« Je voudrais nous raconter, dire nos beautés. Il y a tant à dire encore sur nous. Peu de gens savent comme nous sommes beaux ici sous les tropiques. Notre histoire est à écrire avec un nouveau regard. Sans haine ni passéisme ; sans fatigante rengaine de négritude non plus. »
Jovincio KPEHOUNSI
Bonjour les amis, cette semaine, votre blog reçoit pour vous Jovincio KPEHOUNSI. Amoureux des belles lettres, il a su régaler le public avec sa nouvelle « Jimmy Sallan». Découvrez-le plutôt.
BL : Bonjour M. Jovincio, merci d’avoir accepté d’être interviewé. Veuillez bien vous présenter à nos chers lecteurs
JK : Bonjour chers amis, je suis Jovincio KPEHOUNSI. Je suis un passionné des lettres. C’est, il me semble, la principale définition que je puis donner de moi-même.
BL : Si pour beaucoup, la passion à la chose livresque, mieux littéraire, est innée, doit-on en penser autant de vous ? Si non, dites-nous comment est né votre attachement aux lettres …
JK : La passion pour la littérature peut-elle être innée ? Je ne sais trop. Il y a une espèce de soif de beauté, une fibre artistique qui devrait être naturelle chez une personne prétendant aimer les lettres. Cette soif doit être naturelle. Chez moi elle s’est manifestée dès la prime enfance par un attachement aux contes et aux chansons. J’ai grandi dans un village entre les confluents du Fleuve Ouémé et l’intense forêt de Djigbé. Dans cet humble village sans lumière et sans bibliothèque, les contes, les fables et légendes se trouvaient sur lèvres des gens. J’en raffolais. A qui me disait un conte, je rétribuais ses services avec un stylo rouge. Mon père était instituteur et je lui subtilisais les stylos destinés à corriger les copies de ses élèves pour payer les griots de dimanche qui m’entouraient. N’allez pas imaginer qu’il s’agissait d’adultes. Mes griots se comptaient exclusivement dans le rang de mes camarades de classe.
Mais rien de tout ça ne faisait vraiment de moi un lecteur. J’ai découvert les livres par ma Mère. Dieu était si lointain de Gulshan Fatima est très certainement le premier récit « sérieux » que j’ai lu, si l’on ne tient pas compte de toutes ces historiettes de nos livres de lecture que j’avais goulûment lues. J’avais une imagination presque sans limites. Quand on me raconte une histoire, je la continue seul, réajustant le destin des personnages, vengeant dans ma tête mes héros trahis et prenant part aux combats les plus mémorables de mes contes !!! Plus tard, je suis rentré au Séminaire. Là j’ai vu une bibliothèque. Et un ami, Charbel Noutaï, qui vient de remporter le Prix du concours Plumes Dorées pour son roman Les oiseaux ne meurent pas la nuit. La passion est née au contact des livres. Je n’avais plus besoin de me faire conter des histoires. Je les lisais. Les livres, surtout les vieux livres aux couvertures cornées, ont une odeur sinon un parfum saisissant que j’aimais. Mon imagination trouvait des ailes. Je volais d’un personnage à un autre, d’un monde à l’autre. Et j’avais cent mille vies dans ma tête d’adolescent. Puis vint l’amour des lettres, pour elles-mêmes. Je me mis à lire de la poésie. Comme j’ai aimé voyager dans les pages rancies des vieux livres ! J’avais un vieil exemplaire tout rafistolé des Méditations poétiques de qui-vous-savez : pendant plus d’un an j’avais vécu dans ma tête près d’un lac tendre, puis dans des orages sans merci. Quand j’ai découvert les œuvres de Senghor, j’ai vécu des nuits entières où j’entendais des balafons, et le frou-frou des signares.
BL : Qu’est-ce qui vous inspire le plus ?
JK : Les gens qui m’entourent et ce que je lis. Je m’explique : quand j’étais plus jeune et que je ne connaissais que des gens de mon âge et les tourments qu’ils ont en amour, tout ce que j’écrivais comme poèmes (j’ai en effet un vieux recueil que je ne publierai pas et où j’entasse tous ces poèmes de soirs de pluies que j’écris pour ne pas être seul) était cristallisé sur l’amour. Plus tard j’ai fait une formation en management des ressources humaines, sociologie et droit du travail. Aujourd’hui, je regarde davantage le combat humain, la lutte pour le sens, le divin effort invisible que les gens font pour paraître corrects, pour ressembler à un idéal social, le poids du sourire, le rôle d’un rouge à lèvres et cette misère en filigrane qui pousse les gens à lutter pour être normauxet échapper à la critique, cette honnête fragilité des relations humaines… L’homme m’inspire dans son extrême pauvreté et dans sa sublime lutte pour paraître.
