Le Chroniqueur du PR, Daté Atavito Barnabé-Akayi

Le Chroniqueur du PR, Daté Atavito Barnabé-Akayi

INTRODUCTION

Le chroniqueur du PR. Après avoir lu cette pièce théâtrale, j’ai eu de gros frissons et je me suis demandé si la politique ne peut vraiment être autre chose que sauvagerie, roublardise et impertinence à l’endroit du peuple. En sortant de ce livre décapant, j’avais l’impression d’être en proie à un tournis indescriptible. Les thématiques qui y sont développées sont d’ailleurs fonction de cette impression. Et la pression quasi permanente tout le long de ce trajet me fait conclure qu’il s’agit en réalité d’un « terrorisme littéraire », caricature d’un autre terrorisme : le terrorisme de la boulimie du pouvoir. Oui, Daté Atavito Barnabé-Akayi, tel un Kamikaze qui “renait de ses cendres“(allez y comprendre quelque chose) se revêt de son manteau d’objecteur de consciences et nous sert à nouveau une intrigue politique suavement cuisinée. Après Les confessions du PR en 2011 il revient avec le chroniqueur du PR, un livre tout aussi poignant que le premier. Parler de terrorisme à connotation politique dans une œuvre littéraire qui, plus est une pièce de théâtre, c’est mettre en exergue à grande échelle des vérités connues et ressassées tout bas par une communauté de lecteurs ou non. C’est à la limite, remuer le couteau dans la plaie. Cependant que certains esprits trop émotifs pourraient s’offusquer d’un tel acte de la part du dramaturge, on pourrait y trouver la marque d’un ridicule à peine voilé par endroit. «(…) Le ridicule est toujours si près du sublime(…) » reconnais-je avec Georges BERNANOS dans son Journal d’un curé de campagne. Mais ce ridicule ci n’a rien de sublime. Il est plutôt tragique. Barnabé-Akayi nous plonge dans un univers tragi-comique où il aborde et fustige avec moult mots, les maux d’une société sacrifiée sur les autels de la démesure et de la boulimie politiques. Il le fait dans une ironie mordante capable de faire imploser de rires même le lecteur averti. Mettez vos lunettes d’analystes et suivez cette chronique d’un certains chroniqueur du PR.

CONTEXTE D’EMERGENCE ET INTRIGUE

Daté Atavito BARNABE-AKAYI a écrit cette pièce aux lendemains des élections présidentielles de Mars 2016. Le nouveau régime a eu le temps de s’installer. C’était le moment où l’on se remettait de l’effervescence des campagnes pompeuses. Finies les élections, place à l’exercice du pouvoir. L’auteur ici, semble insinuer que le pouvoir est une forme de terrorisme déguisé au regard des difficultés qui montrent déjà leur museaux très tôt après les joutes électorales. En considération des dérapages, des abus et des victimes qui s’observent de tout coté. Le panier de la ménagère est vide et comme si cela ne suffisait pas moult réformes politiques viennent couronner le chapelet de déboires qui agrémentent le quotidien de la population. Le peuple, nonobstant ce ciel brumeux, en dépit de tous ces gros nuages noirs qui s’amoncellent sur sa tête, ne manque pas d’agiter les mains en guise de victoire, content d’avoir changé de régime. . En témoigne cet extrait :

            « –Et comme par magie, mon pays se porte bien avec ses hommes politiques inquiets   de l’état de leurs propres bourses plutôt que du panier de la ménagère. Chaque     fois qu’on fait les élections présidentielles, le peuple est ravi d’avoir changé de    président, et pense-t-il de système politique. Le président entrant lui-même utilise les mots magiques comme dans un conte ! Ils me font rire, ces hommes politiques !    Magie ont-ils dit ? Moi je vois là les mêmes hommes politiques avec les mêmes      avidités et la même soif de conduire le pays aux enfers. » (Page 32)

Magie a-t-on dit. Mots magiques, sortilèges prolifiques créateurs de richesses et de développement, promesses politiques dont on se targue seul capable de réaliser en bombant le torse tout en perdant de vue que « La promesse est une couverture bien épaisse mais qui s’en couvre grelottera aux grands froids » dixit la sagesse Africaine (Birago Diop, in les nouveaux contes d’Amadou Koumba). Voilà ainsi résumés en quelques mots ce qui caractérisait l’ambiance qui a prévalu et qui a inspiré cette pièce théâtrale. Etat de choses intriguant au point où l’auteur par le biais de son personnage assimile l’exercice du pouvoir au terrorisme. «(…) Le terrorisme de nos jours est un métier noble(…) » (page 15).Son côté obscur émanerait des « instruments de terreur qui ont connu de perfectionnement au point de le rendre horrible ».

