Cet après-midi, dans la cour de notre centre d’examen, nous attendions les résultats. Un grand silence s’installa. Un homme apparut et le microphone grésilla. L’homme commença à lire les numéros suivis des noms des candidats admis. Il faut souligner que dans un premier temps, je n’avais pas très envie d’assister à cette proclamation de résultats car mon cœur était rempli d’un sentiment d’incertitude quant à l’issue de ce fameux examen qui donnait droit au diplôme du Brevet d’Etudes de Premier Cycle (BEPC), diplôme qui censurait quatre longues années de dures études quand on met pied au collège. Mais, j’y fus contraint car mon meilleur ami passa chez moi ce matin et rappela à mes parents que c’était le jour de la proclamation des résultats. Moi qui ne m’étais nullement préparé à cela, je fus obligé de l’accompagner. Il m’attendit donc le temps que je fasse ma toilette matinale habituelle, et ensemble, nous allâmes au centre d’examen. Je fus le numéro 00628. J’étais très stressé et c’était bien normal.
J’avais travaillé dur et fait beaucoup de sacrifices pour cet examen, mais un examen demeure un examen. L’homme commença alors à citer les numéros suivis des noms :
– 00620, monsieur Alain : « admis. Toutes mes félicitations. Admis avec 15 de moyenne. Encore toutes mes félicitations. »
– 00621, madame Monique : « admise. Félicitations. Admise avec 15 de moyenne. » Et ainsi de suite jusqu’au numéro 00627 que je n’entendis pas.
Ce candidat venait certainement d’échouer. Aussitôt, j’eus une pensée pour Sènami, la doyenne des candidats: c’était sa quatrième fois. Je fus aussitôt saisi de peur car ce fameux numéro 00627 était mon voisin de table. Je me souvins alors de ces moments d’amusement passés avec lui car le fait d’avoir été son compagnon. Je me souvins aussi de ces fois-là où il me disait : «un peu d’amusement n’a jamais fait de mal à personne. » Je commençai à me poser des questions : « est-ce que les mauvaises ondes qu’il émettait influeraient sur moi ? N’allais-je pas réussir à échouer à mon BEPC ?». J’étais psychologiquement tourmenté et partagé entre la réaction de mes parents et ma propre réaction.
Le son de la voix de mon ami me ramena sur terre, une terre sur laquelle j’allais devoir affronter la dure réalité de la vie. Je fus aussi étonné et énervé quand l’homme qui lisait les numéros tenait ces propos : « je suis désolé chers candidats mais nous devons interrompre la proclamation des résultats car je constate que quelques-uns parmi vous ont besoin de manger et de se reposer. Nous reviendrons donc dans une heure pour continuer. » C’est à ce moment que mon cœur commença réellement à battre à cent kilomètres à la seconde. Je ne m’en souviens pas bien mais je crois que lorsque je m’évanouis, un bon nombre de personnes s’affolèrent autour de moi. Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. Je fus réveillé dans les cinq minutes qui ont suivi cet incident. Mon oncle Olayèmi, ma tante Abêkè et mon frère Tychique, alertés par mon ami, furent les premières personnes que je vis lorsque j’ouvris les yeux. Ils étaient venus car mon père et ma mère étaient allés voir ma grand-mère, malade depuis une semaine. Ils rentrèrent à la maison lorsqu’ils s’assurèrent que je m’étais bien rétabli.
Je restai alors dans la cour en compagnie de quelques-uns de mes camarades de classe qui, comme moi, ne connaissaient pas encore leur résultat. Vint enfin le moment tant attendu. Lorsque débarqua l’homme qui lisait les noms suivis des numéros des candidats, ma première remarque fut de constater que le ventre de ce cher monsieur était bien gros. Je repensai alors au moment où il disait que nous avions faim. Je me disais alors que c’était lui le vrai affamé. Il s’approcha du microphone et dit : « Bon, nous allons continuer avec le numéro 00628 ».
Au moment de lire les résultats, le vent se leva plus fort et emporta la première feuille du lot. C’est alors que je me levai, découragé et pris la décision de rentrer chez moi, croyant que c’était la feuille où il y aurait mon nom qui s’était envolée. Mais l’homme qui lisait les numéros nous rassura que ce n’était qu’une feuille vierge. Mais j’étais tout de même découragé et ce fut au moment où je tenais la poignée de la porte que le monsieur qui lisait m’apostropha. Tous les yeux étaient braqués sur ma personne. Pendant toute une seconde, je fus étonné d’avoir réussi à réciter milles et une prière. Je ne souviens pas dans quel état j’étais vraiment mais je crois qu’il n’y avait pas sur terre un homme aussi heureux que moi lorsque j’entendis cette phrase salvatrice : « Admis. Il est admis avec la plus forte moyenne obtenue dans ce centre d’examen. Il a eu 17,01 de moyenne. Encore toutes mes félicitations ». C’est alors que tous les parents, amis et mes camarades de classe se mirent à m’applaudir. Je fus comblé de cadeau, aussi bien que mes amis se mirent à en chiper quelques-uns.
Ce jour-là, je rentrai à la maison avec une forte envie de dormir et c’était bien normal car j’étais debout depuis sept heures. Mais d’abord il était primordial d’annoncer la bonne nouvelle à tout le monde: d’abord à ma petite famille ensuite à mes oncles, tantes, cousins et cousines et enfin au reste du quartier. Certains de mes camarades étaient contents car leur parents leur avaient promis beaucoup de cadeaux s’ils réussissaient avec une bonne moyenne. Je fus parmi ceux-là. Mais d’autres étaient là à pleurer car ils allaient recommencer une longue année scolaire de dure labeur.
Une de mes amies, Sènami, criait même que son papa la tuerait car c’était la quatrième fois qu’elle réussissait à échouer au BEPC. Du haut de ses dix-sept ans, Sènami avait déjà été la copine de presque tous les professeurs et Monsieur Lewis lui aurait promis la réussite cette année. Elle avait cru aux belles promesses de ce dernier et avait abandonné cahiers et livres en se consacrant à ses séances de manucure, pédicure, tresse et maquillage. Il paraîtrait même qu’elle était tombée enceinte et ne sachant à qui coller sa grossesse, elle aurait avorté sous la pression de Monsieur Lewis. Il faut dire que Sènami était vraiment belle, plus belle que la femme de notre censeur qui passait pour la miss du corps professoral avec ses fesses de chèvre et ses chaussures hauts talons et ses tibias toujours rouges et brillantes. Je ne jalousais pas les professeurs qui étaient amis de Sènami, mais je me moquais des camarades qui lui faisaient la cour et lui envoyaient des lettres d’amour qu’elle me faisait lire et dont nous nous moquions ensemble. Je compris que Sènami n’était pas une fille de notre catégorie. Nous avions beau être dans la même classe, elle appartenait à une autre planète. Et même quand elle disait que son papa la tuerait, je croyais que c’était la blague jusqu’au moment où nous les vîmes faire le tour du quartier, la fille courant devant le papa armé d’une longue chicotte et criant après elle. Ma Sènami, fuyant le courroux de son père, traversa la route à toute vitesse. C’était déjà le crépuscule. Une voiture sans phare passait aussi à vive allure. Nous avions tous mis la main sur la tête, la bouche bée. Le père de Sènami cria « arrête, ma fille, il y a une voiture devant toi ». Mais trop tard. Sèna a échoué au BEPC, mais au dernier a réussi le grand passage.
Timothée ABADJI, Fignonhoun, 2018