« Le chant du lac »: quand de la mort des dieux germe l’espérance d’un monde nouveau et de la vie autrement vécue et que monte vers le firmament le cantique de la re-création après l’apocalypse..
INTRODUCTION
« Les pays sont à l’image de leurs habitants et chaque pays a sa physionomie et son caractère spécifique » a dit G. Potiékhna dans sa postface de l’œuvre le chant du lac, Page 145. Nous nous accordons volontiers à cette pensée après lecture de ce chef d’œuvre qui nous plonge au cœur des réalités socio-politiques d’une communauté Africaine. Nous sommes à Hadomé plus précisément à Wésè, une région dotée d’un lac. Un lac qui chante. Un mystère que l’on ne saurait taire d’autant plus que la trame se déroule en Afrique. Une Afrique, restée incorrigible sur certains détails de son fonctionnement. Tous les jours le soleil se lève à l’Est pour se coucher à l’Ouest, mais ce n’est pas pour autant que les lois naturelles ne subissent pas le joug pesant des mystères africains. Le lac, ici, est au centre de tous les intérêts. Et la question qui hante l’esprit est tout simplement violente: Que cache le lac, premier centre d’intérêt des autochtones? Quel est ce chant qu’exécute un chœur inconnu et incongru, semant terreur et crainte dans le rang des usagers du lac? L’Afrique toute entière est un mystère, nous le savons. Mais dans ce cas de figure, l’auteur, né de parents Vodounsi nous plonge dans les arcanes des choses dont on ne peut parler aisément sans être un initié : “Les choses dans l’ombre” dirait Gaston ZOSSOU. Nous ne perdons rien en essayant cette aventure littéraire. Allons donc à la découverte des solistes du lac…
- BREVE PRESENTATION DE L’AUTEUR
Né en 1928 à Ouidah, au Bénin, Olympe BHELY-QUENUM fit des études en lettres classiques et en sociologie. Plus tard après l’obtention d’une maîtrise et d’une licence dans ces deux domaines, il étudia l’administration et la gestion des entreprises à Paris. Il s’est ensuite tourné vers le journalisme. Il écrit plusieurs romans dont Un piège sans fin publié en 1960, Liaison d’un été publié en 1968, Un enfant d’Afrique en 1970, l’initié en 1979, Les appels du Vodoun en 1994, Le chant du lac publié en 1965, roman qui lui a valu en 1966 Lauréat du grand prix de littérature d’Afrique noire. Par ailleurs on lui reconnaît aussi deux romans inédits qui sont: As-tu vu Kokolie? Et Années du bac de Kouglo.
A- RESUME DE L’OEUVRE
Le chant du lac s’exécute à Hadomé. La légende raconte que dans ce lac vivaient deux dieux qui auparavant étaient de simples humains. Amoureux l’un de l’autre, ils se verront dans l’incapacité de vivre pleinement leur idylle. La famille s’y opposait. C’est ainsi qu’après un bain pris dans le lac de Wésè, ils disparurent pour toujours. Un grand mystère. Noyade? Suicide? Une chose est pourtant évidente, ils sont devenus désormais les dieux du lac. La même légende raconte que les dieux du lac décidèrent dans leur courroux de faire payer l’échec de leur amour à toute la communauté de Wésè. De facto, les fils et filles de Wésè disparaissaient, mourraient. Cependant, un nouveau vent va souffler. Celui du retour au pays d’un groupe d’étudiants. Ce retour sonnera le glas des souffrances et de l’époque de terreur. Ils se feront objecteurs de consciences et porteurs de la dernière volonté de Houngbé. Ce dernier préconisait de tuer les dieux du lac. Mais la mort eut raison de lui avant qu’il ne puisse mettre son projet à exécution. Le projet du meurtre des dieux est fait par Houngbé. Les étudiants voudront l’aider à le réaliser. Cependant, ce sera au piroguier Fanouvi et à ses passagers Mme Ounéhou et ses enfants de se retrouver face à face avec les dieux du lac au moment fatidique.