Le chroniqueur du PR, c’est une intrigue « intriguante », une intrigue entièrement à part où chaque page dégage des énergies atomiques qui créent l’insécurité et l’angoisse chez le lecteur: « Que se passera-t-il encore maintenant? N’est-ce pas assez suffisant ainsi? « . Ici, l’intrigue se déploie autour de deux personnages, unis par les liens du métier et de l’amitié: ils sont tous deux journalistes et amis. L’un, journaliste hier, président aujourd’hui (le confrère) et l’autre, journaliste de toujours (le chroniqueur) emballent le lecteur dans les sinuosités d’un drame littéraire décapant, mais qui se révèle à la fin un drame politique suicidaire pour le peuple. Le chroniqueur hardi plébiscite de guingois le Président en mettant en relief les tares de sa gouvernance dans ses chroniques. Mais demeurer un journaliste au nom de la vérité sous un régime dictatorial est un acte courageux. Bientôt, le chroniqueur sera victime d’un rapt. Tortures et bizutages seront son lot quotidien. Et pour couronner l’infamie, l’assassinat de sa femme et de ses enfants vient comme enfoncer le coeur du lecteur le dard venimeux de l’incongruité politique. Il aura droit, avant d’être assassiné, à son tour aux aveux de son confrère. Le chroniqueur meurt pour la vérité, au nom de la vérité. Vérité cependant bannie de l’univers politique comme jadis en Katamalanasie (Cf. Sony Labou Tansi, La vie et demie). En témoignent les propos du confrère :

– « je te l’avais dit : La politique ce n’est pas la vérité du papier du journaliste. C’est la vérité que le peuple imbibé d’ignorance s’est construite. Et pour le peuple je suis celui qui a rehaussé l’économie du pays ! Je ne suis pas le criminel que tu as découvert et que tu cherches àdévoiler coûte que coûte. » (Page 73)

L’intrigue connait un dénouement tragique. Le Chroniqueur meurt avec sa vérité, il meurt pour la vérité – « Je te l’ai dit : la terre est familière à ceux qui s’adaptent, tuent et survivent. Ta vérité que je respecte est bonne pour les enfants…meurs tranquille, meurs bien » (Page 73)

STYLE DE L’AUTEUR

« Tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément » dixit Boileau. Daté BARNABE-AKAYI poète pur et dur a su aligner métaphores, allitérations, allusions, implicites et ironies pour mettre en exergue ses pensées les plus profondes sur  les affaires d’Etat. Une ironie mordante un peu comme celle qui caractérisait Socrate jalonne toute la première partie de la pièce. En témoignes quelques extraits : -« (…) Crois-tu que nous ayons connu le chaos, excuse-moi, je voulais dire le K.O sans son expertise en manipulation ? »

-«(…) Et puis je l’ai écrit dans l’une de mes chroniques, il n’y a aucun conflit syllabique entre rugissement et barrissement » (Implicite, page 29)

– « C’est clair comme le sang qui a coulé et qui coule lors des holocaustes, des génocides, des guerres. Et puis d’ailleurs, depuis quand nouveau est synonyme de beau ? Non, non il a juste promis de rompre. Je déteste les slogans. Ils n’amènent qu’à la débâcle. » (Page 29)

Le texte est aisé. Il le serait encore plus pour le lecteur bien averti de l’actualité politique. Les dialogues se déploient entre deux personnages, un duo. L’auteur a su distribuer la parole entre le chroniqueur et le confrère en adoptant des stichomythies (brèves répliques) et de longues tirades par endroit. Une profession de foi (présentation de point de vue personnel) jalonne toute l’œuvre. Par contre la courbe dramatique adoptée par l’auteur surprend dès la seconde partie et a tendance à perdre le lecteur distrait. La pièce respire dans un rythme dont les atouts sont l’humour, une ironie métaphorique frisant même la moquerie… sarcasme caustique…

IMPLICATIONS

1- Le vrai en question : une vérité matérielle aux antipodes de la  vérité politique (vérité formelle)

