CYRILLE SOFEU (CS) : « Tout projet d’écriture part d’une cible »

CYRILLE SOFEU (CS) : « Tout projet d’écriture part d’une cible »

« Si la fatalité se dégage dans mon livre, c’est inéluctablement à cause des douloureux évènements auxquels sont soumis mes personnages. C’est un choix et à la fois toute une construction qui vise à mieux mettre en exergue le message que je voudrais faire passer. » Bonjour les amis, ainsi s’exprime celui que votre blog reçoit pour vous aujourd’hui: Cyrille SOFEU (CS). Il est de nationalité camerounaise et auteur d’un ouvrage: « Les douleurs cachées ».

BL: Bonjour M. Cyrille Sofeu. Merci de nous accorder cette interview. Veuillez vous présenter aux lecteurs.

CS : Bonjour ! Je ne saurais me présenter sans toutefois vous remercier  particulièrement pour cet honneur que vous m’offrez de pouvoir m’exprimer sur mon livre et moi. Une fois m’être acquitté de ce devoir moral, je dirai que Cyrille Sofeu est un jeune écrivain camerounais, né quelques années après le multipartisme au Cameroun. Il est titulaire d’une Licence en Lettres d’expression Française obtenue à l’université de Dschang. Féru de tout ce qui touche à la l’écriture et la littérature, il entend mettre son art au service des causes nobles.

BL: De quand date votre amour pour la plume et comment est-il né ?

CS : Mon amour pour la plume date d’il y a longtemps, croyez-moi. Mais c’est très exactement en classe de Seconde qu’il se manifeste davantage. Sa genèse provient de la douleur liée au décès de ma chère et tendre maman. A partir de ce moment, j’ai pris la plume dans l’impérieuse nécessité d’écrire pour conjurer cette atroce douleur et tromper le vide ainsi créé par son absence.

BL: Que représente pour vous l’écriture ?

CS : L’écriture pour moi c’est à la fois un exutoire et une thérapie. Un exutoire dans la mesure où on écrit parfois pour s’échapper, se divertir voire s’évader. Je la considère comme une thérapie en ce sens que, comme je vous l’ai dit tantôt, le décès de ma mère m’a plongé dans une profonde affliction. Mais grâce à la magie de l’écriture j’ai pu me dévêtir du spectre infernal de cette absence maternelle irremplaçable. En un mot, l’écriture m’a permis d’apaiser les meurtrissures de mon âme déchirée et de cicatriser ses séquelles dans mon cœur endolori.

BL: A quoi aspirez-vous en vous engageant sur cette délicate et astreignante vie ?

CS : Le combat de tout écrivain, indépendamment de toute idéologie ou visée personnelle à chacun, est la recherche constante du mieux-être dans la société. Toutefois, ce combat n’a jamais été un long fleuve tranquille. C’est comme vous l’avez si bien dit, délicat et astreignant. Mais tout ce qui est fait avec amour n’a point de limite. Parfois c’est un besoin pressant et oppressant qui vous appelle et ne pas y répondre favorablement c’est comme exister sans vivre véritablement. C’est en écrivant que j’atteins la plénitude de mes espérances.

BL: Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?

CS : D’abord l’inspiration est divine et je mesure bien mes mots. Il m’arrive parfois qu’en plein milieu de la nuit je me réveille soudain comme par magie et me mette à écrire des vers sans même m’en rendre compte. Ce n’est que le lendemain avec toute la lucidité retrouvée que je réalise que les Muses m’ont visité. C’est sans nul doute dans ce sens que l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou disait que l’écriture c’est tout un rituel. A cette inspiration divine s’ajoute bien évidemment l’observation de la nature, du temps, de la vie, des faits de société et tout ce qui tourne autour de soi: le sourire d’un inconnu au passage, un voyage, un film qu’on regarde, un bouquin qu’on lit, une dispute à laquelle on assiste,un fait anodin sur les réseaux sociaux etc. Voilà autant de choses qui m’inspirent particulièrement. Et c’est à partir ces détails qu’offre la vie qu’un effort intelligent s’impose dans le sens de les agencer et les organiser afin de produire ce qu’on appelle œuvre finalement.

BL: Quel regard portez-vous sur la littérature camerounaise contemporaine ?