B- QUELQUES THEMATIQUES PHARES
- L’IMMOBILISME AFRICAIN
Selon le dictionnaire Larousse, l’immobilisme se définit comme étant la tendance à valoriser le statu quo social, culturel et religieux. Dans ce contexte, l’auteur nous fait part de l’immobilisme culturel africain qui se manifeste en majeure partie dans l’oeuvre. C’est le thème principal du roman. L’auteur nous explique que les dieux du lac sont vénérés et constituent un objet de crainte non seulement pour les adeptes mais aussi pour tous les habitants du village. Cette légende est transmise et conservée d’une génération à une autre au fil des années. Les dégâts en perte de vies humaines causés par ces dieux étaient alors perçus comme des actes divins qui ne doivent pas faire objet de répression ou d’insurrection. Le même comportement s’observe dans le roman « Un os dans la gorge des dieux « de Gaston ZOSSOU. Les dieux du panthéon sèment dune crainte sans précédent. Ils frappent le présumé fautif sans rémission. Car ils n’ont besoin de la permission de personne. C’est ainsi, et rien ni personne n’a le droit de faire bouger les choses au risque d’être pris pour cible. L’instinct de conservation du statu quo chez l’africain est assez remarquable. Il l’est encore plus quand il s’agit de religion. Karl Max avait vu juste: “La religion est l’opium du peuple.”
- LE COMBAT DE L’IMMOBILISME AFRICAIN PAR LA FEMME
Il est à noter que la femme a joué un rôle primordial dans « Le chant du lac« . Pour libérer le peuple de Wèsè du joug culturel et religieux qui lui pesait, le personnage de madame Ounéhou au moment fatidique a fait usage de sa raison. Elle a laissé la raison prendre le dessus sur ses sentiments et ses croyances et a osé ce que jamais personne n’a pu faire. Madame Ounéhou a entamé le combat avec les dieux marins et son piroguier lui a emboité les pas. Ce combat engageait toute forme d’immobilisme. Et si les femmes prennent le devant c’est que leur seule volonté de vivre surpasse les fausses doctrines qui s’érigent en vérité absolue. Même si une certaine misogynie tend à penser qu’elles n’ont pas toujours les idées claires, il est évident que les décisions qui visent à protéger la famille ne tardent pas à s’imposer à elles quand l’urgence se fait sentir. Noussi en est venue à cette conclusion face au danger imminent: “Il faut en finir avec les dieux” page 112 pensait- elle et sa propre pensée la terrorisait. La lute contre la conservation des anciennes mœurs par les femmes fait également ravage dans d’autres ouvrages telle que « Une si longue lettre » de Mariama Ba. L’héroïne Ramatoulaye face aux discriminations conjugales entretenues par la religion musulmane s’apparente madame Ounéhou et ses enfants. Toutes deux eurent le courage de s’opposer à la religion d’une manière ou d’une autre. Mais il faut le notifier, ce qui est fustigé n’est pas la religion en elle-même mais l’ensemble de ses pratiques qui ne favorisent pas l’épanouissement des femmes.
- LE COURAGE
Le courage s’observe dans l’oeuvre à divers niveaux notamment la révélation du désir de Houngbé de tuer les dieux du lac et l’acte de Madame Ounéhou dans la pirogue. Les étudiants de leur retour au pays n’ont pas éprouvé une quelconque peur devant ce peuple croyant et conservateur de ses cultures; bien au contraire, ils ont eu le courage de porter le message de Houngé, ce message qui constitue un sacrilège pour les habitants de Wèsè. Quant à madame Ounéhou, elle eut le courage d’affronter les monstres marins bien qu’étant une adepte des dieux du lac. Ce courage égale en intensité celui du héros de Gaston ZOSSOU dans son ouvrage « Un os dans la gorge des dieux« . A lui seul il affronte tout le panthéon béninois à la seule exception que lui, il périt à la faveur d’une distraction féminine. On pourrait aussi citer ici en référence les personnages de Ramatoulaye et d’Aïssatou in « Une si longue lettre« de Mariama Ba.
