« Jusqu’aux enfers » de Chams Modeste HEDJI.

« Jusqu’aux enfers » de Chams Modeste HEDJI.

J’ai toujours considéré, dans ma modeste expérience chrétienne, la liturgie comme un moment intense de dramaturgie où le verbe se fait chair et habite parmi nous.

Heureux sommes-nous d’être invités à cette cérémonie de sortie du livre. Chams Modeste Hêdji vient de commettre sa première œuvre littéraire au titre très évocateur presqu’invocateur Jusqu’aux enfers…et m’invite à dire tout le bien ou tout le mal que j’en pense. Dans la même circonstance, Modeste, sans le savoir ou le vouloir, me met dans un délicat rôle que j’évite souvent. Mais face à certaines demandes, il urge d’écouter l’œuvre avant de céder aux faiblesses de la chair. Et c’est ce que j’ai résolument fait lorsque le manuscrit de Modeste a atterri sur ma table. J’ai lu et j’ai aimé pour quelques raisons que j’aimerais ici partager avec vous.

  • De la couture de l’œuvre de Modeste Hêdji

La pièce de Modeste est composée de 4 Actes. Ce qu’on appelle Acte en théâtre, c’est une succession de scènes qui indiquent des actions nourrissant les conflits en déclinaison dans l’œuvre. Modeste fait œuvre utile en tissant sa pièce de la façon suivante :

J Acte 1F 3 Scènes

J Acte 2F 4 Scènes

J Acte 3F 3 Scènes

J Acte 4F 3 Scènes

Cette présentation matérielle nous renvoie à du 3-4-3-3qui peut s’apparenter dans le jargon footballistique à de la défense alignée pour plonger le lecteur dans le magma de l’histoire ; laquelle histoire défend une thématique rarement abordée en littérature à savoir la tolérance religieuse et les valeurs humaines que doivent prôner les religions du monde.  

  • Contexte historico-littéraire de l’œuvre de Modeste Hêdji

J’ai toujours considéré, dans ma modeste expérience chrétienne, la liturgie comme un moment intense de dramaturgie où le verbe se fait chair et habite parmi nous. Il m’est même venu en esprit de reproduire dans un élan de mise en scène la Sainte Cène au cœur de l’intimité de ma chambre d’adolescent avec l’aide de mes frères, sœurs et copains du quartier que je distribuais en tant que comédiens en ces années-là où j’étais encore un servant d’autel. Car pour moi, et il en reste toujours ainsi, l’homélie du prêtre célébrant est un potentiel texte théâtral qui mérite qu’on s’y attarde. Le théâtre religieux va donc au-delà de l’Epiphanie avec la scène des Rois Marges rendant visite au Petit Jésus dans sa crèche. Le théâtre religieux, c’est aussi la reproduction de la Passion du Christ à travers le chemin de croix que l’Eglise Catholique romaine met en scène chaque année à l’orée du carême. En commettant donc sa pièce, Modeste Hêdji sous sa coupole de séminariste jette un regard réflexif sur la tendance théâtrale religieuse qui peut constituer un réservoir d’imagination en termes de production dramatique dans notre pays. C’est là que repose le premier point fort de cette œuvre qui nous rassemble cet après-midi ; œuvre dont la nature au-delà de son caractère fictionnel entretient quelques attaches émotionnelles dans la sphère religieuse surtout lorsqu’on sait que le commissionnaire est un sachant de la sauvegarde de la foi religieuse épurée de tout carcan.