Du Latin « verum », le vrai qualifie d’un point de vue philosophique nos jugements sur ce qui est. Mais à l’évidence, le vrai concerne nos affirmations sur les choses qui existent. Il ne qualifie pas les choses en elles-mêmes. Mais nos jugements et nos discours sur les choses. Où voulons-nous en venir ?  Il urge de faire le distingo entre ce qui est vrai de manière formelle, et ce qui est vrai de manière matérielle, et pouvoir, après cet exercice, identifier le champs d’action de la vérité que nous qualifierons de “vérité politique.“  Il est on ne peut plus vrai que la vérité formelle prend en compte uniquement la forme du discours . Ce qui est vrai formellement ne l’est pas forcement de façon matérielle. La vérité politique s’apparenterait donc à celle formelle. Vérité à l’eau de rose, (…) bonne pour les enfants…(…) (Page 73). En politique, ça se passe de tout commentaire, pas de vérité forcement démontrable. Le politique affirme pour vrai ce qui lui chante. De l’intérieur à l’extérieur du fait, le mensonge et la vérité nouent le même pagne. A cet effet, le chroniqueur du PR vient comme pour entériner cette amère et désolante constatation de Véronique TADJO: « Les politiciens ne disent jamais la vérité. Ils attisent les haines. Quand le pays est pauvre et que la jeunesse est désœuvrée, ils peuvent facilement manipuler les gens en faisant des autres la cause de leurs malheurs. » (Véronique TADJO, L’Ombre d’Imana, Voyages jusqu’au bout du Rwanda, Actes du Sud, 2000. Et dans cette jungle où le mensonge semble flétrir la vérité, on se croit en présence des morts aussi tragiques et légendaires que celles de Norbert ZONGO et de Patrice LUMMBA.

2-De la vraie politique

« La politique est l’art de bien gérer la cité. » au sens étymologique du terme. Partant de cette définition, il faut dire que faire la politique c’et s’engager au service du bien commun. Faire évoluer la cité en apportant des solutions aux problèmes des citoyens. Emmanuel KANT affirme parlant de la politique : La vraie politique ne peut faire un pas sans rendre hommage à l’éthique. Pour TCHICHELLE  Tchivela in Longue est la nuit, « la politique est un jeu de fauves« . Cette dernière définition cache bien des réalités pas très plaisantes. Une jungle, où se livrent tous les combats pour le pouvoir au détriment du bien-être des populations. Daté Barnabé- Akayi se donne également à cet exercice de la définition de la politique, par le biais de ses personnages : -« Chaque environnement avec ce qu’il appelle politique. Nous faisons forcement de la politique puisque nous gérons notre cité, mais c’est trop loin des modelés classiques où même la bassesse s’opère avec finesse. » (Page 34); Le chroniqueur réplique à son confrère en donnant sa propre conception de la chose : – « Gérons notre cité ? D’abord le verbe gérer ne veut pas dire ce que nous faisons. Ensuite cité, nous n’en avons pas ! Donc pas de politique. » (Page 34) La politique se définirait-elle en fonction du cadre géographique ? (Ironie de l’auteur de mettre en lumière les démagogies de ceux qui nous gouvernent souvent en Afrique). Tout compte fait la vraie politique c’est celle qui se met au service du citoyen. A cet effet, la remarque du Pape Paul VI nous paraît suggestive:

« 4On rejette au contraire toutes les formes politiques, telles qu’elles existent en certaines régions, qui font obstacle à la liberté civile ou religieuse, multiplient les victimes des passions et des crimes politiques et détournent au profit de quelque faction ou des gouvernants eux-mêmes l’action de l’autorité au lieu de la faire servir au bien commun.

5- Pour instaurer une vie politique vraiment humaine, rien n’est plus important que de développer le sens intérieur de la justice, de la bonté, le dévouement au bien commun, et de renforcer les convictions fondamentales sur la nature véritable de la communauté politique, comme sur la fin, le bon exercice et les limites de l’autorité publique. » (Paul VI, Concile Oeucuménique Vatican II, GAUDIUM ET SPES n° 73, §§ 4-5)

 

 CONCLUSION

Toute proportion bien gardée, Le chroniqueur du PR a le mérite de mettre en relief le vrai visage de la situation sociopolitique qui prévaut un peu partout en Afrique. Ce n’est ici qu’une partie visible d’un iceberg à plusieurs facettes. Changer de président ne veut pas dire changer de système. Il est important que chaque citoyen s’imprègne de cela. Vote de sanction dit-on parfois. Mais que sanctionnons-nous. Une réécriture de soi s’impose donc. Autrement, l’indiscipline qui caractérise l’univers politique ne fera qu’émerger. –« Les hommes politiques que nous combattons tous les jours n’émanent que de nous. L’indiscipline doit nous quitter chacun à son niveau d’abord. Mais la question est : comment ? » (Page 41).  La question reste posée…

 

 

    Adebayo I.C. ADJAHO

 

 

 

 

 

1 comment

Beau compte rendu, Aɖebayɔ. Tu n’es pas moins « kamikaze » que Daté. Mais une inquiétude subsiste à mon niveau :  » Qu’est-ce qu’il y a concrètement dans le pouvoir pour que dès que les gens y accèdent, ils deviennent méconnaissables? »

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