« INSOMNIE BELLE » DE CHEIKH DIOP : UNE POÉSIE DE L’IDENTITÉ ET DU RÉEL …

« INSOMNIE BELLE » DE CHEIKH DIOP : UNE POÉSIE DE L’IDENTITÉ ET DU RÉEL …

Introduction

Souvent, c’est dans le cœur de la nuit, à l’heure de la plénitude de la quiétude que Morphée quitte brutalement l’âme de cet homme, le laissant faire face au réel, à sa réalité et à tout ce qui le plonge pleinement dans les forêts de souvenirs, les fleuves de gratitude, l’univers des rêves et le monde de la sédition. Ah ! cet homme, un poète dans l’obscurité avec comme seule richesse, une plume et rien qu’une plume. Mais une plume,c’est tout ce dont un poète a besoin la nuit, dans la brume, dans la solitudepour rêverdu retour de Morphée. Cheikh Diop l’a très bien compris. Ainsi, dans « Insomnie Rebelle » ,debout et les yeux grandement ouverts, le poète rêve de tout absolument à la brune, à la fraiche, à travers des poèmes. Cependant, chaque poème porte l’âme et l’espoir et la vie d’un humain et chaque humain, chaque vie est comme un poème dans ce recueil.

En effet, « Insomnie Rebelle«   est une poésie qui a pied dans plusieurs univers, dans l’univers de la souffrance comme celui du rêve, dans l’univers de la liberté tant substantielle que formelle comme celui du futurible pour parler comme Felwin SARR. En réalité, ce recueil est non seulement une poésie onirique dans l’éveil mais également une poésie de l’humain.Il est aussi une poésie qui se veut libre, une poésie de la sagesse qui vit d’insomnie perpétuelle dans le but d’aider le poète, d’aider l’homme à trouver le sommeil.

  • UNE POESIE ONIRIQUE DANS L’EVEIL

Lorsque le regard défile et se promène dans l’univers du recueil de Cheikh Diop, le rêve accueille tranquillement l’esprit et le cœur et l’âme dans le hall du réel, de l’éveil, de la conscience ; et l’homme, conséquemment,aperçoit un univers différent du sien mais un univers, tout de même possible à bâtir et dont il est épris.

En effet, « Insomnie Rebelle » est une poésie onirique dans l’éveil pour plusieurs raisons. Déjà, dès les premières pages du recueil, le poète affiche ses rêves qui prennent la forme de ses sentiments les plus abscons, sentiments obscurcis par la laideur et l’ambiguïté du monde et de son regard du regard de l’homme sur l’homme. Cette vision le pousse de façon non point inconsciente mais clairvoyante, à vouloir sortir du monde et en inventer un à son image car le poète sait que la vie est un rêve que l’on peut transformer en réalité, à sa guise. Ainsi, les titres des poèmes comme culture brisée(p.25), Le proscrit(p.31), Le négateur (p.33), Enfer (p.90), L’assassinat de tannous (p.105) « L’hypocrite » (p.126) etc. en disent long sur les remarques du poète, remarques qui lui donnent raison lorsqu’il rêve de faire du monde « un bon train surréel voguant dans un élan perpétuel» ou lorsqu’il rêve d’égalité entre les hommes dans son train qui « n’aurait pas de place pour roi ni de « 2éme classe » pour Badolo et de « 1er classe » pour bourgeois ». On a là un rêve d’égalité entre les hommes, égalité qui va au-delà de la naissance et qui peut, non seulement trouver ses racines dans plusieurs théories philosophiques et religieuses mais également dans les Déclarations de 1789 et de 1948. Cheikh Diop semble être un amoureux de la philosophie, ce qui par conséquent explique, indubitablement, la présence de ces grands thèmes dans son recueil.

Par ailleurs, « Insomnie Rebelle » porte les étincelles de l’enfance et les instants de bonheur que revoit le poète quand « le ciel est noir comme une mer immense ». Ainsi, « tout autour de lui voltige les souvenirs, souvenirs provençaux ». Il rêve d’une fille maghrébine au point de murmurer son nom. Le poète crie en réalité doucement « ô Jamila, Chukran » comme l’amoureux qui vient de jouir lorsqu’il entre dans l’abime de l’être aimé. Le rêve prend ici les colorations de l’amour-passion qu’accompagne le plaisir de la chair. Aussi, il rêve de retrouver la beauté de son royaume d’enfance, le rythme des tam-tams d’insouciance, expression que Cheikh Diop a empruntée au poète David Diop (Celle-ci figure dans Coups de Pilon, page 34 et 35). D’ailleurs, plusieurs expressions modifiées (un mbalax frénétique sous les doigts du griots) p.25 ou pas de Cheikh Diop sont prises de « Coup de Pilon« . De plus, la construction de beaucoup de ses vers renvoient à celle de David Diop. Quid de ce vers qui dessine la beauté d’une fille provençale en ces termes : et je me rappelle ta belle peau de cuivre, panthère ibérique au noir regard hypnotique ? On peut y voir une réécriture de Rama Kam de David Diop. Dès lors, il est évident que de l’auteur de « Coup de Pilon » a beaucoup influencé Cheikh Diop dans sa création poétique. En somme, si le poète rêve dans Insomnie Rebelle, c’est, on peut le dire sans se tromper,et pour tenter d’améliorer la condition humaine qui est aussi sienne et pour mieux trouver son humanité.

