« Couleurs de demain » Léa OVIDIO de SOUZA

« Couleurs de demain » Léa OVIDIO de SOUZA

Je me sens perdue. L’écriture et la lecture qui, autrefois me venaient en aide, ne pourront plus à présent me faire revivre. Mon quotidien est maintenant un enchainement de frustrations. Les jours se succèdent et se ressemblent. J’ai besoin qu’on me comprenne. Maman le fait bien des fois, mais est elle loin de me comprendre en réalité. Ma peine est grande. Ai-je pris la bonne décision ? Pourquoi ai-je pris cette décision ? Des questions qui perturbent sans cesse mon esprit et me privent de sommeil. J’ai toujours trop réfléchi, mais en ce moment-là, je ne crois pas l’avoir fait suffisamment. Il fallait prendre une décision. Alors, je me suis jeté à l’eau…

Tout a commencé au lendemain des résultats du baccalauréat. Je n’avais en ce moment que 17ans. J’étais très timide. Je décidai donc de m’affirmer et de disposer de ma liberté comme mes camarades de promotion. Mais j’ai été très tôt déçue, car avec mes parents le bac n’était nullement synonyme de liberté. Je devrais donc rester à la maison à longueur de journée. Mais quelque chose venait de changer dans mon quotidien. J’avais un nouvel ami, monsieur Androïde. Il me tenait compagnie. Il était toujours là, à la cuisine comme dans les toilettes. L’odeur de mes selles lui importait peu. Il m’était vraiment fidèle. Mon cher Androïde entra dans ma vie au moment opportun. Tous ces réseaux sociaux dont j’ai tant rêvé, étaient désormais à ma portée. Ainsi, m’inscrire sur Facebook et WhatsApp n’était qu’une question de temps. Et d’ailleurs, je n’avais pas hésité à le faire. J’avais dès lors de nouveaux amis de toutes origines, à qui je consacrais tout mon temps. On s’écrivait à longueur de journée, on parlait de tout et de rien. Rester dans ma maison-prison était devenu un plaisir. Je débordais de joie, pleine de vitalité et heureuse de me connecter au monde et de me trouver une place dans le cœur et la vie des autres. Je ne me plaignais plus de rester cloitré. Maman était contente de me voir à la maison. Elle voulait me voir épanouie. Elle pensait ainsi me protéger de tout mal, mais elle avait oublié que le mal était partout présent. Et le mal qui a atteint sa fille était dans ses mains innocentes. Sa fille était tombée amoureuse à son issu. Elle était amoureuse d’un garçon sur facebook, avec qui elle rêvait fonder une famille. Ma pauvre mère n’en savait rien. Et pourtant, elle ne manqua pas de me prodiguer des conseils. Mais ses conseils venaient-ils à point nommé ?

 

Je n’avais d’yeux que pour mes nouveaux amis et particulièrement celui dont j’étais éprise. Nous pensions mieux nous connaître après ces échanges.

– M6 pr l’ajout.

-Jtp – Bjr ma belle. Cmt vas u ?

– Bien. Et toi? -B1 oxi. Puis-je avoir une photo de toi ? – La tienne d’abord.

-OK. Sans pb. Moi, c’est Adéogun KASSA. Et tw ?

– Isabelle SAH.

 

Nous ne manquions d’échanger de jour comme de nuit de tout ce que nous aimons et détestons. La relation amicale se transmuait progressivement en une relation amoureuse. Je l’aimais à travers ces écrits et contemplais à longueur de journée ses belles photos. Il avait les miennes aussi. Je pouvais parler librement sans avoir peur. Il parlait sans pudeur « bisous mon amour, je t’embrasse« , cela ne lui disait rien. J’étais un peu gênée mais j’avoue que j’aimais bien et je lui retournais également l’ascenseur. Il était à l’Université D’Abomey-Calavi. Il était impatient de me rencontrer en griffe physiquement, me disait-il chaque jour. Il m’aime, m’a-t-il avoué. J’ai fait semblant de ne pas comprendre mais c’était réciproque. Je voulais à tout prix aller le rencontrer. Il fallait donc inventer quelque chose.

– Maman, je dois aller à Calavi au plus vite, sinon mon dossier sera rejeté.

– D’accord ma fille, ton cousin le fera. Je lui demanderai.

-Ah maman ! Comment mon cousin? Qu’en serait-il de la photo sur ma carte ? Tous mes amis sont partis. Moi aussi, je veux partir. Ne vais-je donc pas continuer ?

– Tes amis ! Tes amis ! Vas-y donc si tu peux te payer le transport. Tes amis n’ont pas le même problème que toi.

– Quel est donc mon problème ?

– Tu continues de parler ? Hors de ma vue

– Qu’est-ce que j’ai donc dit de mal ? J’avais donc échoué dans ma mission. Je devrais attendre la fin des vacances. Je continuai d’écrire avec mon bien-aimé. Plus les jours passaient, plus notre amour grandissait. J’avais les moindres détails sur tout ce qu’il faisait, du moins ce qu’il me laissait entendre. Il perdait patience et je le rassurais. Il m’a dit qu’il était seul à Calavi, et qu’on aura le temps de mieux se connaitre. On égrenait les derniers jours des vacances. Maman restait toujours de marbre, en ce qui concernait mon départ. C’est du moins ce que je pensais.

