« La poésie se conçoit alors à la sacristie et se vit à genoux devant Dieu à l’église.»
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BL : Bonjour cher Abbé Paulin. Nous sommes heureux de vous recevoir sur notre blog. Et nous sommes impatients de savoir qui se cache derrière ce beau prénom.
PG : Il est de bon ton et de bonne convenance de vous dire ma gratitude pour cette interview. Adresser la parole à quelqu’un, c’est nouer une relation d’existence avec lui. Mon prénom ne cache rien de spécial, mais au contraire révèle tout mon être et tout le dessein que Dieu a tracé pour moi. Il a fait l’objet d’un de mes poèmes de mon recueil « Sur la Lune« et j’y ai expliqué toute la genèse.
Partant de l’étymologie, Paulin vient du latin Paulinus, diminutif de Paulus, dérivant à son tour du grec pour signifier peu. Paulin traduirait donc l’idée de la petitesse et de l’humilité sans trop exagérer. Mais Paulin dans l’histoire de la littérature s’accroche à plusieurs personnages, et je me retrouve avec celui de Nole que le Dictionnaire de la Littérature appelle « versificateur virtuose, il y apparaît comme un des plus talentueux poètes de la latinité. »
Mes 1m85 contrastant avec ce prénom, je me dis toujours que le Seigneur m’invite à l’humilité, sans me confondre au petit beurre de ce nom, car je deviendrais chèvre.
BL : De votre Davè natal en pays saxwè à l’Italie où vous poursuivez actuellement vos études, quelle lecture faites-vous de votre vie et des divers chemins que la vie vous a fait emprunter.
PG : Dans la question posée sont deux mots essentiels : vie et chemins. Ma vie est donc faite de chemins qui se recoupent au carrefour de l’amitié avec Dieu qui est Chemin, Vérité et Vie, et s’élargit aux frères que m’offre le ministère essentiellement fait pour le moment d’enseignement et d’études. Davè et Italie m’aident à préparer la Jérusalem céleste, la vraie cité. Je fais donc une lecture linéaire de ma quotidienneté.
Comme lecture de cette vie, il faut aussi remercier le Seigneur et demander toujours sa Lumière pour mes pas. Parler de lecture à un littéraire, c’est aussi lui tendre un livre, et celui toujours ouvert est la Sainte Bible.
BL : L’abbé Paulin et la poésie : comment est-elle née, cette idylle ?
PG : Tout partira de mes premiers cours de poésie que nous avons eus en classe de 4ème à Djimè. Mais il faut dire que l’appétit vient en mangeant au creuset des lectures des divers classiques que nous connaissions dans le temps, crayon en main pour les imiter, gommer et réécrire. Autrefois, il fallait avoir un livre de chevet, quand il n’y avait pas la fameuse tentation d’aller sur les statuts des gens pour voir ce qu’ils ont publié. Et l’homme ne devient que ce qu’il lit.
BL : Que ressentez-vous devant un texte poétique ?
PG : Un texte poétique me parait toujours comme un défi. D’abord il y a le défi de bien comprendre ce qu’a écrit le poète. Ensuite, il faut scruter ses interlignes. Et enfin, vivre tout l’événement poétisé. Comme ressenti, je ne saurais le dire, étant donné que les sentiments font partie de notre psychique. Mais un texte poétique vous fait aller au-delà, et vous projette dans un au-delà.
BL : Vous étudiez actuellement les lettres classiques. Quelle peut-en être réellement l’utilité dans un monde de plus en plus tourné vers le pragmatisme et la quête du pain quotidien?
PG : Je me suis tellement habitué à cette question que la réponse qui me vient spontanément est l’humanitas. Mais je voudrais vous préciser que j’étudie les Lettres Classiques et Chrétiennes : les auteurs grecs et latins de la période classique aussi profanes que chrétiens.
Dans l’une des interviews que m’avait accordée mon université dans mes premières années d’étude, je répondais qu’en étant en contact avec les classiques, nous apprenons à acquérir l’ Humanitas que nous devons transmettre. C’est à l’ombre du palmier que grandit sa pousse, dit-on. Cette interview est encore lisible en ligne. Mais aussi dans un article que j’ai adressé à la Croix du Bénin, je parlais de la grammaire de l’homme qui est fondamentale. La Lettre fait l’Homme qui à son tour est maître de la matière. Malheureusement notre monde et notre société tendent à renverser les normes.
Cette première manche de la question s’est consacrée à l’objet d’étude. Mais les débouchés d’emploi sont vastes : le grec, le latin, la littérature, la philologie, la poésie, la patristique, l’exégèse patristique, et bien d’autres disciplines. Il n’y a rien de plus pratique et de plus vrai que les lettres ; seuls les numéros et les numériques varient et meurent avec leur emploi.
BL : Vous venez de publier aux Editions Solara votre premier recueil de poèmes. Mais avant d’en parler plus amplement, dites-nous ce qu’un prêtre « vient chercher dans la poésie au lieu de rester dans sa sacristie ».