  • La fableaux mille promesses de Modeste Hêdji

Un malheur vient de frapper de plein fouet la famille Dossou avec le cas grave d’accident de circulation de Marie-Lux Dossou, fille unique du couple Franck et Jeanne Dossou. Ce cas d’accident mettra en branle la foi religieuse dudit couple qui accuse de Dieu de rester sourd à leurs nombreux appels. Toutefois, leur fils Jean-Lux Dossou ne cèdera pour rien au désespoir. A chaque carrefour des épreuves, il ne cesse de remonter la morale à ses parents. Ces derniers ne sont pas favorables à ce discours vu les nombreux soins infructueux appliqués à Marie-Lux. La solution miracle viendra du village très craint par ce couple qui y voit la source de tous les malheurs. En effet, c’est avec l’expertise de Pépé Dossou, le grand-père paternel de Franck Dossou vivant au village de Houndjroto que Marie-Lux recouvra sa santé au grand étonnement de toute la famille Dossou qui jetait du discrédit sur la médecine traditionnelle et ses corollaires. Parallèlement ce retour au village a permis au jeune Jean-Lux d’apprendre beaucoup de choses sur sa culture de la bouche de son ancêtre Pépé Dossou qui est un vrai patrimoine vivant. Jean-Lux reviendra en ville plus nanti si bien qu’il épatera ses camarades de classe avec une belle performance en culture générale. Chérita Gladinon, une de ses camarades, tombera amoureuse de lui et n’hésitera pas à lui déclarer ouvertement sa flamme à travers une lettre d’amour. Jean-Lux malgré la situation pénible que traverse sa famille finira par céder aux avances de Chérita Gladinon.

  • Etude des thèmes apparents dans l’œuvre de Modeste Hêdji

Plusieurs thèmes se dessinent en filigrane dans l’œuvre de Modeste. Au nombre de ceux-ci, nous pouvons citer :

  • La tolérance religieuse
  • Le syncrétisme religieux
  • L’amour
  • L’amour et l’acceptation de l’autre
  • Critères de pertinence littéraire

Une œuvre littéraire ne convainc le lectorat qu’à partir d’un certain nombre de critères inhérents à l’esthétique qu’elle prône. Jusqu’aux enfers de Modeste réunit en grande majorité ces quelques critères que j’aimerais partager avec vous ici même :

  • L’œuvre de Modeste fait partie des rares pièces portées sur la thématique de la tolérance religieuse dans notre littérature ;
  • L’œuvre de Modeste tire sa crédibilité du discours religieux perçu sous la loupe d’un séminariste donc d’un sachant ;
  • L’œuvre de Modeste s’habille d’une forte charge d’intertextualité qui dénote de la richesse littéraire de l’auteur ;
  • L’œuvre de Modeste dégage un projet esthétique sous-tendu par l’onomastique des noms des personnages qu’il nous donne à voir et à lire (Gladinon, Bogbé, Dagbé…)
  • L’œuvre de Modeste établit des liens évidents avec les œuvres phares ayant marquées et continuent de marquer notre littérature. Par exemple, la figure de Jean-Lux Dossou est repérable dans trois œuvres majeures de la littérature béninoise à savoir :

Trabi dans Les tresseurs de cordes

Quelques séquences justifient ce choix ; notamment celle que nous tirons de la page 63 de l’œuvre de Modeste :

« La recette que je m’en vais vous proposer est une pommade ou plus précisément une pâte argileuse fabriquée par moi-même à base de l’argile, du kaolin, des extraits de plantes comme le curcuma, l’eucalyptus, les feuilles de Cassis… »

Docteur Marc-Kofi Tingo dans L’initié d’Olympe Bhêly Quenum

La séquence : « Renoncer à l’ivraie et rendre le bon grain encore plus fécond. N’est-ce pas là la démarche à adopter pour être à la fois d’authentique chrétiens et de véritables africains ? » tirée de la page 66 de l’œuvre de Modeste donne à lire la philosophie du personnage de Marc Kofi Tingo dans L’Initié d’Olympe Bhêly-Quenum

F La narratrice, 28ème épouse du seringne, dans Riwan ou le chemin de sables de Ken Bugul s’inscrit dans ce même registre du retour aux valeurs essentielles d’une vie chrétienne sans anicroches.

En définitif, l’œuvre de Modeste Hêdji est pleine de promesses. Et c’est ici que je fais mienne la belle préface qui ouvre l’œuvre de Modeste ; laquelle préface donne les bonnes clés pour entrer de plein pied dans l’univers dramatique de Modeste qui ne fait que commencer.

                                                                                                              

Jérôme TOSSAVI, auteur dramatique, Grand Prix Littéraire du Bénin 2020

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