HEM’SEY MINA (HM): « Il y a des individus qui vivent en Afrique comme s’ils étaient en Europe »

HEM’SEY MINA (HM): « Il y a des individus qui vivent en Afrique comme s’ils étaient en Europe »

« Il y a des individus qui vivent en Afrique comme s’ils étaient en Europe », nous dit, chers amis de Biscoottes Littéraires, HEM’SEY MINA, l’auteur que nous recevons pour vous ce matin. Il  est franco-congolais et auteur de trois ouvrages.

BL: Bonjour Hem’Sey Mina. Un plaisir de vous recevoir sur notre blog. Veuillez-vous présenter aux lecteurs.

HM : Je suis Hem’sey Mina, écrivain français d’origine congolaise, auteur de trois livres, le récit « J’ai rêvé d’une entreprise 4 étoiles » publié en 2014 aux éditions Harmattan, le roman « Sur la photo, c’était presque parfait », publié en 2016 à La Doxa éditions et le recueil de nouvelles « Trait d’union, du Nord au Sud » publié en 2018 aux éditions Les Lettres Mouchetées.

J’ai été finaliste du prix Sylvain Bemba du premier roman congolais avec le livre « Sur la photo, c’était presque parfait » en 2019.

BL: Comment tout a commencé ? Depuis quand écrivez-vous et pourquoi avez-vous décidé d’empoigner la plume ?

HM : Plus jeune, j’écrivais des textes pour des amis ou les groupes de chants dans lesquels j’exerçais. Ensuite, j’ai participé au concours de nouvelles « Les après-midis de Saint Flo » en 2010 avec une nouvelle sur le thème du voyage. Cette initiative m’a donné l’envie d’écrire plus sérieusement. Le déclic est venu lorsque j’ai lu « Le cœur des enfants léopards » de l’auteur maintes fois primé Wilfried Nsondé. Wilfried, c’est comme un grand frère dont on suit l’évolution à distance. J’ai alors concrétisé cette envie par l’écriture du récit « J’ai rêvé d’une entreprise 4 étoiles, parcours de jeunes auditeurs financiers » publié aux éditions Harmattan. Par la suite, ce sont les avis de lecture de mes différents lecteurs à travers le monde qui m’ont poussé à garder la plume et c’est ainsi que j’ai écrit deux autres livres.

BL: Avez-vous une cible particulière, des oreilles dans lesquelles vous aimeriez que vos messages descendent et résonnent ? Ou écrivez-vous pour tout le monde ?

HM : Récemment, après avoir terminé mon livre « Trait d’union, du Nord au Sud », un expatrié français établi à Douala (Cameroun) me disait que j’écris pour une population éduquée (rires). Bien que mon sujet de travail premier soit la jeunesse, j’essaie d’écrire pour tout le monde. Mes livres sont très différents les uns des autres. Autant le premier était destiné à une population universelle, autant le dernier concerne des personnes qui évoluent dans « l’entre-deux », c’est-à-dire qui naviguent entre deux cultures ou deux vies.

BL: Vous avez la plume facile. Trois ouvrages déjà dans votre besace: Je rêve d’une entreprise 4 étoiles, Sur la photo, c’était presque parfait et Trait d’union du Nord au sud. Vous semblez intarissable d’idées. Quelles sont vos sources d’inspiration ?

HM : Ma source d’inspiration est la vie quotidienne. Je romance des faits ayant existé, existants ou à venir. J’écris sur la vie des hommes et des femmes de tous les jours. Les sources d’inspiration sont donc diverses et infinies. Tenez, par exemple, se déplacer en transport en commun dans les villes de Brazzaville ou Kinshasa, ou encore se déplacer en RER dans la région parisienne sont des sources d’inspiration intarissables.

BL: Quel doit être selon vous le vrai rôle de l’écrivain contemporain ?

HM : Je ne suis pas encore assez légitime pour décrire le rôle de l’écrivain contemporain. Cependant, j’aime bien la notion d’engagement, car sans engagement il y a peu de profondeur dans ce que l’on fait.

BL: Quelle appréciation avez-vous de la littérature congolaise notamment contemporaine ?

HM : Il faut différencier la littérature congolaise du Congo-Kinshasa de celle du Congo-Brazzaville. De manière générale, concernant les deux Congo, il y a beaucoup de belles œuvres et de bons écrivains.

