<<Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe >> est une version retouchée d’une lettre écrite par Chimamanda Ngozi Adichie à l’une de ses amies d’enfance qui sollicite son aide pour donner une éducation féministe à sa petite fille. Traduit de l’anglais (Nigéria) par Marguerite Capelle, l’œuvre est parue en 2017 aux Éditions Gallimard. L’auteure, au-delà d’une simple missive, entend étendre ses actions « féministes » à tous les âges car écrit-elle: <<je suis convaincue de l’urgence morale qu’il y a à nous atteler à imaginer ensemble une éducation différente pour nos enfants, pour tenter de créer un monde plus juste à l’égard des femmes et des hommes. >> (page 12). Ici, il s’agit d’une éducation plus juste, une éducation qui prône l’égalité des sexes, des deux genres. Etalé sur juste 78 pages, <<Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe >> est une œuvre riche en éducation féministe.
Pour répondre à la demande de son amie, Chimamanda Ngozi Adichie commence par deux règles qu’elle appelle ici << outils féministes >>. Par sa première règle, elle incite la femme à reconnaître son importance dans la société : <<Je compte. Je compte autant. Pas <<à condition que>>. Pas <<tant que>>. Je compte autant. Un point c’est tout. >> (page 16). Elle énonce comme suit la seconde règle : <<Et fie-toi toujours et avant tout à ton instinct, car l’amour que tu portes à ton enfant sera ton meilleur guide >> (page 17 ) Voici là un grand conseil , le plus précieux d’ailleurs que Chimamanda Ngozi Adichie a eu la gentillesse de donner à sa meilleure amie, bien avant de lui soumettre ses quinze suggestions. Rien ne vaut l’amour d’une mère, car de la naissance à l’épanouissement des enfants, tout passe par la mère. Elle représente un pilier important pour la famille au même titre que l’homme, sinon plus. L’auteure reprend un conseil de l’Américaine Marlene Sanders , pionnière du journalisme et première femme à couvrir la guerre au Vietnam, à la page 18 de l’œuvre <<Ne vous excusez jamais de travailler. Vous aimez ce que vous faites, et aimer ce que vous faites est un merveilleux cadeau à offrir à votre enfant. >> . La maternité ne peut représenter un obstacle pour une femme de travailler. Du moment où son travail lui rapporte ce qu’elle escompte, c’est le plus important.
À travers les quinze suggestions, Chimamanda Ngozi Adichie a peint ce que devrait la condition de vie normale de la femme. Voici quelques idées fortes qui se dégagent de ces suggestions:
<< Tout le monde aura une opinion sur ce que tu dois faire, mais ce qui compte c’est ce que toi tu veux pour toi, et non ce que les autres voudraient que tu veuilles. >> page 19 <<Refuse, je t’en prie, l’idée selon laquelle la maternité et le travail seraient incompatibles.>> page 19
<<Les tâches domestiques et l’éducation des enfants devraient appartenir également aux deux sexes, et nous devrions nous demander non pas si une femme est capable de <<tout gérer de front mais comment aider les parents à remplir leur double responsabilité à la maison et au boulot>>. (Page 21) Dans ce sens, l’auteure recommande: << Occupez-vous de votre enfant à parts égales. >> (page 22 ), car l’éducation des enfants ne revient pas totalement à la femme. Le père doit prendre les mêmes responsabilités que la mère pour le bien-être de tous. Le fait d’être une femme ne devrait représenter un obstacle pour faire telle ou telle chose. << Ne t’avise jamais de lui dire qu’elle devrait ou ne devrait pas faire quelque chose <<parce que tu es une fille.>> (page 25) Pourquoi achetons nous des poupées aux filles et des voitures, des jeux télécommandés aux garçons ? Chimamanda pense que<< Nous avons tendance à juger trop vite que les filles ne peuvent pas faire plein de choses.