« Les écailles du ciel » Thierno Monénembo

« Les écailles du ciel » Thierno Monénembo

INTRODUCTION
Ayant compris que la colonisation est loin dune mission civilisatrice, les Africains ont mené différentes luttes : politique, syndicale, culturelles et même armée pour obtenir dans les années 60 leur indépendance. Dirigés par leurs propres frères, les peuples africains éprouvèrent alors un sentiment de joie et d’espoir parce qu’ils étaient convaincus de ne plus revivre les mêmes maux que ceux de la période coloniale (injustice, l’inégalité, les humiliations de toutes sortes, les arrestations arbitraires). Malheureusement, les années qui suivirent les indépendances furent pires pour les Africains. Les citoyens sont privés de toutes les libertés : de presse, d’opinion, d’association. Certains seront arrêtés et torturés pour avoir exprimé une opinion contraire à celle du régime en place. Ainsi l’espoir et la joie vont se transformer en déception et en désespoir.
Les écrivains africains, fidèles à leurs missions vont à travers les romans, la poésie et les pièces de théâtres dénoncer les abus issus des indépendances : c’est le procès des indépendances. A travers ce procès, le sentiment qui domine est celui du malaise et de la désillusion. Le Guinéen Thierno Monénembo, à travers son roman Les écailles du ciel ne va pas rester en marge de cette lutte.
Biobibliographie de l’auteur

I- Biographie
Tierno Monénembo, de son vrai nom Thierno Saïdou Diallo (son nom de plume, Monénembo, n’est qu’un demi-pseudonyme : il trouve son origine dans la grande affection que, tout petit, l’auteur portait à sa grand-mère : il l’appelait Nénembo et c’est pour le distinguer des autres Diallo Thierno de son quartier, qu’on l’appela lui-même Mo Nénembo), né le 21 juillet 1947 à Porédaka en Guinée) est un écrivain guinéen francophone, lauréat du prix Renaudot en 2008. En 1969, ce fils de fonctionnaire quitte la Guinée, fuyant la dictature de Ahmed Sékou Touré et rejoint à pied le Sénégal voisin. Il va ensuite en Côte d’Ivoire poursuivre ses études. Il rejoint la France en 1973 toujours pour étudier et y obtient un doctorat en biochimie de l’Université de Lyon. Il a par la suite enseigné au Maroc et en Algérie. Depuis 2007, il est visiting professor au Middlebury College dans le Vermont aux États-Unis.

II- Carrière d’écrivain
Tierno Monénembo publie son premier roman en 1979. Ses romans traitent souvent de l’impuissance des intellectuels en Afrique, et des difficultés de vie des Africains en exil en France. Il s’intéresse particulièrement à l’histoire et aux relations des noirs avec la diaspora émigrée de force au Brésil (Pelourihno). Il a récemment consacré un roman aux Peuls et une biographie romancée à Aimé Olivier de Sanderval, un aventurier et explorateur français, originaire de Lyon et Marseille (campagne Pastré), admirateur de leur civilisation et devenu un « roi » Peul (Le Roi de Kahel). À cette occasion, il revisite l’histoire coloniale pour faire entrer cette période controversée dans l’imaginaire romanesque.
Après cela, il travaille sur la vie d’un Peul guinéen, Addi Bâ, héros de la Résistance en France, fusillé par les Allemands (Le Terroriste noir), ainsi que sur les liens unissant la diaspora noire d’Amérique avec l’Afrique. Tierno Monénembo était en résidence d’écrivain à Cuba lorsqu’il apprit qu’il était le lauréat 2008 du prix Renaudot. Sa récompense a toutefois mis en lumière la place grandissante qu’occupent les écrivains français d’origine africaine dans la littérature francophone. Elle souligne également, même si Tierno Monénembo vit en Normandie comme sur les traces du poète-président sénégalais Léopold Sédar Senghor, qu’une partie de la littérature contemporaine en français se trouve au Sud.
Il a vivement critiqué le coup d’État militaire du 23 décembre 2008 en Guinée ayant porté au pouvoir la junte menée par le capitaine Moussa Dadis Camara, juste après la mort du président Lansana Conté, qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis 1984. Resté relativement discret en 2009, tant sur le plan politique que littéraire, jusqu’au massacre de plus de 150 civils par l’armée le 28 septembre à Conakry, il écrit alors une tribune publiée dans Le Monde et intitulée « La Guinée, cinquante ans d’indépendance et d’enfer » pour condamner cette tuerie et appeler la communauté internationale à agir.

