Il suffit de le lire, d’entrer en contact avec les tracés de sa plume, de flirter avec ce style particulièrement original, pour savoir qu’on à faire encore une fois avec celui qu’on ne présente plus, le patriarche du peuple littéraire béninois : Olympe Bhêli Quenum. Fils de Vodounsi comme il aime à le clamer lui-même, et jaloux de son héritage culturel, Olympe Bhêli Quenum a vu le jour un 20 Septembre 1928 à Ouidah, ville coloniale, et en même temps creuset du Vodoun. Cette situation spatio-temporelle de ses origines n’est pas sans influence sur son style littéraire et ses prises de position. Ayant eu le privilège d’être né avant les indépendances en Afrique et d’avoir, par conséquent, vécu l’époque coloniale, il a toujours su user de ces atouts non négligeables pour défendre sa culture, ses origines, et faire la guerre tant au colonialisme qu’au néocolonialisme puis aux différents maux qui minent « la terre noire ». Ainsi dans ses œuvres que ce soit “ Un piège sans fin ”, “ C’était à Tigony ”, “ L’initié ”, “ Un enfant d’Afrique ” ou encore “La Naissance d’Abikou” qui fait l’objet de la présente étude, il n’est pas rare de le voir dézinguer les idéologies colonialistes et dénoncer vivement les mauvais us de ses frères Noirs. Cette objectivité constitue une grande force dans l’originalité de ses écrits dont les protagonistes sont toujours des personnages originaux.
Pour un recueil de nouvelles, en voici un d’original, non! d’agaçant dans sa forme et subversif de par son fond, (subversif comme son auteur? rires), un recueil qui refuse de se caser dans certains cercueils dits canons prédéfinis ou déterminés qui exigeraient qu’une œuvre de l’esprit épouse l’esprit de certaines commodités pour plaire ou paraître comme tout le monde. «La naissance d’Abikou» est publié aux éditions PHOENIX AFRIQUE en Avril 1998 au Bénin après avoir fait l’objet de rejet par plusieurs maisons d’édition. Il s’agit d’un recueil de douze longues nouvelles qu’on pourrait regrouper en deux blocs selon le critère spatial : le premier se déroulant en Afrique, et le second en Occident, comme pour rendre compte de ce que l’auteur remplit l’une de ses missions d’écrivain consistant à se pencher sur les faits des deux mondes qui l’habitent: l’Afrique et l’Occident.
La première nouvelle, «La naissance d’Abikou», qui introduit et baptise tout le recueil, sculpte un domaine sensible de la culture africaine, mieux celle béninoise, d’abord en mettant en scène un fœtus, Abikou, qui depuis le sein de sa mère dialogue avec celle-ci. Un fœtus qui parle ! Mieux, un fœtus qui parle avec autorité, audace, et ce dans une naïveté voilée ! Phénomène à la fois mystique, mythologique et original qui, sous la plume de l’auteur, se veut une caractéristique culturelle du monde noir. Olympe Bhêli Quenum, pour faire appréhender et lever le voile sur cette ambiguïté d’une certaine cosmogonie fon selon laquelle les enfants mort-nés reviennent à la conception suivante sous forme d’un dieu qu’il faut traiter particulièrement comme tel. Et pour le peindre, l’auteur emprunte un style à la fois audacieux, autoritaire, hyperbolique voire ironique, et un ton aussi bien comique, didactique, pathétique que fantastique, et contextualise le Vodoun dans un environnement plus ou moins mythique.
Et parlant toujours de culture, précisément du Vodoun, «Le veilleur de nuit» présente une statue bisexuée, Bochio, qui a toujours su protéger les lieux sacrés depuis des siècles. Cette statue en effet, à l’époque ancienne était vénérée et adorée comme un dieu jusqu’à l’ère de la modernisation où de jeunes « modernistes » s’en soient débarrassés. Livrée donc à la poussière et ses composantes, Bochio sera récupérée par un paysan conservateur, Hounounkpo, qui en entreprend la réhabilitation avec non plus un sacrifice humain mais celui d’un chien, dans sa concession pour se protéger contre les voleurs qui maintes fois se heurtent à des forces invisibles ; à la dernière tentative une nuit, le chef de bande se retrouve ligoté et maintenu immobile jusqu’à l’aube où il fut découvert. Comme complément à la première, cette nouvelle-ci vise à réhabiliter la valeur picturale des richesses mystiques de l’Afrique.