>> (page 31). Fondamentalement, l’auteure souhaite que le pouvoir revienne aux femmes, du moins, qu’elles aillent à la conquête du pouvoir car la gestion de la Res publica, n’est pas inscrit que dans les chromosomes mâles. Les filles autant que les garçons doivent rêver grand et apprendre à la fille à rêver grand, c’est élever l’humanité des bassesses dans lesquelles elle croupit depuis des millénaires. Dans ce sens, elle fait un procès au verbe « permettre » sans pour autant en proposer une herméneutique propre à elle et qui soit en mesure d’ouvrir davantage nos horizons sur le contenu réel de ce verbe qu’elle attaque sans aménité: « << Permettre est un terme problématique. Permettre renvoie au pouvoir. >> (page 33) << Nous avons été tellement conditionnés à considérer le pouvoir comme masculin qu’une femme puissante est une aberration. >> (page 36). Selon l’auteure de « Nous sommes tous des féministes« , il est temps maintenant que nous donnions à nos filles une éducation juste, donc une éducation féministe. Il faut donc apprendre aux filles à s’accepter, à aimer la lecture, à faire du sport, à être ferme sur leur décision, à ne pas mettre le sexe en excuse pour ne pas faire telle ou telle chose. Il faut apprendre aux filles à être juste des personnes, et faire tout ce que, une personne normale doit faire. Être féministe, ne supprime pas la féminité. Si la fille trouve juste de prendre soin de son corps, de se maquiller, c’est sa personnalité et il faut l’accepter. << Éduque- là à la différence. Fais de la différence une chose ordinaire. Fais de la différence une chose normale. >> (page 76 ) Apprenons donc aux filles à accepter leur différence, puisque chacun est unique en son genre. << Qu’elle soit en bonne santé, heureuse. Qu’elle ait la vie qu’elle désire, quoi que cela puisse signifier. >> (page 78)
Ce que je pense de l’œuvre
<<Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe >> de Chimamanda Ngozi Adichieune est belle œuvre. Je loue le génie de l’auteure de saisir l’opportunité d’une simple lettre pour en faire toute une œuvre accessible à tous, rédigée dans un style direct, poignant, plein d’humour et de sincérité. L’œuvre dit quelque chose des convictions de l’auteure connue pour ses prises de position par rapport à la question du féminisme ou de l’égalité des sexes. Mais quand elle dit ceci: << Occupez-vous de votre enfant à parts égales. >> (page 22 ), comment le comprendre? Que le mari et la femme doivent établir, par exemple un calendrier, pour « assumer » la garde de l’enfant? Par ailleurs, le droit la différence, certes, doit être la chose la mieux partagée et on ne doit demander pas aux filles de prendre les garçons pour paradigme d’évolution ou d’émancipation. Mais jusqu’à quel seuil doit-on pousser cette volonté de faire grandir la fille dans l’esprit qu’elle n’existe que pour elle-même? Devra-t-on être surpris qu’elle grandisse dans l’indifférence de l’autre genre et dans l’égoïsme, puisque finalement ce qui subsiste, ce ne sera ni le garçon ni la fille mais deux genres, deux sexes, deux individualités qui se font face dans l’annihilation et « l’oubli » de leurs différences sexuelles et physiologiques. L’auteure affirme en effet: << Qu’elle ait la vie qu’elle désire, quoi que cela puisse signifier. >> (page 78). Dans ce cas, que fait-on du principe « ma liberté s’achève là où commence celle des autres? » et de cette pensée lumineuse de Mariama BA « La vie est un éternel compromis« ? Vivre, c’est aussi savoir que la vie se tisse avec les fibres des autres personnalités que l’on a en face de soi et dont on doit tenir compte pour une vie plus harmonieuse.
Les souhaits de Chimamanda NGozi Adichie pour la fille de sa meilleure amie sont bons. Que toutes ces femmes qui liront cette œuvre, ainsi que tous ces hommes « féministes », qui luttent pour la cause des femmes, y trouvent les ressources nécessaires à leur combat pour plus de justice et d’équilibre entre les hommes et les femmes.
Camelle ADONON est étudiante. Elle passe en deuxième année de droit à la Faculté de Droit et de Sciences Politiques d’Abomey calavi . Elle aime la lecture et l’écriture.
« Vivre, c’est aussi savoir que la vie se tisse avec les fibres des autres personnalités que l’on a en face de soi et dont on doit tenir compte pour une vie plus harmonieuse ».
Merci pour le partage. Je viens de découvrir un nouvel ouvrage frappant par son actualité.
Un très beau livre, en effet, Expédit, qui relance le débat sur le féminisme