III- Oeuvre
1979 : « Les Crapauds-brousse », Seuil
1986 : « Les Écailles du ciel », Seuil Grand prix littéraire d’Afrique noire
1991 : « Un rêve utile », Seuil
1993 : « Un attiéké pour Elgass », Seuil
1995 : « Pelourinho », Seuil
1997 : » Cinéma », Seuil
2000 : « L’Aîné des orphelins », Seuil Prix Tropiques
2004 : « Peuls », Seuil
2006 : « La Tribu des gonzesses » (théâtre), éditions Cauris
2008 : « Le Roi de Kahel », Seuil Prix Renaudot
2012 : « Le Terroriste noir », Seuil Prix Ahmadou-Kourouma, Grand prix Palatine, Grand prix du roman métis, et sélection du Prix des cinq continents de la Francophonie 2013
2015 : « Les coqs cubains chantent à minuit », Seuil
2016 : « Bled », Seuil sélection du Prix des cinq continents de la Francophonie 2017
Prix littéraires

1986 : Grand prix littéraire d’Afrique noire ex-aequo, pour « Les Écailles du ciel »
2008 : prix Renaudot pour Le Roi de Kahel
2012 : prix Erckmann-Chatrian et Grand prix du roman métis pour « Le Terroriste noir »
2013 : Grand prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir »
2017 : Grand prix de la francophonie pour lensemble de son uvre.

« Les écailles du ciel » : Hermétisme ou ésotérisme ?
Dans la revue « Notre librairie » N° 88/89 juillet-septembre 1987, consacrée à la « Littérature guinéenne », l’auteur dans une interview à propos de son roman Les écailles du ciel, affirmait : « Il est évident que mes titres expriment un certain ésotérisme, d’autant plus que je les puise dans un fond culturel assez vieux, qui est le fond traditionnel guinéen en général et en l’occurrence peulh ». Dans Les écailles du ciel, je suis parti d’un diction peulh qui veut que les singes annonciateurs du désastre universels soient le chimpanzé blanc, les racines de la pierre et les écailles du ciel. Mais il ne faut pas se laisser piéger. Le titre en lui-même est peut-être ésotérique, mais l’expression, le contenu de ce roman est assez moderne. Le contexte culturel assez vieux cède la place à l’imagination politique d’une certaines Afrique moderne ».

IV- Résumé du livre

Ce roman présente l’histoire de l’indépendance d’un pays imaginaire Leydi Bondhi (Terre maudite). Cousin Samba, né une nuit de jeudi pluvieuse et énigmatique à Kolisoko et maudit dès sa naissance, avait participé avec les gens de son village à la guerre contre la colonisation et les blancs qui les dirigeaient. L’ayant perdue, ils subissent les affres de la colonisation : des décisions unilatérales à respecter sans se poser des questions, la construction des écoles où il faut y envoyer les enfants, la culture de l’hévéas au détriment du manioc. Les villageois n’avaient pas le droit de revendiquer quoi que ce soit. N’étant pas content, Samba le manifesta. Il est chassé de son village, et recueilli dans la capitale par une prostituée Oumou Thiaga. Employé comme boy dans une famille européenne chez les Tricochet qui sombra plus tard dans la folie, il est emprisonné une première fois après la mort de sa patronne. Devenu garçon coiffeur, il est ensuite mêlé au mouvement d’émancipation de son pays et devient même, malgré lui, un militant connu du parti de l’Indépendance avec les quatre leadeurs que sont N’dourou Wembidô, Bandiougou, Sana et Foromo. Une fois l’indépendance obtenue, N’dourou Wembidô régna sans partage et instaura une dictature, maltraitant même ses amis d’hier. Ce qui vaudra à Samba un deuxième séjour en prison.