- L’ORALITE AFRICAINE EN CHUTE LIBRE FACE A LA SCRIBALITE EUROPEENNE.
“Quand on ne palabre plus, on oublie qu’on est né dans le pays des hommes noirs.” (P 14.) Le tissu social en Afrique entretient des liens étroits avec le passé, le souvenir, la mémoire. Pour scruter l’avenir, on a recours à l’oracle qui dit quelque chose de l’origine et du destin de celui pour qui il est consulté. Et l’oracle, c’est le verbe, la parole, le logos, principe de toute chose. La vie dans les sociétés africaines s’articule autour des échanges, les confidences, les apartés de tout genre qui fondent les rapports humains et font la vie de la communauté actuelle et de celle à venir. Car en Afrique il est important de transmettre les récits et les légendes à la jeune génération. Le bouche à oreille constitue un mode opératoire assez propre à l’Afrique. C’est ce que l’on appellera plus tard l’oralité. Une oralité qui s’élève au rang des habitudes sacrées à ne pas négliger. C’est ce qui justifie l’indignation de l’oncle Gbènakpon, Akpoto et des ainés, symboles vivants de l’ancienne corde qui tend la main à la nouvelle, lorsque cette dernière leur apprend son mode de vie en France. Mode de vie qui n’admet ni palabres inutiles, soirées autour du feu, ni de “Houenouxo”.
Pour ces jeunes étudiants africains en France il n’est pas nécessaire de s’attarder en palabre en les soirs. Fina enfonce le couteau dans la plaie: “Ce n’est pas avec les paroles d’autrefois qu’on formera notre génération” page 14. Pour les ainés, c’est la réplique de trop. Elle sonne le glas de leurs rêves de perpétuation de la tradition. C’est la prévue que leurs enfants qui sont sortis du pays n’y sont pas revenus comme ils en étaient partis. Cette réplique a les mêmes allures réfractaires, frontales et révolutionnaires qu’avaient celles de Kani à l’endroit de son frère ainé dans « Sous l’orage » de Seydou BADIAN. Le clivage générationnel entame la perte identitaire de la jeunesse africaine. Quand on ne palabre plus, on oublie qu’on est né dans le pays des hommes noirs. L’oralité africaine serait donc en chute libre face à la « scribalité » européenne. Puisqu’en France personne n’a le temps de parler, on écrit tout. N’est-ce pas que “tout change et nous devons vivre avec notre temps.” Selon les propos de Biraima (in, sous l’orage, Seydou BADIAN.) ? Cependant, quand on ne sait pas où l’on va, on sait d’où l’on vient.
C- LE CHANT DU LAC, UN OS DANS LA GORGE DES DIEUX, LECTURE CROISEE
« Le chant du lac » est une oeuvre qui retrace la vie politique du peuple Dahoméen et sa vie culturelle à travers sa relation avec les divinités de son panthéon dahoméen, car il s’agit bien ici d’une anagramme savamment conçue: « Hadomé » nous dit l’auteur voudrait laisser entendre Dahomé. « Le chant du lac » est une suite des évènements survenus dans le précédent roman de l’auteur, « Un piège sans fin« . Il faut dire que le piège trouve enfin sa fin dans le concert orchestré par les solistes du lac. Ils l’ont bien appris à leurs dépends. Ce roman fait la satire des mœurs anciennes dahoméennes et prône « un regard éclairé et une juste appréciation » de ses cultures. Le geste de l’héroïne représente la matérialisation de l’immobilisme africain que la femme doit pouvoir vaincre pour son épanouissement total. Les superstitions sont autant de maux que renferment les us et coutumes africaines. Les belles histoires de grand père autour du feu, les légendes africaines servent aussi parfois à mettre la maison en péril.
