La littérature béninoise au féminin continue de faire parler d’elle. La gente féminine, dite parfois trop carrée par certains, refuse de laisser grignoter pendant longtemps encore le demi-périmètre que leur laissent les turpitudes liées à leur condition. De nouveaux livres sont édités. De nouvelles figures apparaissent. D’anciennes figures confirment leur place. L’arène est bien animée et les lecteurs se régalent. Le combat pour l’émancipation de la femme se poursuit et leurs voix ouvrent de nouvelles voies, de nouveaux horizons où il nous est donné de reconsidérer la question de la situation de la femme chez nous. Des plumes de femmes déchirent de plus en plus le voile du silence pour défendre leurs droits. Au nombre de ces vaillantes amazones de la plume, figure Eugénie DOSSA-QUENUM. Elle signe cette année un livre titré « Les comètes de SO-AVA« , un long récit de 53 pages paru aux Editions IDL (Intégrale Diffusion du Livre). Ce livre vient comme une soupape de sûreté à la lutte pour l’émancipation et l’éducation de la femme. Nous avons la joie de présenter ici « Les comètes de SO-AVA« . Mais avant d’en dire davantage, nous nous intéresserons brièvement à l’auteure.
I- Qui est Eugénie DOSSA-QUENUM?
Eugénie DOSSA-QUENUM est une béninoise. Elle est mariée et mère de trois enfants. Son parcours force l’admiration. Elle a mis pied à l’école pour la première fois alors qu’elle avait déjà huit ans accomplis. Elle aidait sa mère dans son commerce. Sa réussite au BEPC et au Baccalauréat était un événement merveilleux. Voici ce qu’elle dit d’elle-même :
» Ma mère était une commerçante et je vendais avec elle au marché de Cotonou très tôt comme la plupart des fillettes de mon pays. Et pourtant, mon rêve le plus ardent était de me voir scolarisée et d’aller le plus loin possible dans les études. A force d’acharnement, j`ai fini par débuter l’école à l’âge de huit ( 8 ) ans.
A l’école primaire, laïque et gratuite pourtant, la distance trop longue à parcourir chaque jour était un obstacle à surmonter. La faim aussi. Les uniformes et les fournitures étant à la charge des familles, je devais continuer à aider ma mère dans son commerce. Alors j’étais écolière le jour et petite vendeuse d`oignon et d`œufs de pintade le soir devant notre maison en revenant de l’école.
Puis je contribuais aux tâches domestiques et ne me mettais à apprendre mes leçons et faire mes devoirs que tard dans la nuit à la lueur d`un lampion.
Je dormais très peu et étais souvent fatiguée mais la motivation ainsi que l’espoir d`y arriver me soutenaient. » (Sources: https://wilpfrance.wordpress.com/qui/eugenie-dossa-quenum/)
Le Bac lui ouvrit d’ailleurs les portes de l’université. Ingénieur-Biologiste et psychologue, elle a un parcours qui donne le tournis. Sur la quatrième de couverture de son dernier livre « Les Comètes de SÔ-AVA« , on peut lire ceci : « Elle est Biologiste, Ingénieur en Biotechnologie, Psychologue Interculturelle, aussi diplômée en Administration et Économie de la Santé. Chercheur Indépendant en Sciences Politique et Sociale, elle est Consultante en Gouvernance et Conférencière. Elle est par ailleurs membre de «Médecins du Monde». Mais elle est aussi connue pour ses nombreuses conférences et interventions sur les tribunes officielles du monde. Elle a à son actif quatre œuvres:
– Geny, petit ange sorcier du Bénin « , un roman autobiographique, (2010)
– Fabuleux destin de Geny (2013)
« Les puissances des liens invisibles et les petits secrets de la vie » (2016)
–Les Comètes de Sô Ava (2017)
C’est ce dernier livre qui fait l’objet de notre étude.