BL : Vous semblez aimer beaucoup les rimes dans vos textes, doit on conclure que dans votre univers littéraire, vous faites davantage dominer la poésie ? La préférez-vous plus qu’aux genres littéraires ?
JK : La poésie pour moi est la trame de toute écriture. Quel que soit le genre, s’il n’est teinté de la couleur et de la suavité de la poésie, il ne vaudra pas grand-chose.
BL : Comment vous définissez-vous, vous-même, en tant qu’écrivain ?
En vérité, je me définis surtout comme un lecteur et pas encore comme un écrivain. Ma réponse ne va point vous satisfaire ; pourtant elle est très proche de la vérité.
BL : C’est un constat aujourd’hui, que nous connaissons une floraison de poètes. Selon vous, qui a le droit de se faire appeler poète ? Le slameur est-il un poète ? Quel sens la poésie recouvre-t-elle alors pour vous? Quel rapport existe-t-il donc entre le slam et la poésie ?
JK : Poésie vient de poein en grec, faire, créer. Le type du coin qui pond deux ou trois phrases obscures et torture le sens de ses propos pour les faire rentrer dans la camisole étroite d’une rime désolée n’est pas un poète pour moi. Un texte sans saveur, qui nous laisse indifférents à la lecture, nous force à rester indifférent vis-à-vis de son auteur.
La poésie, à l’origine, tant dans la culture gréco-romaine que dans la nôtre, est orale. Le trouvère, le troubadour et le griot sont un même créateur de trois pays différents et de mille siècles différents. La poésie est le feu qui brûle dans tout art. Un tableau bien inspiré est aussi fou qu’un bateau ivre de Rimbaud. Et le Slam est un art généreux qui nous renvoie aux origines de la poésie. Parfois un poème ne se laisse explorer que dans le creux des oreilles.
BL : Quel type d’ouvrage aimez-vous lire, et quels sont vos « idoles » en matière d’écriture ?
JK : Je lis un peu de tout, quoique j’aie une prédilection pour le roman et la poésie. Pour ce qui est de mes idoles, je n’en ai pas en particulier, mais il n’est pas de beaux livres qui me laissent froid et leurs auteurs non plus. Il y a donc des auteurs que j’aime et je citerai sans ordre : Couao Zotti (Merci pour Les fantômes du Brésil) Jean Pliya (pour Kondo le Requin et Les tresseurs de cordes), Garcia Marquez (Pour Cent ans de solitude, L’amour au temps du Choléra. En fait s’il y a un auteur auquel je veuille ressembler c’est ce latino), Tolkien pour le Monde merveilleux du Hobbit, mais aussi pour la poésie du Silmarillon… et Jean d’Omerson pour Mon dernier rêve sera pour vous…et pour tout ce qu’il écrit.
BL : Entant que jeune écrivain, vous avez été choisi pour la phase de présélection du concours « Miss Littérature ». Quelles sont vos impressions sur l’endurance des femmes dans l’univers des mots ici chez nous ?
JK : Comme dans plusieurs domaines, les femmes sont minoritaires en littérature mais je sais quelle promesse j’ai vu luire à l’horizon. Et l’horizon est dans le regard des candidates de Miss Littérature. Il faut remercier Carmen Toudonou pour cette initiative. La littérature béninoise de demain portera de très belles griffes féminines.
BL : Le texte faisant l’objet d’étude à ce concours émane de vous : « Jimmy Sallan » in « La Tranchée » ( Recueil de nouvelles du concours littéraires Plumes dorées 2015) Quelle est la spécificité de ce texte qui se voit promu à un tel degré et à un tel concours ? Que voulez-vous y transmettre en réalité ?
JK : La nouvelle Jimmy-Salan est avant tout un petit chant à l’amour idéal, féroce et extrême. Je suis de ceux qui pensent que l’amour ne laisse aucune part à la demi-mesure. Est-il spécifique ? Je l’ignore. La prochaine fois que je vois Carmen Toudonou , je lui pose la question et je vous en fais un rapport franc.
BL : Avez-vous l’impression que le message est bien reçu du public ?
Je l’ignore. Le public est comme moi. Il est capricieux.
BL : On reproche aux Béninois de ne pas donner le meilleur d’eux-mêmes en matière de production littéraire, surtout que cette terre a porté le titre de « quartier latin d’Afrique ». En définitive, trop de talents pour peu de livres. Qu’en pensez-vous ?
JK : Je pense que la littérature est autre chose qu’un ensemble de phrases en lutte pour se conformer à la grammaire. Elle exige beaucoup de l’écrivain. Et c’est une chose qu’il est inutile de rappeler, notamment pour tous ces grands écrivains de ce pays dont je suis admirateur et modeste disciple. Ceux qui comme moi n’ont pas encore atteint ce niveau de vertu littéraire s’y emploient, je suis certain.