-Iso, Iso -Oui ma maman.

– Viens par ici, prends place. Dépose ton portable. Je te parle.

– D’accord mam – Prête oreille attentive et écoute-moi. J’aurais aimé que tu vives seule mais je ne te fais pas confiance.

– Pourquoi donc ?

– Vas-tu te taire et m’écouter ? Tu vas rester auprès de ta tante, ma sœur, elle habite non loin du campus, et elle est d’accord que tu viennes rester chez elle. Je te demanderais d’être respectueuse et sage. Apprends à t’éloigner un tant soit du téléphone portable. Je ne serai plus là pour t’obliger à étudier. En ce qui concerne les relations amoureuses, tu as tout le temps. Ce n’est que trois ans, ça va vite passer. Consacre-toi à tes études. Vas donc mettre de l’ordre dans tes habits. On partira tôt, demain. Je dois vite me retourner pour me rendre au service.

– Hum Maman.

– Ne sais-tu pas dire merci ? N’est-ce pas ce que tu iras fait là-bas ?

– Non mam, merci mam.

 

 

J’attendais depuis ce moment mais je n’étais plus gaie, partagée entre joies et peines de partir loin de mes frères. Nos engueulades, nos jeux et bien d’autres choses allaient me manquer. Papa allait me manquer encore plus. Il n’était pas souvent à la maison, maintenant, je serai encore loin de lui. Il est un ingénieur des ponts et chaussés. Maman est institutrice et commerçante à la fois. Elle a une boutique qui était à la charge d’une de ses nièces. Très tôt le matin, papa me remit une forte somme, qui devait servir aux frais d’entretien et d’inscription. Nous pleurâmes tous. Je ne voulais plus partir. Malheureusement, il me fallait continuer mes études. Je ne pus dire au revoir à mes frères. Mon cœur était serré et mes yeux remplis de larmes.

Nous partîmes de Ouidah aux environs de 6h pour Calavi. En moins d’une heure trente, nous y étions. Ma tante nous reçut avec joie. Une nouvelle vie devait commencer pour moi. Après les mots de bienvenue, elle me remit la clef de ma chambre. Les deux sœurs eurent un bref tête-à-tête et ma mère se leva pour partir. Je la raccompagnai au portail, attentive aux derniers conseils qu’elle me donnait. Adéogun était au courant de tous ces détails. Après le départ de maman, ma tante partit également pour sa boutique à Ste Rita. Elle était une grande commerçante. Mes cousins et moi, avions la maison pour nous. Le mari de ma tante, médecin généraliste, travaillait loin de Calavi, à Lokossa. Il ne rentrait en famille que rarement. Mes cousins, Fawaz, l’aîné était en année de master, Yoann le puîné était en troisième année de licence. Cynthia la benjamine venait d’obtenir son bac comme moi et avait le même âge que moi. Nous sommes de bonnes et vielles amies. Nous passâmes la soirée à nous raconter nos aventures, nos galères. Nous parlâmes des épreuves du bac et les raisons du choix de nos filières. À ma grande surprise, elle avait choisi les sciences juridiques comme moi. On parla également de l’amour.

– As tu un petit-ami ? Moi, oui et je l’aime beaucoup, il a l’âge de Fawaz et il est année de master également. Je viens de casser avec un imbécile, y’a pas deux mois. Je préfère ne pas t’en parler maintenant, sinon, tu vas trop d’énerver. Et toi ?

– Euh ….hum…moi? – Oui toi ? Tu ne veux pas m’en parler ?

-Si si. C’est un nouveau bachelier, il veut faire la médecine. Je l’aime bien. Il est très gentil. Demain, j’irai le rencontrer sur le campus.

– Houn.. Un quoi ? Toi, tu traites encore avec les bébés. Ils ne sont pas du tout sérieux. J’espère que ton prince charmant est différent. Je me rends dans ma chambre et garde ce que je t’ai dit secret. Bonne nuit Iso.

– Bonne nuit Thia. Je passai mon temps à discuter avec Adéogun, à la fois nerveuse et impatiente de le rencontrer enfin. Je lui aussi indiquai aussi la maison de ma tante qui était pas loin de son studio, là où il logeait. Le lendemain, ma cousine et moi partîmes pour le campus.

 

A peine arrivés au devant de la salle d’inscription mon portable sonna et affrichait Adéogun.

– Allô! – Allô, retourne, je suis juste derrière toi. Je m’excusai auprès de ma cousine pour aller le rejoindre. C’était comme si je rêvais. Je n’en croyais pas mes yeux. Il était tout ce dont j’avais toujours rêvé, l’homme de ma vie. L’incarnation de la beauté.

– Quelle beauté ! Tu es très rayonnante. Plus belle que dans tes photos. Je balbutiai un merci brumeux. Je n’arrivais pas à le regarder en face.