PG : Vous semblez insinuer une dichotomie entre le sacerdoce et la poésie. Or l’hymne qui est la forme la plus parfaite de poésie vous reconnecte à Dieu dans l’exaltation de sa gloire. Le prêtre étant le chantre de l’amour de Dieu ne peut que faire de la poésie, ou à tout le moins aimer la poésie. Beaucoup de prêtres alors comme Saint Ambroise ou Saint Paulin donneront à la poésie ses lettres de noblesse, et plus particulièrement à l’hymnologie chrétienne, sans oublier de mentionner Saint Thomas.
Je suis donc entrain de dépoussiérer une place nôtre que nous n’avons pas su véritablement occuper au long des siècles. La poésie se conçoit alors à la sacristie et se vit à genoux devant Dieu à l’église.
Quant à la publication aux Editions Solara, il s’agit d’abord d’une publication à compte d’éditeur. J’avais préalablement contacté de grandes maisons d’éditions en France et en Italie, mais elles voulaient une publication à compte d’auteur. Avec l’évaluation respective de leur conseil de rédaction, j’ai compris que mon recueil était publiable et Solara l’a fait le 04 Avril 2019.
BL : « Sur la lune », tel est le titre de votre premier recueil de poèmes. Que cachez-vous derrière ce titre?
PG : Evidemment une telle titulature me faisait peur, étant donné que je voulais donner comme titre à ce recueil de poèmes « Mes paperasses éparses. » Mais au dernier moment j’ai dû choisir « Sur la Lune« qui est le titre de l’un de mes poèmes qui renvoie l’homme à ses rêves et le soustrait à ses rêveries. Pour qui a encore bonne souvenance, on nous racontait en conte comment la lune a pu se retrouver là-haut dans le ciel alors qu’elle était sur terre. Ce récit mythologique m’a tellement habité que je me disais qu’il fallait faire revaloir toute notre mythologie africaine et béninoise. Si j’ai passé des semestres à étudier la mythologie grecque et romaine, pourquoi ne pas au moins me rappeler ici un de nos mythes ? L’anthropologie, faisant la distinction entre la fonction étique et émique du mythe, nous enseigne que la vraie signification d’un mythe se trouve plus dans ses variantes que dans sa singularité. Et le sens du mythe, au-delà de la théorie de Mircéa Eliade, est dans sa significativité comme le signale Walter Burkert. Sur la Lune tu verras le bleu du ciel, le bleu de la vie : c’est un rêve mais en même temps un défi culturel et personnel. C’est amusant mais plein de sens. Il suffit de lever le regard pour contempler cette Lune. Tout est là.
BL : Vous envoyez le lecteur sur la lune alors qu’il n’a pas encore fini de résoudre les problèmes de la terre. La poésie serait-elle une évasion ou une fuite de la terre où se mène le combat de la vie ?
PG : J’ai anticipé la réponse à cette question en justifiant le titre donné à mon livre. Et qui voudra jouir de la terre doit savoir lever la tête et aller sur la Lune. Tout le poème répond pleinement à cette question. Il suffit de le vivre.
BL : Votre poésie est aux confluents de l’art, de la philosophie et de l’oraison. Y condensez-vous les divers courants qui ont formé le prêtre que vous êtes ?
PG : Effectivement dans le métier de poète se conjoignent tous ces paramètres de notre vie. Faire de la poésie est l’art de philosopher en peu de mots et se mettre en oraison. Et le prêtre doit être au confluent de ces diverses disciplines, mieux être l’animateur de ces disciplines.
BL : « Sur la lune » n’est-ce pas en dernier la nostalgie de toutes ces maisons de formation qui vous ont vu grandir dont Adjatokpa (Cf. « Le football à midi », et Tchanvédji (« Un orage à Tchanvédji » « TCHANVEDJI » ?
PG : Grande nostalgie ! Ces maisons ont été nos berceaux. Quand j’y retourne, j’y ressens encore mon odeur. C’est ainsi que se dit l’amour dans nos langues. Je les aime parce qu’elles ont été les premières à nous accueillir.
BL : Dans « L’horloge », vous écrivez :
Qui vous a faites, pauvres aiguilles,
Nues comme les sourcils qui papillent
N’envient pas la grosseur des goupilles ?
Qui vous a faites, pauvres aiguilles,
Triade au tic-tac si monotone
Qui fait sauter Soleil de son trône ?
Qui vous a faites, pauvres aiguilles
Qui pressez les métros sur les rails
Qui de leurs bruits sourds nous assaillent ?
Qui vous a faites, pauvres aiguilles
A la danse jamais arrêtée
Qui couple jours et nuits complétés ?
PG : Doit-on y lire un regret du temps qui passe et qui conduit inexorablement les pas du poète vers le dernier matin, où plutôt son émerveillement devant le temps qui passe et qui lui fait espérer en des lendemains meilleurs ?
Vivant ici en Europe dans un monde où le regard est toujours fixé sur l’horloge, j’ai écrit ce poème à la fois pour contempler la merveille qu’est l’horloge qui rythme le temps, et ses gênes aussi. Nous savons bien ce que représente pour nous la cloche dans les petits séminaires. Parfois on n’hésitait pas à maudire le réglementaire ou la cloche elle-même.