II- Contexte d’émergence du livre
L’œuvre est née d’un constat douloureux et amer. Il s’agit d’une situation dramatique survenue à SÔ-AVA en 2016 où le premier triplet de bachelières dudit village lacustre a sombré dans le Lac Nokoué. Et ce qui surprend, c’est que cet événement douloureux n’a été considéré que comme « un fait divers » par la presse. Ceci indigna Eugénie DOSSA-QUENUM qui lors de l’interview qu’elle accordait au Journal « La Nation » laissait flamboyer sa colère et son dépit: » Elle (l’œuvre ) informe d’un drame survenu dans le groupe des villages lacustres de notre pays et passé en « Faits divers », alors que dans d’autres pays, les trois filles, premières bachelières de leur village et ayant péri noyées dans le fleuve après les résultats, ce drame aurait fait l’objet d’un grand tapage médiatique….C’est donc un peu la réhabilitation de la mémoire de ces filles que je fais à travers mon petit livre « Les comètes de Sô-Ava ». » (Source: http://news.acotonou.com/h/98988.html). En poussant plus loin sa quête de réhabilitation de la mémoire de ces jeunes filles, elle affirme : »
« Pourquoi les faits divers ? Aurait-ce été pareil s’il s’agissait de filles de ministre ?, ou encore si ce drame c’était produit dans l’une des grandes villes du pays, est-ce que le sort de ces filles aurait été similaire ? Je ne pense pas. Or, la République doit traiter ses enfants de la même manière, qu’ils soient citadins ou villageois de localités éloignées.». (Propos rapportés par Blaise Ahouansè de Nouvelle Tribune : « https://lanouvelletribune.info/2017/04/livre-contre-obstacles-scolarisation-des-filles-les-cometes-de-so-ava/). Les Comètes de Sô Ava est une nouvelle (un long récit) qui ouvre les yeux sur les réalités que vivent les filles de SO-AVA.
III- Résumé de l’œuvre
Dans ce livre, Eugénie DOSSA-QUENUM, dans un style très simple, poétique et aéré, raconte, par la bouche de Fifamin et Yêyinou, l’histoire du trio Alowanou, Sonagnon et Yanagbo. Elles sont toutes trois élèves en classe de Terminale à Calavi, mais originaires de So-Ava. Leur parcours est une exception dans cette localité caractérisée par le mariage des enfants. Elles sont consciencieuses et très ambitieuses. Alowanou rêve d’aller « le plus loin possible dans ses études de droit pour devenir Présidente de la Cour Suprême (…) » (P 16). Quant à Sonagnon, ses ambitions dépassent le cadre géographique de son pays. Elle envisage en effet faire de hautes études en médecine « jusqu’à décrocher la Direction Générale de l’Organisation Mondiale de la Santé (l’OMS). » (P 16). La troisième enfin, Yanagbo, « envisage de faire des études d’Economie. (…) pour un jour occuper le poste de Directrice du Fonds Monétaire International (FMI) » (P 18). Pendant que Fifamin et Yêyinou prennent plaisir à évoquer les ambitions du trio « révolutionnaire », leur avenir à elles est déjà tout tracé, du moins, elles ne se destinent pas à un futur autrement relevé. A la vérité, Fifamin, âgé seulement d’à peine douze ans, a déjà un fiancé de soixante-douze ans qui a versé la dot à ses parents. Elle n’attend que les résultats du CEP pour ôter le kaki et revêtir le tablier de « jeune épouse » qu’attendaient huit coépouses. Son raisonnement est tout simple : « Se marier de bonne heure et être mère me semblait la première des vocations d’une fille selon nos traditions.