CS : La littérature camerounaise d’aujourd’hui est essentiellement jeune. Elle est riche, pleine de vie et brille par le dynamisme infatigable des jeunes qui la portent. Personnellement, je vois en elle beaucoup d’espérance. Felix Mbetbo, Raoul Djimeli, Kelly Yemdji, Karolyn Kouakap, Mohamed Dim, Merveiline Tapi, Sophie Zang, Nnane Ntube, Maury Damase Ntamack, Marcel KemadjouNjanke, André Ngoah, Patrice Nganang, Mama NsangouNjoya, Sandrine Ornel Djuidje, Djhamidi Bond, Achille Carlos Zango, Nkul Béti, Danielle Eyango etc. Voilà une liste non exhaustive des écrivains contemporains qui animent le paysage littéraire actuel au Cameroun. J’espère qu’à leurs côtés nous suivrons les sentiers glorieux de nos pairs tels que Mongo Beti, Ferdinand Oyono, Francis Bebey et autres grands noms qui ont marquéla littérature africaine.

BL: « Les douleurs cachées » est votre premier cri dans le concert littéraire camerounais. Parlez-nous de la naissance de ce projet.

CS : La cause des jeunes est le point de départ de mon projet. Je me suis dit à un moment donné que je devrais utiliser mon art comme miroir de la désolante situation que vivent les jeunes dans mon pays. Rester silencieux face aux affres que subit la jeunesse serait comme cautionner ou pactiser avec l’injustice. Alors j’ai créé des personnages en assignant à chacun d’eux une mission : celle d’extérioriser leurs douleurs cachées; de lever le voile sur les douleurs les plus enfuies au fond de leurs coeurs question de conscientiser, de mettre en garde ou d’inquiéter tout simplement. Voilà d’où nait mon projet.

BL: Comment réagissez-vous face à ces questions que votre livre a suscitées chez Mouhamadou Ngapout «La jeunesse, symbole de l’innocence et de la naïveté, est-elle en proie aux traumatismes liés à leur condition de vie ? Que vit-elle au quotidien ? Développe-t-elle une hantise liée à l’extériorisation de leur vécu, étant donné que la douleur, lorsqu’elle est extrême, entraîne dans un état de démence et de dépression.» ?

CS : Mouhamadou Ngapout est un jeune doctorant à l’université de Dschang. Je l’admire beaucoup car il s’intéresse vraiment à la littérature. Lorsque mon livre est sorti, il s’est donné pour noble mission, au regard de la première de couverture, de construire une hypothèse de sens. Cet extrait que vous avez sélectionné m’avait beaucoup intéressé dans la mesure où il rend compte effectivement de ce qui se trouve dans l’œuvre. Cette analyse programmatique qu’il avait faite était une très belle escorte vers le contenu du livre. Il avait donc vu juste dans son hypothèse et vous ne m’en direz pas le contraire ? (Rires)

BL: Votre livre s’ouvre par la nouvelle intitulée « Mésaventure universitaire ». En lisant ladite nouvelle, tout porte à croire qu’elle est tirée d’une histoire vraie. Dites-en nous davantage.

CS : Je ne dirai pas qu’elle est tirée d’une histoire vraie mais plutôt d’un fait effectivement vécu à Dschang. Lorsque j’étais étudiant, je passais le clair de mon temps à la bibliothèque de l’Alliance Franco-camerounaise. C’est là qu’un jour je fus témoin d’un fait que je décris d’ailleurs minutieusement dans la nouvelle. Une jeune fille, venue elle aussi acquérir le savoir dans les livres, s’était empressée de sortir à peine s’être assise, tant le contact visuel « énamouré » d’avec un jeune homme l’avait bouleversé profondément mettant ainsi à rude épreuve ses émotions les plus intimes. Je me suis dit pourquoi ne pas bâtir un projet d’écriture à partir de cette scène atypique. Voilà comment, sur un bout de papier, dans la même salle, je me suis mis à griffonner les premières lignes de cette nouvelle en attribuant le nom Gabine à mon personnage.

BL: « Un avenir en noir ». C’est assurément la nouvelle la plus acerbe de votre recueil. Quels sentiments vous habitaient-ils lorsque vous la rédigiez ?

CS : C’est avec le cœur serré, meurtri et plein de rage que j’ai commencé à écrire cette nouvelle. Comme la plupart de mes nouvelles, j’étais encore à Dschang lorsque je l’écrivais, je m’en souviens bien. Il avait plu ce jour-là. Alors pour conjurer le froid, je me suis blotti au chaud dans mon lit et j’ai entamé cette histoire dans le souci manifeste de dire au monde entier les peines d’une jeunesse camerounaise qui se perd au fond des sombres labyrinthes dans lesquels le système en place les réduit.