  • UNE POÉSIE DE L’HUMAIN

« Insomnie Rebelle » porte l’âme de plusieurs hommes et femmes vivants, l’âme de ceux qui sont passés de vie à trépas. C’est en cela qu’il est humain.

D’ailleurs son préfacier dit de façon plus que claire « que si l’insomnie de Cheikh est rebelle, c’est parce qu’il a la gratitude têtue, la haine tenace et la reconnaissance infinie. Oui, la reconnaissance infinie car il y a des choses et des gens qui ne s’oublient pas. »

C’est justement parce que le poète refuse que sa mémoire embrasse l’oubli que l’humanité au sens le plus noble du terme habite son recueil. Ce refus d’oublier se voit quasiment dans chaque poème, à travers les hommages ou dédicaces. En réalité, chaque poème du recueil abritel’âme d’un humain oud’un ami du poète. Chaque poème du recueil dit « non » à l’oubli car contrairement à Nietzche, pour le poète Cheikh Diop, tout acte n’exige pas l’oubli. On peut comprendre par conséquent les raisons qui l’ont conduit à affirmer la mort du philosophe négateurdans son excellent poème Le philosophe (p.113). Ainsi, dit-il :

« Puis je me suis retourné vers Dieu :

Nietzche est mort »

Toutefois, la pensée du philosophe dont il a annoncé la mort lui permet de se venger de la façon la plus humaine qui soit d’un traitre. Alors, parlant à ce dernier à la dernière strophe du poème « Rancune« , il affirme (p.118) :

« Enfin

Je te tresserai une couronne d’épine

Une couronne de Jésus

La vengeance par l’intellect ».

On peut facilement constater que le poète garde, même dans la vengeance, son humanité. Il refuse d’abandonner cette lumière qui fait battre son cœur, l’humanité. En effet, il aurait pu crier dans le silence sans doute « humain dans la vengeance, humain jusqu’au bout. Ô reconnaissant envers le traitre, ô liberté dans la gratitude !»

  • UNE POESIE QUI SE VEUT LIBRE, UNE POESIE DE LA SAGESSE

La volonté de liberté du recueil « Insomnie Rebelle » s’aperçoit dans le refus de faire recours à la versification et sa sagesse apparaît dans les adages wolofs dont le poète habille ses textes.

Concernant le premier point, le poète Cheikh Diop considère dans la postface de son recueil que « la versification est un bagage, un corset, une prison. Elle emprisonne notre sentiment. Et il n’y a de vraie liberté cartésienne que dans le vers libre ».

Il faut préciser que cette position est, indubitablement, un copier-coller né du hasard de la traduction des poèmes de langue étrangères en français (par Vigenère d’abord au XVI e siècle et Baudelaire) et de l’esprit que certains poètes se faisaient de la poésie, poètes qui refusaient de coucher leur inspiration dans les lits classiques de la poésie, poètes qui refusaient de trouver leur voie et liberté dans le mimétisme. Or, Cheikh Diop est dans le mimétisme conceptuel dans Insomnie Rebelle. Ce qui par conséquent, lui prive, inconsciemment, cette liberté poétique dont il est en quête. Et précisons quesi la versification est une prison, le copier-coller de la position d’autrui l’est aussi car, si la liberté en poésie existe en réalité, elle est ailleurs et loin de tout ce qui est déjà ; et sans doute, c’est le jour où elle verra le jour qu’elle perdra son essence. Car toute création qui trouve un langage est code.

De plus, Cheikh Diop utilise « le vers libre » en quête de liberté dans Insomnie Rebelle mais en même temps, il condamne ses poèmes dans la prison de la rime et des figures de style. Et finalement, on en est en droit de nous poser la question à savoir : De quelle liberté parle réellement le poète ?

S’agissant du deuxième point, il faut dire que la sagesse de « Insomnie Rebelle » se trouve dans le recours de plusieurs adages africains, et notamment, wolofs. Ces adages portent généralement une sagesse de vie, une philosophie existentielle. Ainsi, dans le poème Stéatopygie (p.191), dit-il :

« Comme un ventilateur qui s’emporte et s’enflamme

En s’écriant : « Gni man kot amu gnu mbam » »

Cet adage montre combien ceux qui manquent de moyens peuvent trouver bêtes et insouciants ceux qui en ont et qui ne les utilisent pas bien. Cela montre bien aussi tous les déséquilibres en termes de ressources qui peuvent exister dans la société.

Par ailleurs, dans le poème Rupture (p.77), le poète écrit : « Xalam demon na bay nex buum ga dag ». Cet adage wolof qui se traduit par « la musique de la guitare se faisait mélodieuse quand la corde se cassa » fait montre des mauvaises surprises de la vie. Aujourd’hui, toute la Casamance, tout le Sénégal, toute l’Afrique est en pleurs à cause d’une mauvaise surprise : la disparition du grand poète-slameur Al Faruq, que la terre lui soit légère !

Concluion

Aujourd’hui, c’est la mort qui dit comme Cheikh Diop dans son poème « La mort du gendarme » à l’humain qui gît dans tous ceux qui ont porté Al Faruq dans leur cœur, « Dugu ngu ni Rubba » pour se moquer de nous en nous rappelant qu’on est tous nés avec la mort et de toute façon, la vie sur terre ne dure pas.

En fin de compte, « Insomnie Rebelle«  quoique nous ayons des réserves sur certains points,demeure un excellent recueil de poèmes qui met en valeur la poésie et la création poétique.

Zacharia Sall

 

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