V- Étude thématique

La colonisation : elle se manifeste dans ce livre à travers le dictat des blancs, la construction de l’école et sa pratique obligatoire, les arrestations que subissent les villageois et l’omniprésence des blancs dans la domination sur tous les plans.
La violence : pendant la période coloniale, les villageois de Kolisoko ont souffert de la brutalité des blancs. Toute décision qui n’était pas respectée était passible de sanction physique. Ce qui a appelé des ripostes de la part des villageois. On enregistre beaucoup de mort. Cette violence est constatée aussi une fois les indépendances acquises, car le président dictateur N’dourou Wembidô avait semé le chaos avec la population. Ses militants étaient déterminés à mater les militants avec une cruauté sans pareille : « Un bataillon de militaire parés au combat cueillit la manifestation. La fusillade commença sur la place de l’indépendance, le lieu même que la foule avait choisi comme point de ralliement. Les blessés furent pourchassés et achevés jusque dans l’enceinte des établissements scolaires. Du sang dans tout le centre de Djimméyabhè (capitale imaginaire de Leydhi Bondhi) à croire que les habitants de la ville s’étaient accordés pour y sacrifier de poulets ».

Les conditions de vie miséreuses en prison : Pour montrer sa suprématie sur ses opposants, le président Wembidô avaient installé l’enfer dans la prison : les nourritures étaient mal cuites et insuffisantes, la prison mal entretenue avec des murs délabrés et des odeurs nauséabondes : « l’histoire, par un de ces sacrés détours, ramena nos deux héros dans leur prison d’antan qui détenait un mérite devenu rare. De toutes les institutions laissées par la colonisation, elle est la seule à fonctionner correctement. L’unique bol de sakaraba parcimonieusement servi ne requérait aucun des mécanismes compliqués et rigoureux de la gestion. Naturellement rien n’y demandait à être entretenu : les murs chancis, des cellules infestées d’eau de mer, de vases et d’excréments étant dans les normes ».
La désillusion : C’est le caractère propre aux pays africains après les indépendances. L’espoir tant suscité laisse place à un désespoir qui ne dit pas son nom. Les habtitants de Leydhi Bondy sont impuissants vis-à-vis de la situation chaotique dans laquelle leur pays se trouve, avec une gestion calamiteuse de son président N’dourou Wembidô. Une situation qui a amené le peuple à se soulever et d’autres opposants à vouloir le pouvoir.
Les coups d’état : N’dourou Wembidô nourrit son peuple de discours plutôt que la réalisation des promesses. Ce qui amena une rébellion dont Mouna (l’Amazone de Dahomey) en était l’artilleuse principale. N’dourou Wembidô mourut. On entreprend la succession, mais dans ce désordre, des coups d’état au pouvoir se font les uns après les autres. On vit des règnes hebdomadaires, journaliers, même horaires.

VI- Étude de quelques personnages :

Cousin Samba : personnage principal malheureux du roman. Né dans les circonstances les plus obscures et mystérieux, il a lutté farouchement contre la colonisation. Une fois les indépendances obtenues, il se rend compte que la vie était mieux avec les blancs au pouvoir que les Noirs. Hébergé en ville par une prostituée, trouvant du travail chez une blanche Mme Tricochet, il finit par enceinter sa patronne. De cette grossesse métissée dont personne n’en voulait à cause de la honte, M. Trocochet l’envoie en prison. Il finit par mourir.
Le Président N’dourou Wembidô (N’dourou l’agité). C’est le prototype de la plupart des chefs d’état africain. Une fois qu’ils viennent au pouvoir après plusieurs luttes, ils deviennent des bourreaux pour leur peuple. N’dourou Wembidô ne reconnait plus ses partenaires d’armes d’hier, et une fois au pouvoir les a tous arrêter et a semé le chaos dans le pays.
Mme Tricochet : Femme blanche et patronne de Cousin Samba. Elle s’éprit de ce dernier et a des rapports sexuels avec lui. De ces actes, survint une grossesse qu’elle juge honteuse. Ne pouvant pas supporter les railleries de ses amies, elle sombre dans la démence et finit par mourir.
Sana, Foromo : ce sont les compagnons d’armes du président N’dourou Wembidô. N’étant pas d’accord de sa gestion une fois la lutte remportée et les indépendances acquises, ils ont été arrêtés et jetés en prison où ils vécurent l’enfer.

