His only wife de Peace Adzo Medie, une réponse à Stay with me de Adebayo Ayobami ?

C’est une chose bien étrange que de lire un livre seulement pour le jauger, pour le comparer à un autre livre qu’on a depuis longtemps placé sur un piédestal. Tout auteur qui écrit un bestseller sait qu’il vient de placer la barre haut et qu’il faudra l’escalader toutes les prochaines fois, se montrer à la hauteur. Ce n’est pas forcément juste. Mais ce n’est pas injuste non plus. C’est un défi, si je puis dire, un défi personnel. Donc, non, quand je dis « C’est une chose bien étrange de lire un livre seulement pour le jauger, le comparer… », je fais exception de ce cas de figure. Je parle de lire un auteur et de vivre un coup de foudre avec sa plume. Puis d’en lire un autre parce que quelqu’un, un ami, un critique, un autre lecteur aurait fait un parallèle, un début de comparaison entre les deux.

L’écrivaillon en moi a l’impression d’avoir commis (et d’être toujours en train de commettre) un sacrilège. Mais tout lecteur sait qu’il y a de ces livres-là dont on se croit soudainement le gardien alors que personne (surtout pas l’auteur) ne nous a rien demandé. Les noms de certains personnages peuvent jouer à cache-cache avec notre mémoire, certains détails peuvent ne revenir qu’après relecture, mais l’émotion, l’impact, les réflexions sont comme une cicatrice qui jamais ne disparaîtra. Ce n’est donc pas le livre en lui-même que l’on « garde » mais les sentiments qu’il a fait naître en nous.

 

Me voilà donc assise, alors qu’il est minuit passé, essayant de répondre pour moi-même avant tout à la question : His only wife de Peace Adzo Medie est-il l’autre face de la pièce du roman Stay with me de Ayobami Adebayo ? Voyez-vous comme j’ai raison de dire que personne ne m’a rien demandé, surtout pas l’autrice ou les autrices ? Quoi qu’il en soit, la réponse pour moi est non. Pourquoi ?

Dans Stay with me (en version française Reste avec moi), Yejide et Akin s’aiment plus que tout au monde. Leur mariage est approuvé, scellé et heureux… jusqu’à ce qu’il s’avère impossible pour les deux de faire un enfant après des années de mariage. C’est là seulement que la belle-mère autrefois, aimable et compréhensive se transforme en cerbère, prête à tout pour marier son fils à une autre femme. Prête à tout pour qu’il ait enfin une descendance.

De l’autre côté, « Aunty » comme tout le monde l’appelle est ouvertement hostile envers la petite amie de son fils, qui d’ailleurs le lui rend bien. Si bien qu’il lui est impossible d’aller et de venir comme il lui chante dans la maison du fils en question. Celle qui veut tout contrôler, jusqu’au choix des compagnons de ses enfants décide alors d’arranger un mariage pour son fils, de mettre « l’autre femme » à la porte.

D’un côté, Yejide et Funmi sont co-épouses. Yejide est la première femme de Akin. Elle est celle qu’il ne quittera jamais même s’il en accepte une autre pour faire plaisir à sa mère. Celle pour qui il dépassera rubicond après rubicond au point de la pousser hors de ses bras pour de bon. Malgré l’amour, malgré les sacrifices.

 

De l’autre côté, Muna et Afi ne sont pas co-épouses. On ne saurait même pas dire exactement qui des deux est « l’autre ». Muna est celle qui est entrée dans la vie de Elikem la première. Celle qu’il ne quittera manifestement jamais qu’importe sa famille, sa mère ou tous les complots. Afi est celle qui a eu droit à un mariage (quoiqu’uniquement traditionnel). Elle est celle qui peut s’appeler sa femme et que tout le monde reconnaît comme telle. Mais est-ce suffisant pour se sentir légitime dans la vie d’un homme qui en aime une autre ? Qui en aimait une autre avant même qu’elle n’apparaisse dans le paysage ? Muna est-elle l’ombre qui vient gâcher son bonheur ou est-elle le mensonge qui vient voler le bonheur de Muna ?