Cependant, deux problèmes demeurent. Le premier est la prolifération des écrivains, ce qui engendre de nombreuses parutions qui se noient dans la masse ou qui ne sont pas toujours de bonne facture. Le second est la quasi-absence de maisons d’éditions notables dans des pays où l’on trouve pourtant des auteurs dans toutes les différentes sphères de la société. Ce qui est bien dommage car avec un meilleur encadrement et davantage de moyens au service de la culture, la littérature congolaise des deux Congo aura davantage à apporter au monde.

BL: Quel rapport avez-vous avec le Congo? Votre cœur bat-il plus fort pour Paris que pour Brazzaville ?

HM : Mon cœur chante les couleurs du Congo, ma tête est le reflet de la diversité française. La sensation d’être chez soi lorsqu’on est au Congo est indescriptible. A l’inverse, les anglophones n’affirment-ils pas que « Paris is always a good idea » ? Mon cœur bat donc aussi fort à Brazzaville qu’à Paris.

BL: Quand on est né et a grandi en Europe, comment accuse-t-on le coup improbable et délicat d’un retour aux sources ?

HM : Il y a des individus qui vivent en Afrique comme s’ils étaient en Europe, tandis que d’autres vivent en Europe comme s’ils étaient en Afrique. Dans ces deux cas, parlerait-on d’un retour aux sources ? Le retour aux sources est propre à chaque individu et ne saurait être généralisé.

BL: Qu’est qui vous a motivé à écrire Je rêve d’une entreprise 4 étoiles?

HM : J’observais autour de moi de nombreux jeunes dépressifs en raison de leurs emplois respectifs. Le stress au travail, il était de coutume de penser qu’il ne touchait que des personnes ayant un certain nombre d’années d’expérience professionnelle. Là, il s’agissait de jeunes qui sortaient de facultés universitaires ou d’écoles supérieures de commerce et qui exerçaient des emplois de renommée. Le phénomène était nouveau et concernait essentiellement des jeunes issus de la diversité. Il était donc important d’écrire sur ce sujet.

BL: « Sur la photo, c’était presque parfait ». Pourquoi ce titre?

HM : J’aime bien cette chanson de LokuaKanza « Caméra sur le cœur » issue de l’album « Plus vivant » dans laquelle il chante Congo, très beau, sur la photo, c’était parfait. D’ailleurs, ce sont ces paroles que je remets en exergue à la fin de l’histoire de Prodige. Ce titre est une sorte d’hommage à mon Congo-Brazzaville et à la musique du Congo voisin. J’ai rajouté le « presque » à dessein afin d’indiquer qu’il manque un ingrédient important dans cette sauce prometteuse.

BL: Vous y fustigez des maux tels que l’alcoolisme, la prostitution, la prolifération des églises dites de réveil et un tas d’autres faits désolants. Des vices longtemps et longuement décriés par plusieurs autres auteurs. Pourtant les choses ne semblent pas s’améliorer. Avons-nous finalement affaire à un Congo sourd, incorrigible et irrécupérable ?

HM : C’est une grande question (rires). Peut-être pourrions-nous écrire prochainement sur ce sujet à travers un essai ?

BL: Prodige, le héros du roman bien que personnage fictionnel partage de nombreux points avec vous, comme l’appartenance franco-congolaise. Doit-on lire dans son histoire celle de Hem’sey Mina ?

HM : Il ne s’agit pas d’une autofiction ou d’une autobiographie. D’ailleurs, le personnage de Prodige est un hommage à un ami d’enfance. S’il est encore en vie, j’espère qu’il a lu ou qu’il lira ce livre. Ensuite, l’appartenance franco-congolaise sert de décor pour les besoins des différentes scènes de ce livre qui décortique assez bien la société congolaise en France et au Congo. « Sur la photo, c’était presque parfait » ne reflète donc pas l’histoire d’Hem’sey Mina.

BL: Prodige a été rêveur et ambitieux. L’idée d’un retour triomphal et définitif aux sources l’avait fait entreprendre le long voyage France- Congo. Mais sur place, il est déçu et les dures réalités congolaises l’ont fait se raviser. Beaucoup d’Afro-descendants se sont retrouvés dans le cas, perdus, tiraillés entre une identité européenne et une origine africaine presque aux antipodes l’une de l’autre. Cela a-t-il aussi été votre cas ? Comment gérer son identité afro -européenne ?

HM : L’identité afro-européenne ne pourrait être équilibrée que si elle s’assume. Cela dépend de l’environnement dans lequel on a grandi, des traditions que l’on a suivi, des valeurs enseignées par les parents aux enfants, mais aussi de la recherche de soi, de là d’où l’on vient. Aller à la recherche, à la rencontre et la découverte de soi est un travail assez important que peu de gens osent entreprendre. Par ailleurs, peu importe nos influences occidentales, il est important de réaliser que notre peau nous prédéfinit, car elle est noire avant toute autre chose. L’identité afro-européenne ne doit donc pas se construire au détriment de l’identité africaine.

