fraiches comme un jeune garçon devant une pin-up (sourire). Vous ne serez du tout déçus en essayant!

Amoni Bachola

8 comments

Bonjour Cher Fabrice,
Il est vendu à 4000f à la librairie Notre Dame

un ramassé tout aussi passionnant que le recueil. chapeaux aux  »biscottais » (rire)

Waoooh! Comme ça m’a fait salivé…Avec beaucoup de glaçons, je te dis merci Amoni pour ce si beau compte rendu. Les biscottes, irrésistibles !

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