Ma mère n’avait pas attendu mes douze ans pour commencer à faire ma formation. (…) A présent, il ne me manque plus qu’une grossesse pour faire de moi, une vraie jeune mère. « (P 24). Yêyinou de son côté ne sait encore quoi faire de sa vie, l’essentiel pour elle étant de décrocher simplement le BEPC : le reste, on y pensera après. Les résultats sont publiés. Yêyinou est admise pour le BEPC, le trio « révolutionnaire » a décroché le BAC. Une fête est organisée par le Maire de la Commune. Trois filles nanties du Bac la même année, c’est du jamais vu à Sô-Ava. Il faut célébrer l’événement avec pompe, faste et emphase. La fête bat son plein. Le trio doit quitter Calavi où les résultats sont proclamés. Ensuite, ces vaillantes filles prendront part à cette fête. L’attente dure. On n’attend qu’elles. Une information tombe comme la foudre. Le Maire s’effondre. Et comme une trainée de poudre, la nouvelle de la noyade des trois jeunes filles se répand aux quatre coins de la cité lacustre. Sinistre. Tragique. Dramatique. Rocambolesque. Mais vrai. Les étoiles se sont éteintes dans le Lac Nokoué. Ces astres, ces comètes, ont sombré dans le lac. Contre toute attente, cette commotion redynamise et convertit Fifamin. Faisant fi de tout ce qu’on pourra dire, elle prend la décision de renoncer au mariage et de continuer ses études jusqu’au Bac. Belle manière de défier cette fatalité qui vient ravir à Sô-Ava ses comètes.
IV- Thématique et portée de l’œuvre
1- Thématique
a- Le mariage des enfants
Le livre résonne comme un cri de détresse d’une âme angoissée et meurtrie de voir tant de vies précoces jetées en pâture aux rapaces séniles avides de chair fraîche. Devant le silence parfois coupable des voix qui devraient se faire entendre, elle fustige un « crime de non assistance à personne en danger » et crie sa désolation. Le personnage de Fifamin est assez expressif. A douze, elle a déjà conjugué son avenir au passé, formatée par une tradition qui l’a dévidée sans lui laisser d’autre choix que celui de la fatalité: rejoindre le toit conjugal le plus tôt possible. Le dialogue entre Fifamin et Yêyinou y éclaire davantage:
– As-tu pensé que cet homme a déjà des petits-enfants plus âgés que toi?
– Peu importe. Il m’aime sincèrement et prendra soin de moi et me comblera. C’est l’essentiel. (P 21)
Tout porte à croire qu’il s’agit d’un esclavage, du moins une traite. A la vérité, les parents reçoivent la dot et dès que l’enfant grandit un peu, telle une chèvre, on la conduit à l’abattoir. Le mariage des mineures est une source d’enrichissement, une mentalité stratifiée, une pratique profondément ancrée dans le vécu des habitants de Sô-Ava. Et pourtant, oublier qu’oblitérer l’avenir d’une fille, c’est tordre le cou à l’évolution du l’humanité. L’auteure, par le personnage de Fifamin, naïve mais convaincue de son choix, expose comment au prix de quelques liasses de billets de banque, des parents peuvent « liquider » ou « bazarder » leur propre fille. Et contre cette pratique inhumaine qu’il ne serait pas exagéré de qualifier de « crime contre l’humanité », la solution que préconise Eugénie DOSSA-QUENUM réside dans la scolarisation des filles.
b- La scolarisation des filles
Eugénie DOSSA-QUENUM fait œuvre utile avec la parution de ce livre. Si toute sa vie a été un combat, un plaidoyer en faveur de la scolarisation obligatoire des filles, cette œuvre qu’elle publie se veut un livre ouvert où il est donné au monde de connaître les difficultés que traversent les filles de certaines localités du Bénin. De ce proverbe bambara: « Si l’on scolarise un garçon, on a scolarisé un individu ; si l’on scolarise une fille, on a scolarisé une famille, un village, le pays et le monde entier« , elle a fait son cheval de bataille, parcourant monts et vallées pour que partout flotte l’étendard de l’épanouissement des filles. Ce combat qui transparaît dans le livre que nous étudions ici, n’est pas qu’une suite de joutes oratoires lancées aux quatre vents. Y contribue justement l’Association APEF-VINAGNON. Et dans l’œuvre, elle fait des propositions concrètes d’actions à mener, une thérapie de choc à l’hémorragie existentielle où les filles de Sô-Ava voient leur avenir hypothéqué par les fermentations libidineuses du premier polygame qui vient demander leur main. En effet, pour favoriser la scolarisation obligatoire des filles, elle préconise la construction d’un internat qui » (…) mettrait en outre les filles à l’abri des attouchements et des agressions sexuelles des prédateurs.il diminuerait aussi les grossesses précoces…etc. » (P 23).