BL: Vous faites allusion à deux auteurs dans votre livre : Achille Carlos Zango et Robert Fotsing Mangoua. En un mot, que représentent-ils pour vous ?

CS : Ce sont deux éminents enseignants que j’ai eu la chance de cotoyer durant mon parcours universitaire à Dschang. Leurs personnes, leurs personnalités ainsi que leurs œuvres m’ont beaucoup influencé. Je profite de votre plateforme pour leur témoigner toute l’estime que j’ai à leur égard ainsi que le plaisir qui a été le mien de lire leurs productions, Tu diras ces douleurs du Docteur Achille Carlos Zango et Les pièges du Professeur Robert Fotsing Mangoua. La faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Dschang devrait s’estimer heureuse d’avoir en son sein ces deux valeureux citoyens de la république.

BL: A la lecture de votre recueil, on se rend curieusement compte que les personnages n’échappent presque jamais à la fatalité. D’ailleurs ils sont comme condamnés à vivre la dure réalité dans laquelle vous les contraignez. Est-ce un choix scriptural ou simplement une manière de voir la vie de votre part ?

CS : Je dirai les deux, car tenter de dissocier ma philosophie de vie de ma manière d’écrire  serait une vaine entreprise. Cependant, loin de faire l’apologie du fatalisme, je vais dire simplement que, ce que je vis c’est ça que j’écris. Si la fatalité se dégage dans mon livre, c’est inéluctablement à cause des douloureux évènements auxquels sont soumis mes personnages. C’est un choix et à la fois toute une construction qui vise à mieux mettre en exergue le message qu’on a à faire passer.

BL: Vos textes tournent généralement autour de la jeunesse ou ne s’en éloignent presque pas. Seraient-ce justement les douleurs de cette jeunesse que vous exposez ?

CS : Sans hésiter je vous dis oui, car tout projet d’écriture part d’une cible qu’on veut atteindre à la réception du livre qu’on écrit. Ce sont les douleurs quotidiennes des jeunes que j’essaie d’exposer dans mon livre. La cause des jeunes est mon véritable cheval de bataille dans ce recueil. Dans un pays où la jeunesse est majoritaire, il y a de quoi s’intéresser à elle. Elle qui représente plus de la moitié de la population est pourtant marginalisée par un système opaque et verrouillé par la gérontocratie des vieux n’aspirant guère à voir la jeunesse prendre les commandes. En présentant ces douleurs aux yeux du monde, je m’acquitte ainsi de mes responsabilités sociales d’écrivain.

BL: Quel diagnostic faites-vous de la jeunesse de votre pays ?

CS : Cette question va dans le même sens que la précédente. Toutefois, en dehors de quelques brebis galeuses qui tendent à ternir l’image de la jeunesse de mon pays, on va dire que c’est une jeunesse capable, dynamique et ambitieuse. Elle a besoin qu’on croit en elle ; elle a besoin d’un terrain propice pour s’exprimer pleinement. Le terrain propice auquel je fais allusion doit être dépourvu de toutes velléités de corruption, de tribalisme, de népotisme, de favoritisme, bref de tous ces fléaux bien connus chez nous qui l’empêchent de se mouvoir à sa guise.

BL: La ville de Dschang est longuement et fréquemment évoquée dans votre livre, quel rapport vous lie-t-il à elle ?

CS : Evoquer simplement le nom de cette ville fait naître en moi la nostalgie de beaux moments que j’y ai passés. Dschang, c’est la ville universitaire où j’ai déposé mes valises après l’obtention de mon Baccalauréat. Cette ville m’a tout donné. Et ce n’est pas une exagération puisque quatre des sept nouvelles contenus dans mon livre ont été rédigées durant mon cursus à Dschang. Sa constance dans mon recueil est, si l’on s’en tient à une interprétation sociocritique, une façon pour moi de lui rendre un vibrant hommage. Hommage qui, je l’espère, contribuera à l’immortaliser dans la mémoire collective comme véritable « cité du Savoir ».

BL: Deux personnages attirent particulièrement l’attention dans votre livre. Il s’agit de la jeune Gabine et du personnage anonyme dans la nouvelle « Un avenir en noir ». Est-ce que vous pouvez décrire pour nous ces deux personnages atypiques ?