Mais c’est impressionnant quelques fois, surtout quand il y a silence d’écouter le tic-tac des aiguilles qui semble un autre battement, le battement du temps.
Parlant du temps Saint Bernard écrivait : « afflictibus longae, celeres gaudentibus horae » (Les heures sont lentes pour qui souffre, rapides pour qui est heureux. ) L’appréhension que nous avons du temps dépend de notre état d’âme.
BL : « Laisse la maison de ton père, et va… » Parlez-nous de la genèse de ce poème émouvant et déchirant où se font palpables la désappropriation et le détachement.
PG : J’ai écrit ce poème le 02 Octobre 2016, donc après mes premières vacances au Bénin, étant venu en Europe en Août 2015. J’avais en effet rapporté une photo pour illustrer ce texte qui, à la vérité est un cri du cœur. La première strophe disait en effet que :
« C’est la voix au-delà des tombes,
C’est la voix au-delà des arbres,
Qui grouille et fend telle une bombe,
Cette terre au lourd poids de marbre. »
A la vérité, après avoir visité nos villages aux cases délabrées suite au décès de l’un ou l’autre fils du village, je ne faisais que méditer le phénomène de la méchanceté humaine : le mal du gris-gris et de la sorcellerie qui décime nos contrées. En relisant le poème, je me rends compte de la décisivité des mots qui décrivent la misère dans laquelle est plongée cette famille imaginaire dans ma tête, mais réelle dans mon cœur. La dernière strophe revient alors sur cette voix qui, à l’opposé de la voix dans les Saintes Ecritures, est en réalité la voix maligne qui fait que les fils s’éloignent de leur terre et s’exilent. Le français ne peut jamais rendre certaines expressions de nos langues : cette voix que nos jeunes sont restés en exil : ‘ye ci gbe’, dirait-on en saxwè.
BL : Et c’est ici que se vit la grande déchirure qui se veut nostalgie : « Loin de mon pays »
Seul sur cette voie bruyante à mille personnes,
Mains gantées, flanc chapeauté je vais mon chemin
Côtoyant sans fin des frères et sœurs qui s’étonnent
De rencontrer un autre frère et un prochain.
Seul dans ce temps si mortel appelé hiver
Je grelotte de froid me menottant le cœur
Je pleure de l’Afrique la douce chaleur
Qui fait sauter de joie même le criquet vert.
Quand tu reviendras encore de l’Afrique,
Rapporte-moi, ô Vent voyageur, le plein sac
D’air qui ne te coûtera pas même un seul fric.
Et si du Sahara tu rencontres les grains
De sable qui du beau soleil prennent un bain
Viens me combler de leur rire cristallin. »
Loin de mon pays, l’expression du mal du pays ou un procès à l’indifférentisme et à l’individualisme occidental ?
PG : Ce poème, non seulement avec l’ordre des pages suit celui que je viens d’expliquer, mais aussi chronologiquement. J’étais vraiment loin de mon pays que je ne voudrais que personne abandonne, un relai au texte précédent. Mais j’ai commencé à l’écrire au bord de la voie en plein hiver où le froid vous rappelle le chaud et vous en donne la nostalgie. Et cette nostalgie thermique ou météorologique se fait existentielle avec l’indifférentisme du monde occidental. Ce n’est point un procès mais une nostalgie. Sans faire de digression, personne ne nous oblige à vivre en Europe. Et alors il faudrait rechercher la chaleur de l’Afrique.
BL : Que pensez-vous que la lecture et la littérature puissent apporter à notre monde en perte de repère et où les jeunes sont pour la plupart manipulés par des volontés de puissance qui ont parfois en horreur le savoir et ne sont que boulimie du pouvoir et soif d’avoir ?
PG : Le mal des jeunes est l’inappétence et le manque de lecture de bons livres. La Littérature, qu’elle soit classique ou africaine, est une fontaine non seulement d’instruction, mais d’éducation pour toutes les tranches d’âge : non pas seulement pour les jeunes, mais aussi pour les vieux. Je pense ici à Plutarque qui a écrit pour les adolescents comme saint Basile, mais je pense aussi à Cicéron dans son De Senectute. Je ne voudrais point citer Ousmane Sembène, Jean Pliya, Olympe Bhêly Quenum qui nous ont laissé un grenier de substances. Il suffit d’aller en puiser ou d’y aller puiser, à chacun selon sa préférence métonymique.
BL : L’abbé Paulin ne fait-il que de la poésie ? A quoi devons-nous attendre prochainement?
PG : Il est vrai que la poésie me passionne, et pour être sincère, ma poésie devrait être latine. Donc mes défis sont nombreux. Le champ est vaste entre la poésie et les différents genres qui ont aussi leur alléchance. Alors alléchés, nous attendrons de les lécher en leur temps.
BL : Votre mot de la fin
PG : Le livre ne vient que de paraître. Il est disponible ici: http://www.lulu.com/ca/fr/shop/paulin-gacli/sur-la-lune/paperback/product-24048677.html. Et si vous voulez un mot de fin, ce n’est que le commencement.