VII- Point de vue personnel

L’année 1960 a constitué un tournant décisif dans l’histoire des peuples africains. La majeure partie des colonies européennes en terra africaine accèdent à l’indépendance politique. Mais, quelle déception ! quelle désillusion ! C’est que l’exercice du pouvoir est difficile pour des hommes qui accèdent à la liberté après des siècles d’obscurantisme et de souffrance. Tels, qui étaient des compagnons inséparables pendant la lutte libérale, deviennent des ennemis jurés, une fois arrivés au pouvoir, prenant ainsi la population dans un piège. Les idéologies de départ se distendent ou s’affrontent. La manière de construire le pays devient objet de divergence et de conflits. Ce qui prime désormais est l’intérêt personnel. Le peuple peut crier, il va en souffrir, mais il ne pourra pas grand-chose. Dans ces conditions, l’on ne s’étonne pas de voir des soulèvements un peu partout. On fait semblant de mener une lutte contre la corruption, mais au fond, on s’engouffre plein les poches et celles des proches. « Le progrès ne se bâtit pas sans sacrifices, ni sans bouleversements », nous dit-on à longueur de journée. L’Afrique est malade, et malade de ses fils. C’est en cela, dans Henri Lopes dans Tribaliques, s’interroge sur la condition de son peuple : « Où va l’Afrique ?», tandis que R. Mevou Mvomo se penche sur la jeunesse malheureuse poussée à la famine et à la violence dans un monde bouleversé à travers son livre Afrka Ba’a. Ce changement auquel nos dirigeants ne sont pas encore habitués fait que les mutations on atteint aussi le côté spirituel des choses. La tradition africaine en pris un grand coup. Les convictions populaires d’hier sont devenues fragiles, les dieux mêmes tremblent comme des hommes. Rien n’est plus sûr donc. En cela, Olympe Bhêly-Quenum affirme, dans « Le chant du lac » : « La mort. La fin des dieux… Terrible révélation. Oh, prémonition difficilement concevable. Les dieux sont morts ! Comme les hommes seront heureux de pousser ce cri de délivrance. A quand vraiment le développement de l’Afrique avec ces chefs d’état malades dans tous les aspects du terme ?
Conclusion
A travers ce roman Les écailles du ciel, Thierno Monénembo fait le procès des indépendances en Afrique, principalement en Guinée-Conakry (confiscation des libertés, la violence, la dictature…). Face) à tous ces problèmes, les intellectuels africains (docteurs, ingénieurs, écrivains) sont restés indifférents et insensible à la souffrance de leur peuple en étant les complices des dirigeants africains. Parlant de ces trahisons, Thierno Monénembo affirme : « Eux, qui auraient dû être la solution, ils ne l’étaient en rien, c’étaient plutôt eux, le problème à la lumière de la vérité ». La souffrance de Cousin Samba tout au long du livre pourrait nous faire penser à Candide, qui est, lui aussi, le témoin impuissant de la folie des hommes, mais la comparaison s’arrête là, puisque le héros de Voltaire, dans sa quête le conduit en Eldorado où il trouve un bonheur et une sagesse, alors que, l’anti-héros de Thierno Monénembo ne trouve à la fin de son périple que la mort. Un livre à lire et à relire…

Kouassi Claude OBOE

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