« Le procès de l’infanticide», tel est le titre du roman que nous avons la joie de vous présenter aujourd’hui. L’œuvre est écrite par Innocent Ezin Alofan et est parue à Cotonou aux Editions du Flamboyant en 2005. Il faut avouer, avant tout propos, que ce roman aborde une thématique dont les plumes béninoises ne sont pas très friandes: le sort des enfants dits sorciers. Et l’auteur s’y emploie avec gravité et délicatesse tant le sujet est sérieux et ne saurait tolérer aucune légèreté. Telle une nouvelle, la concision et le style poétique de l’auteur captent très vite l’attention du lecteur. En lisant le livre, l’on se rend compte que tout se déroule très rapidement sans qu’on ne s’en aperçoive. Mais à la fin, l’on se demande comment peut-on, aujourd’hui encore, continuer avec ces barbaries coutumières en Afrique. L’histoire tourne autour de deux femmes au destin triste: Nanti et sa fille Tina.D’une beauté exagérée et presque miraculeuse, Nanti, mère de Tina, était un véritable chef d’œuvre de la création. Morte en couche, Tina, la nouveau-née sera tenue pour responsable. Prétendue être à l’origine de cette mort, elle devra, suivant la tradition en vigueur en pays Odé, être exterminée. Un enfant qui « ôte » la vie à sa mère parturiente ne mérite aucunement d’être traité comme les autres. On lui attribut l’infâme nom d’«enfant sorcier », un trop lourd tribut à porter. Et le sort de tout enfant sorcier, c’est d’être éliminé purement et simplement, sans autre forme de procès. Mais au moment où tout est mis en oeuvre pour qu’il puisse « subir son sort » voilà que Tina disparaît t mystérieusement de sa couche.
Quelques années plus tard, la tante de Tina meurt étranglée dans son potager. Malgré les enquêtes de la police, aucune trace du criminel ne fut décelée. Et Tina qui était toujours en vie, ne parvenant pas à s’assurer une formation éducative, se retrouva dans la rue pour enfin se faire adopter par une barmaid qui s’occupa d’elle. Aidée de sa tutrice elle put mettre en place son « Tina-Bar ». Elle connut successivement deux relations amoureuses décevantes. Ces prétendants disparaissaient mystérieusement pendant qu’elle se mettait pleinement dans la relation. Mais elle rencontra Henri à l’hôpital alors qu’elle était en convalescence après sa seconde relation. Ce dernier sera effectivement l’homme de sa vie. Avec lui, elle eut onze enfants et ils menèrent pleinement leur vie de couple quand une morte subite à l’instar de celle de sa tante le faucha. Henri mourut mort par strangulation. Tina fut traumatisée et déstabilisée. Elle était encore dans le deuil de son époux quand une veille, celle-là même qui, les années auparavant au bar de sa tutrice prédisait qu’elle s’installerait à son compte, lui annonça qu’on avait besoin d’elle au village, ce village qu’elle avait quitté depuis sa tendre enfance. Pourquoi aurait-on besoin d’elle, enfant sorcier, au village? Un coup pour que l’histoire la rattrape ? De toute évidence, l’appel semble urgent et la nécessité pour elle de prendre connaissance de sa terre natale s’impose.
Au vu des événements qui se sont déroulés, peut-on traiter Tina d’enfant sorcier ? Mais à y voir la mort par strangulation de sa tante, qui l’avait aidée à retrouver la vie, de son époux qui lui offert le bonheur, la disparition mystérieuse et sans raison de ces deux premiers courtisans, tout cela reflète le mystère autour de cette fille. Ne serait-elle pas en réalité un enfant de malédiction ? Peut-être. De toute façon, son retour au village inaugure une nouvelle ère.
Le mérite de l’auteur est d’avoir réussi à camper son roman dans un univers à la fois concret et fictif. On se croit dans un conte et en même temps dans la réalité pure. Ce va et vient entre le réel et le fictif donne au roman une dimension exceptionnelle où l’auteur donne de l’importance à la parole, au récit, bref à l’oralité qu’il met au service de son projet littéraire. Et le pari est gagné. L’œuvre est une merveille de par sa constitution et sa dimension sensibilisatrice et didactique. Et là où le génie de Innocent Ezin Alofan se révèle, c’est surtout dans son décryptage du destin. A la vérité, l’on se demande, comment un enfant voué à la mort peut devenir mère de onze enfants et retournée au village, vivre ce qu’elle a vécu. C’est simplement merveilleux.
« Le procès de l’infanticide», comme le titre l’indique est une voix qui se lève pour bousculer nos torpeurs et nous rendre solidaires d’une cause noble au bénéfice des enfants déclarés sorciers alors qu’ils n’ont tué personne. Est-ce la faute d’un enfant si sa mère rend l’âme au moment où elle lui donne la vie? Ne doit-on pas la considérer comme bienvenue plutôt, puisqu’elle aurait pu mourir avec sa mère? Là est tout le propos de ce livre facile à lire et à transporter partout. S’il est besoin de faire un vœu, c’est que ce livre soit réédité et présente un plus bel aspect quant à sa couverture.
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