2- Portée de l’œuvre
L’œuvre s’impose avant tout comme une manière pour l’auteure d’être logique avec elle-même et fidèle à ses objectifs. Si après la publication de son premier roman elle a créé l’Association APEF-VINAGNON, avec cette dernière œuvre, Eugénie DOSSA-QUENUM entend s’investir dans l’émancipation des filles de So-Ava. Pour elles, elle veut être la voix des sans voix qui ne voient rien d’autre qu’un avenir plombé par des pratiques ahurissantes. Dans la préface, Damienne DJITRINOU écrit : « Cette Nouvelle, « Les Comètes de SÔ AVA », tout en apportant une information venant du fin fond de l’un de nos villages lacustres, attire avec pertinence, l’attention des autorités locales et nationales sur les difficultés que rencontrent de nombreuses filles de notre pays à se dégager du poids des traditions qui retardent le développement économique d’un pays en général , le nôtre en particulier » (Pp 9-10). La portée de cette œuvre, c’est aussi qu’elle contribue à la concrétisation des rêves de l’auteure de construire un internat à Sô-Ava. A la vérité, l’œuvre est vendue à 5.000fcfa et les frais sont intégralement destinés à la réalisation de ce merveilleux projet. Cela dénote de ce que les vraies luttes n’attendent pas nécessairement le coup de pouce des pouvoirs publics pour être menées : « L’avenir appartient résolument à ceux qui croient avec force à la beauté de leurs rêves » (P 39). Acheter un exemplaire des « Comètes de SO-AVA », c’est contribuer directement à la construction de l’internat pour les jeunes filles de ladite localité.
Conclusion
En refermant le livre, le lecteur sent monter en lui des vagues de révolte et d’indignation face à la situation des filles de la localité présentée dans l’œuvre. Qu’au XXIème siècle, l’on en soit encore à de telles pratiques rétrogrades, cela heurte profondément. Le coup dur, l’estocade, c’est l’extinction tragique de ces étoiles filantes. Cela se voit sur la première de couverture où sous un ciel orageux et lugubre, un cours d’eau ouvre une grande gueule pour accueillir « les dépouilles mortelles » des trois météorites qui signifiaient le réveil, le renouveau et l’espoir de So-Ava. Avec Alowanou, Sonagnon et Yanagbo, c’était une aube nouvelle qui se levait pour la cité lacustre. Et comme rien ne se perd jamais totalement, la mort mystérieuse des trois bachelières a déclenché chez d’autres filles le désir d’aller le plus loin possible dans les études. Mais ce qui est davantage intéressant, c’est la manière dont l’auteur lance des appels de pieds aux autorités compétentes dans leur gestion de la noyade des trois bachelières. Ce qui aurait dû être fait au plan national, elle le romance et le fait être à une échelle plus petite, dans son livre, espérant que sa voix porte un jour et que les ces trois filles ne soient jamais oubliées. Le petit palais de justce du Département de l’Atlantique porterait le nom de Alowanou, l’Hôpital régional celui de Sonagnon et la Chambre de commerce celui enfin de Yanagbo. Et l’on n’est surpris que ce soit sur ces mots qu’elle finisse son œuvre…
Destin Mahulolo