Dans « Un os dans la gorge des dieux« , Gaston ZOSSOU ne lésine pas sur les mots pour faire ressortir les tares de la religion dans la vie socio-culturelle des africains. Le héros est le personnage porte-parole d’une société qui s’enferme dans les arcanes d’une Afrique mystérieuse. Ce personnage s’est engagé dans le même combat que Ounéhou. Cependant, les deux personnages n’évoluent pas selon la même allure. L’héroïne d’Olympe BHELY-QUENUM arrive à ses fins et réussit la mission que le destin semble lui avoir assigné. Elle a survécue face à un danger imminent. Tandis que le frondeur de Gaston ZOSSOU lança un défi aux chefs religieux suite à leur refus de l’accepter dans leur cercle. Autrement dit, les deux personnages héros n’avaient pas la même motivation ni le même but. Ils avaient juste un ennemi commun. On pourrait à première vue croire en un soutien de la femme par l’homme dans son combat contre l’immobilisme africain dans un contexte différent. Cependant le paradoxe est frappant quand on constate que c’est par le biais d’une femme que le héro frondeur périra. Femme, dans « Le chant du lac« , fer de lance pour sortir l’Afrique de l’immobilisme culturel et religieux. Femme dans « Un os dans la gorge des dieux« , pour détourner le héros de sa mission. Il faut croire que les femmes se présentent sous les jours de l’alpha et d’oméga. C’est par elles que le meilleur et le pire arrivent. Nos deux héros, l’une, coupe- coupe dans la gorge des dieux et l’autre un os dans la gorge des dieux se rencontrent à la croisée des écrits de deux auteurs prolifiques. L’un de l’ancienne génération et l’autre de la génération actuelle (pas aussi jeune que ça, mais actuel). C’est la preuve que l’Afrique a un problème avec ses divinités et il faut bien en parler, quelle que soit l’époque à laquelle l’on appartient.
Parlant du style des deux auteurs il faut remarquer l’emploi régulier du conditionnel dans l’oeuvre de Gaston ZOSSOU. Un conditionnel qui abrite les passages les plus hilarants. Le registre soutenu tout au long du texte n’a rien avoir avec celui utilisé par Olympe. Un style simple, digeste et par très hilarant. Il fait preuve d’originalité en mettant des portées musicales pour illustrer les passages marqués de chansonnettes.
CONCLUSION
Le lac chantait, le lac ne chante plus. La voix des cieux s’est éteinte. Les dieux se sont tus, les adieux des villageois adeptes de la religion du lac s’élèvent vers le firmament. Fin. Tragédie. Apocalypse. Recréation. Renouveau. Après le déluge, une nouvelle vie doit pouvoir commencer. L’arche ici, c’est le courage de ces hommes et femmes qui ont su faire exprimer leur foi en l’avenir en écartant de la route, tous les obstacles qui ont pour nom peur, obscurantisme, mais aussi mépris et rejet de ses origines. C’est tout un mélange de symboles et de signes. Toute proportion bien gardée, il faut retenir que cet ouvrage est une invite aux peuples africains. Il est temps de laisser de coté les superstitions et cette tendance qu’ils ont à tout diviniser lorsqu’ils n’ont pas d’explication immédiate aux situations auxquelles ils sont confrontés. C’est ainsi que les hommes arriveront a un tel degré de maturité et pourront vaincre les faux dieux pour un jour dire à l’instar du fils de Ounéhou: “S’il faut être un dieu pour être si bête, j’aime mieux être un homme.” Ou mieux encore, scander tel Jacques PREVERT: “Notre père qui êtes dans les cieux, restez-y et nous, nous resterons sur la terre, qui est quelques fois si jolie”.[1] Mais au-delà de la terreur et de la tragédie qui le traversent, « Le chant du lac » demeure une oeuvre d’espérance, de libération des chaînes de la crédulité et ses superstitions. « Le chant du lac »: quand de la mort des dieux germe l’espérance d’un monde nouveau et de la vie autrement vécue…
Adebayo I. Cyriaque ADJAHO
[1] https://lignesdeforce.wordpress.com/2016/07/26/et-nous-nous-resterons-sur-la-terre-qui-est-quelquefois-si-jolie/
Bon travail Cyriaque. Un travail très plaisant, qui donne envie d’aller lire le livre, encore et encore.
Merci Claude.
Beau travail.