– Pourquoi me fuis-tu de regard ? Tu as peur de moi?

-Non. Tu sais, je suis là pour l’inscription. Peut-être que tu m’y aiderais, ma cousine et moi. Il le fit avec empressement et sourire. Une nouvelle page s’ouvrait devant moi. Nous devenions de plus en plus décontractés l’un avec l’autre. J’allais chez lui après les cours et il m’aidait à faire mes exercices. On était tout le temps ensemble. Chez ma tante, on était libres de sortir, ma cousine et moi. Nous étions quand même des étudiantes. On se couvrait mutuellement quand les parents rentraient à l’improviste. Tout allait bien mais Adéogun me disait chaque fois que je ne lui ai pas donné la preuve de mon amour. « Je ne suis pas prête » lui ai-je dit. Et il a décidé de ne plus m’adresser la parole. J’en ai parlé à Cynthia, qui pensait que ce n’était rien de grave, si je l’aimais vraiment. Je lui ai donc prouvé mon amour de la manière dont il le voulait. Mais c’était dans la douleur. Mais je l’aimais et c’était l’essentiel à mes yeux. J’étais prête à tout jusqu’à ce jour fatidique…

 

Seule face à mon destin, je suis désormais désemparée. J’ai pleuré, versé des torrents de larmes. Mais très tôt je me suis ressaisie, les larmes ne serviront à rien. J’ai été voir un médecin du quartier. Il m’a confirmé ce que je redoutais. Il m’a dit que je ne devrais pas avoir peur qu’il y a des médicaments qui pourront m’aider. J’avais mal réfléchi et l’amour me rendait prisonnière, maintenant encore plus. Je pourrais plus avoir cette joie de vivre. J’entends encore résonner en moi ces paroles qui me condamnent celle d’Adéogun et du médecin. Mes désirs ont pris le dessus. Les conseils de Thia m’ont conduit chez Azonagbɔ, un tradi-thérapeute, une vieille connaissance de ma cousine.

– Vous auriez dû consulter un médecin spécial avant de commettre ce crime. Vous avez un rhésus négatif, me serina le docteur. Votre groupe sanguin est : A-. Ce crime a hypothéqué votre avenir, jeune fille. Plus jamais, vous ne connaitrez la joie d’avoir un enfant. Confiez-vous au Tout-Puissant, il peut tout. Il peut vous aider. En plus, vous êtes malade, le médecin traditionnel, n’a pas bien pratiqué l’expulsion du petit corps, ce qui justifie les maux de ventre répétés que vous aviez. Je pense bien qu’une partie de ce petit corps est encore en vous. Disons qu’il est têtu.

Je compris plus tard que je risquais de faire une septicémie, en plus fait d’être condamnée à ne plus jamais avoir d’enfant. Plusieurs fois, j’étais prise par l’envie de mettre un terme à ma vie. Quelle honte suis-je devenue pour ma mère et ma famille? Et Adéogoun qui devenait de plus en plus distant, se pavanant sur le campus avec d’autres filles, que me réservait-il? Que vais-je dire à maman? Adéogun va-t-il m’épouser ? Pourrais-je espérer avoir un enfant ? Et si c’était à recommencer, que ferais-je ? Qui dois-je accuser? Est-ce la responsabilité de mes parents qui avaient fait de moi une prisonnière ? Avais- je besoin de prouver mon amour à Adéougoun, de la sorte? Ne peut-on pas aimer sans le prouver ainsi? Parfois, j’accuse maman, si elle m’avait fait tôt ce test de groupage, j’aurais évité ce crime qui me condamne. Qu’on me juge, me condamne, si on veut. Mais, seul le roi connait le poids de la couronne. Je suis jeune, mais je vois déjà de quelles couleurs de mon avenir est peint.

 

Léa OVIDIO de SOUZA

 

 

 

 

 

 Léa OVIDIO de SOUZA est étudiante en deuxième année de philosophie à L’École Normale Supérieure de Porto-Novo. Elle aime l’écriture et la lecture; la musique occupe aussi une place important dans sa vie.

 

 

12 comments

J’ai aimé. Une réalité courante transcrite. Que la jeunesse en tire sa part de discipline. Courage à toi Léa.

Merci Léa pour cette petite histoire si touchante et éducative j’ai bien aimé courage à toi

Qu’est-ce que ça fait du bien de te lire Léa.Que Dieu te bénisse et te fasse de plus en plus venir les idées. Ne te décourage pas.Continue ainsi,et tu y arriveras.

Erreur de jeunesse. Toutes les filles qui sont en terminales devaient lire cette histoire avt de commencer l’Université. Bravo mon écrivaine.

Bonsoir. Très jolie histoire.
Et je pense qu’il y a certaines choses qu’il faut ajusté.
En tout cas c’est du bon boulot.

Bravo léa !!! Une très belle histoire
Je suis vraiment impatient de te lire à nouveau. Plein de courage à toi pour la suite

Léa merci pour ce jolie texte et du courage dans tes écrits.
persévere et ne te découge pas .

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