BL: « Trait d’union du nord au sud », votre dernier-né traite de quelques sujets pointus de l’actualité mondiale. L’immigration y est longuement abordée. Quelles sont, à votre avis, les réelles causes de la persistance de cette pratique ?

HM : Lorsque qu’une femme est prête à traverser le désert, prête à prendre un bateau pour traverser la méditerranée, il faut bien reconnaître qu’elle est guidée par le désespoir. Si l’on peut prétendre que le désespoir serait donc une des causes de l’immigration, cela reviendrait donc à conclure que de nombreuses personnes sont convaincues qu’ils n’ont pas d’avenir dans les pays dans lesquels ils sont nés. La pauvreté, la misère et l’absence de projection dans l’avenir sont les causes premières de la persistance de cette pratique.

BL: Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à la jeunesse africaine davantage ballotée par le vent du chômage et des vices ?

HM : Voltaire dans son livre Candide déclarait en fin de récit : « le travail éloigne de nous trois grand maux : l’ennui, le vice et le besoin ».

Face à la prépondérance du chômage, il est important pour les jeunes de se retrousser les manches et de ne pas avoir honte de se tourner vers l’agriculture et le développement rural, car il est impossible dans le meilleur des mondes que tout le monde porte un costume pour travailler dans un bureau. Il faut également se diriger vers l’entreprenariat, le développement des services, ou encore chercher activement des bourses d’études afin de se réaliser à l’étranger.

BL: Votre plume s’est aussi attardée sur les rapports Occident- Afrique, grandement décriés de nos jours. Dans le jeu mondial peut-on affirmer sans commettre de blasphème que l’Afrique n’est que la victime des grandes puissances décidées à la sucer jusqu’à la moelle ?

HM : D’une part, lorsque l’on voyage, l’on se rend compte que l’Afrique n’est pas uniforme. Au sein du continent, les pays ne se ressemblent pas et sont très différents les uns des autres. Ainsi, certains pays avancent, tandis que d’autres stagnent, à défaut de reculer. Il ne faut pas donc généraliser une réalité à tout le continent, car l’Afrique n’est pas un pays, mais un vaste continent diversifié. D’autre part, il est intellectuellement malhonnête de toujours remettre la faute sur les autres pour justifier ses échecs.

BL: De nombreux afro-descendants hésitent à retourner aux sources, découragés par les préjugés qui persistent à donner de l’Afrique une image déplorable. Que leur diriez-vous ?

HM : L’Afrique a besoin de tous ses enfants pour évoluer, y compris de l’aide et la passion de ses enfants de la diaspora. Comme le chantait Tiken Jah Fakoly en 2014, c’est le dernier appel du vol Africa. Malgré les nombreux challenges à relever, nous sommes actuellement dans la phase de l’Afrique qui vient et cette Afrique arrive certainement.

BL: Quels sont vos projets littéraires ?

HM : Mystère, mystère (rires).

BL: Votre portrait chinois à présent :

BL: Un personnage historique ?

HM : Ragnar Lothbrok, immense personnage de la série Vikings.

BL: Un héros ou une héroïne préféré (e)?

HM : Mes parents, donner, transmettre et assurer la vie, c’est quelque chose de véritablement héroïque.

BL: Un animal préféré ?

HM : Le gorille, car il est majestueux, puissant et intelligent.

BL: Votre auteur préféré ?

HM : Je n’en ai pas un, mais plusieurs, notamment Alain Mabanckou, In Koli Jean Bofane, Gaël Faye, Joël Dicker, etc.

BL: Une qualité ? Un défaut ?

HM : Ce serait plutôt à vous me de dire. Il est difficile de se juger avec objectivité (rires).

BL: Merci Hem’sey Mina de vous être prêté à nos questions. Votre mot de la fin

HM : Les livres « J’ai rêvé d’une entreprise 4 étoiles », « Sur la photo, c’était presque parfait » et « Trait d’union, du Nord au Sud » sont disponibles en français et en versions physique et numérique sur toutes les plateformes et dans les différentes enseignes.

Merci aux Biscottes littéraires d’avoir manifesté cet intérêt pour ma modeste contribution à la littérature francophone.

Merci encore à tous les abonnés des Biscottes littéraires de soutenir la culture africaine et afro-française.

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