Pour être l’autre face, la « réponse » à Stay with me, il aurait fallu que Muna et Elikem fussent mariés. Que His only wife soit l’histoire de la co-épouse. Il aurait fallu que la question de la polygamie fût la principale dans Stay with me.

Cependant, Stay with n’est pas vraiment l’histoire d’une femme qui doit protéger son mari des griffes d’une autre femme. Oui, il en est question. Mais là n’est pas l’essence même du livre. Le livre questionne sur les limites de l’amour qu’un mari peut porter à sa femme ou une femme à son mari. Surtout quand leur plus grand obstacle est l’infertilité ou la perte d’un enfant. Ce qui le rend touchant c’est leurs sacrifices, les proportions effrayantes et indécentes que prendront lesdits sacrifices, leur douleur de parent face à la perte successive de leurs enfants. Funmi la co-épouse est une fourmi prétentieuse qui aura tôt fait de se faire écraser. L’histoire continue bien après qu’elle a disparu du schéma. L’histoire devient plus émouvante encore, inoubliable quand elle n’est plus dans le tableau (en partie en raison de la façon dont elle quitte le tableau).

His only wife aussi n’est pas l’histoire d’une co-épouse qui essaie de rayer la première épouse du tableau. C’est l’histoire d’une femme qui croit sauver une famille d’une femme diabolique. Une femme diabolique qui n’est même pas l’épouse de son mari. Alors que tout prouve que ledit mari est follement amoureuse de la « sorcière ». Oui, il est question de l’humiliation, la douleur et le combat qu’est de partager « son homme » avec une autre femme. Mais c’est surtout l’histoire d’une femme qui apprend que toutes les mains charitables ne sont pas tendues par des cœurs bons. Quelques gens n’offrent leur assistance que lorsqu’on le leur rend par de la vénération, Aunty par exemple. C’est l’histoire d’une femme qui construit cahin-caha son indépendance.

Il est vrai que les deux livres ont quelques similitudes. Dans les deux cas l’amour n’aura pas été suffisant. Mais d’un côté, l’amour est une bulle ne contenant que deux, un mari et sa femme, uni contre le monde entier, même contre l’intrus dans leur mariage. De l’autre côté, l’amour est partagé, incertain, et celle qui se croit la femme légitime est peut-être le véritable intrus. Mais quand on pense à Stay with me, on pense aux sacrifices, à la trahison et surtout à tous ces enfants dont Rotimi est la seule survivante. Rotimi. Duro timi. Attends-moi. Ne me quitte pas. Reste avec moi. D’où le titre du livre. Et ce que je garde de la lecture de His only wife c’est l’image d’une femme qui devra se libérer du mensonge qu’est son mariage. C’est elle son épouse, sa seule épouse, mais pour combien de temps ? Et surtout par quels moyens ? (On voit bien ce qui justifie le titre). Je garde une femme (non pas une co-épouse ou une maîtresse) qui malgré l’amour et la peur de recommencer à zéro aura choisi la paix et son indépendance.

Alors oui les deux livres sont magnifiques, émouvants. Et non ! Les deux livres ne se confrontent pas. Ou l’un ne devrait pas avoir à se justifier de l’autre. Seulement chacun son avis, n’est-ce pas ? Alors hâte de lire les vôtres quand vous aurez fini de lire les deux. Et pour ceux qui voudraient quand même savoir où penche mon cœur, « team Stay with me » ou « team His only wife », j’ai toujours eu un faible inexpliqué pour les livres qui jouent aux montagnes russes avec mon cœur. Le genre qui te brise le cœur et n’a pas fini de le recoudre même aux dernières lignes. Team Stay with me, ce sera.

Nouriath A. LALEYE

×

Aimez notre page Facebook