BL : Quelle est la touche particulière que vous, en tant qu’écrivain, vous vouliez apporter à littérature béninoise ?
JK : Je voudrais nous raconter, dire nos beautés. Il y a tant à dire encore sur nous. Peu de gens savent comme nous sommes beaux ici sous les tropiques. Notre histoire est à écrire avec un nouveau regard. Sans haine ni passéisme ; sans fatigante rengaine de négritude non plus.
BL : Quel rapport entretenez-vous avec les autres écrivains du pays ? Êtes-vous satisfait des écrits made in Bénin ?
JK : Je lis. Beaucoup de ceux qui publient chez nous sont lumineux. Mais certains sont plus difficiles à aimer.
BL : Comparaison n’est pas raison. Toutefois, la vérité jaillit aussi des jeux de comparaison. Quels sentiments vous animent en face du travail louable abattu par la génération actuelle et celle des prédécesseurs ?
Je pense qu’on fait de notre mieux aujourd’hui. Il y a un impératif pour les écrivains contemporains : créer des idées qui conduiront réellement notre génération à faire face aux défis du développement économique et humain. Nos pères furent griots de la négritude. Nous devons aller au-delà. Construire l’homme noir. Lui donner de réelles idées pouvant le conduire à l’action. Le temps du Noir plaintif est révolu.
BL : Nous sommes dans le mois de Février, et bientôt la Saint-Valentin. Que pensez-vous que cette fête et la littérature puisse s’apporter l’un à l’autre?
JK : L’amour est l’un des thèmes de prédilection de la littérature. En cela la Saint-Valentin est un bac à proses et vers. Mais cette fête de février offre aussi un autre tableau tout aussi intéressant : à côté de ceux qui vivent le parfait amour (ils sont en effectif bien réduit) il y a le grand nombre de ceux vivent le partenariat conjugal, ceux qui échangent un baiser contre un mensonge, ceux qui serrent la main et non le cœur, ceux qui embrassent les lèvres et non l’âme. Il y a les solitaires qui vivent en couple et les couples où chaque sourire est une besogne. Il y a les amours trahies, qui trouvent dans le 14 février un anniversaire des blessures d’hier. Il y a ceux qu’on n’aime pas du tout et à qui on ne ment même pas pour leur faire croire le contraire. Il y a ceux qu’on aime sans oser leur dire et qui se tuent à essayer de plaire. Il y a ceux qui n’ont pas de cœur et qui espèrent acheter de l’amour avec leur argent. Il y a ceux qui ne songent pas à l’amour et qui toussotent dans la nuit de leur vie réduisant leur existence à la quête d’un sombre destin élevé. Il y a ceux qui meurent pour d’autres raisons qu’un amour et donc qui meurent pour rien, avec un or illusoire et un renom de paille. Car l’amour seul vaut, celui qu’on a pour sa femme ou son époux, celui que l’on porte pour son fils ou sa fille, celui que l’on donne à sa mère ou à son frère. Un cœur qui ne bat pas d’amour est un tambour qui fait beaucoup de bruit pour rien. Et tous ces cas de figure sont dans notre société. C’est bien là des sujets qui intéressent la littérature.
BL : Doit-on en conclure qu’il n’y aurait pu’une piètre littérature s’il n’existait pas l’amour, entendu comme notion?
JK : Piètre littérature ? Je ne sais. La littérature est une herméneutique du cœur. Dans ce qu’elle dit ou dans ce qu’elle tait, c’est toujours du cœur qu’il s’agit. Toujours. C’est pourquoi j’ai bien l’impression que les plus grands chefs d’œuvre en littérature ont toujours eu pour sujet l’amour, qui est protéiforme. C’est lui le dieu multiface et non pas la mort.
BL : Vous avez sûrement des projets….
JK : Oui. Deux livres. Ils viendront en leur temps.
BL : Quels conseils donnerez-vous aux jeunes écrivains en herbe qui ambitionnent d’emboîter les pas à leurs aînés ? À quoi doivent-ils s’attendre ?
JK : Je ne suis pas mieux placer pour donner des conseils. Je crois juste qu’un écrivain, c’est un lecteur. Un gros lecteur. Et comme le sportif, il faut s’exercer au quotidien. Du moins c’est ce que je crois ; ne vous fiez pas à moi.
BL : Votre mot de la fin
JK : Merci à Biscottes Littéraires pour la qualité du travail qui se fait chez vous. UN seul est honoré par cet interview, c’est moi.
Merci de raconter la beauté des Tropiques. Ce n’est pas une guerre du passé ni de culture mais juste une révélation de notre identité. Merci Jovincio. Belle interview !
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