CS : Gabine c’est le personnage principal de la nouvelle « Mésaventure universitaire ». C’est une jeune fille studieuse et intelligente qui malheureusement s’est faite violer par un Don Juan aux intentions malsaines. Ce dernier lui a gratifié d’une grossesse indésirée non sans lui faire grâce du VIH Sida. Incapable de tenir tant ses émotions ont été bouleversées, la jeune fille se donne elle-même la mort afin d’éviter l’affront que représenterait sa situation aux yeux du monde mais surtout à ceux de sa mère qui pourtant l’avait mise en garde. « J’ai cédé aux épanchements de mon cœur à un moment où il me fallait écouter ma raison. J’ai cru l’aimer mais il m’a violée » page 18. Voilà un extrait que je garde en mémoire et qui constitue la cause de toutes les douleurs de ce personnage.

Le second personnage est le héros de la nouvelle « Un avenir en noir ». Dans son pays le Nemacour (anagramme de Cameroun), il s’est vu recaler en cycle doctorat à l’université d’Adoula malgré moult sacrifices consentis sur lui par sa famille. Désormais sans repères, il sombre dans l’errance puis décide de se lancer dans des petits métiers de survivances pour prêter mains fortes à sa famille déjà démunie. Refuser de « tremper » a été la cause de ses malheurs. Seul face à un système « jeunocidaire » qu’il décrie, il se bat comme un beau diable pour joindre les deux bouts et sa trajectoire dans la nouvelle ne sera jamais un long fleuve tranquille.

Ces deux personnages que vous qualifiez d’atypiques vivent des douleurs insupportables que je ne souhaite d’ailleurs à aucun autre jeune, qu’il soit camerounais, africain ou d’ailleurs.

BL: Qu’attendez-vous de tous ceux qui liront votre livre ?

Pour répondre à votre question, permettez-moi de convoquer Louis Aragon qui disait, je cite : « la lecture d’un [livre] jette sur la vie une lumière ». A travers cette idée, je voudrais dire aux lecteurs que j’ai fait jaillir dans mon livre une multitude d’étincelles dans une nuit enténébrée. J’attends donc de chaque lecteur qu’il puisse se saisir d’une de ces étincelles pour cheminer avec clairvoyance sur les sentiers pénibles de la vie. Car bien qu’étant rude et difficile, la vie vaut le coup d’être vécue.

BL: Parlez-nous de vos projets en cours.

CS : Après ce recueil de nouvelles Les douleurs cachées, j’ambitionne explorer l’univers des autres genres littéraires. Je me dis qu’un écrivain complet doit être polyvalent. La pensée de Blaise Pascal ci-dessous m’a toujours conforté dans mon idée: « mieux vaut connaitre quelque chose de tout que de tout connaitre d’une seule chose ». J’aimerais bien me frotter véritablement à la délicatesse de la poésie et pourquoi pas à la rigueur qu’impose le théâtre. Actuellement, je travaille avec un collectif d’auteurs sur un projet d’anthologie poétique sans oublier un roman en cours d’écriture dont je n’hésiterai pas de vous en parler dès qu’il sera prêt. À court terme, il faudra s’attendre dans les prochains jours à voir l’un de mes textes paraître dans une Revue littéraire qui promeut le talent poétique et artistique des jeunes camerounais.

BL: Votre portrait chinois à présent:

CS : Je réponds du tic au tac sans trop réfléchir (Sourire)

  • Une héroïne livresque : Eugénie Grandet
  • Un personnage historique : Nelson Mandela
  • Un auteur : Alain Mabanckou
  • Un animal : La girafe
  • Un plat préféré : du couscous maïs à la sauce jaune
  • Un passe-temps favori : Football-écriture-lecture
  • Une phobie : L’alpinisme

BL: Merci Cyrille Sofeu pour votre disponibilité. Votre mot de la fin.

CS : En guise de mot de la fin, je dis merci infiniment à Biscottes littéraires pour cette opportunité qu’elle m’a offerte de pouvoir m’exprimer sur mon livre et moi. Je ne saurais terminer sans toutefois remercier, avec votre permission bien-sûr, Patrick Kegne, mon ami d’antan qui a toujours cru en moi et en ce que je fais. Mes remerciements vont également à l’endroit de Ariane Fogaing, Pulchérie Ndassi, Ladouce Possi, Claudia Nofozo, Elysée Tayo, Mariane Maffo, Raoul Djimeli, Mohamed Dim, Brice Kamdem et les membres du Clijec pour leurs précieux conseils d’avenir ainsi qu’à toute ma famille pour l’accompagnement constant. Le livre est disponible depuis sa sortie sur le site de l’éditeur

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