Toujours en Afrique ; et la plume explore un thème qui cette fois échappe à l’uniformité sur la culture noire. En effet, loin de s’éterniser sur la culture noire et ses ramifications à n’en point finir, l’écrivain béninois, se penche sur un autre mal : la dictature qui a envahi le Continent dans la période de désenchantement au lendemain des indépendances. Ainsi dans «Mashoka elfu maja», il localise en République d’Alfajiri l’histoire d’une insurrection qui entraîne la chute du régime dictatorial en place, et donnera victoire au groupe des insurgés, «Les Nihilistes antirévolutionnaires», prêts à mourir pour que vive la Démocratie. L’usage dans cette nouvelle des noms de plusieurs régions d’Afrique vise à montrer qu’il ne s’agit pas d’un seul pays ciblé ni d’une région spécifique.
Le projecteur est ensuite braqué sur l’Occident en ce qui concerne le second bloc de l’œuvre. Un maillage thématique s’entretient entre les nouvelles. Ainsi «Eros noctambule», «Une grande amitié», «Le vagabond» et «Funmilayo», constituent une suite logique d’une même histoire mettant en scène de jeunes Noirs étudiant en France, et leurs condisciples Blancs avec qui ils vivront toutes sortes d’aventures.
En effet, avec presque les mêmes personnages, l’histoire commence par «Eros noctambule» qui livre récit de la peine voire la désolation d’Édouard, un jeune puceau qui, pour sa première fois en balade nocturne, se heurte à la perversité de ses compagnons habitués à la fornication et à la débauche sous toutes leurs formes.
La même histoire semble se poursuivre avec «Une grande amitié» qui accentue le chagrin du jeune Édouard avec les bassesses sans scrupule de sa génitrice au point de le conduire au suicide. Pourtant, cette dernière se voulait protectrice envers son fils qui, pour elle, commençait à “se négrifier” avec un «amalgame de nègres païens et de dévergondés» (cf. P. 121)
À ce stade, l’on pourrait marquer une pause et se demander pourquoi une histoire de “grande amitié” se voit entachée de bassesses et de suicide ? Et si pour l’auteur, il n’y avait que le suicide comme meilleure solution pour les héros de ses œuvres !?
Dans tous les cas, la soustraction d’Édouard reste loin de marquer la fin de l’histoire qui à présent est relayée par «Le Vagabond». Ici, il s’agit essentiellement du mépris dont fait l’objet la bande de nos héros, les jeunes étudiants. Toutefois, Kofi l’un d’eux, ayant subi le rite des initiés des l’âge requis dans son village natal, avant l’embarquement pour l’Europe, fait usage de ses secrets d’initié comme par réminiscence et par communication avec les anciens de l’au-delà notamment son oncle regretté, pour apaiser les tensions et les dépressions dont fait l’objet son groupe de jeunes, risée de la majorité.
Dans cette maîtrise de la situation par l’illustre initié, l’histoire se verra enjolivée du sentimental avec «Funmilayo», la nouvelle qui se consacre à livrer le récit de la rencontre de Kofi et son âme-sœur. Tous deux « militantistes » pour la cause de l’Afrique : son indépendance, se livrent l’un à l’autre dans une aventure à en rêver.
Vient ensuite «Les Francs-maçons». Cette nouvelle relate comment Anani Ségué-n’Di, un nom qui reviendra plus tard dans son célébrissime roman “ C’était à Tigony ”, l’un des jeunes Noirs, a pu s’informer voire s’éclairer sur la Franc-maçonnerie dont font partie en secret de grandes personnes, et même des hommes de Dieu.
Et comme en union thématique avec la précédente en matière d’initiation, «Òní lòní jé» livre récit, et ce à la première du singulier, de la cérémonie d’initiation d’un jeune Noir au cercle des initiés et son immersion dans l’univers des forces surnaturelles, caractéristiques de l’Afrique. Sans mentionner le nom du narrateur, le récit caricature Kofi et se révèle comme suite logique de sa réminiscence dans «Le vagabond».
Ensuite «La conférence de Berlin», semblable à «Funmilayo», qui rend compte de la deuxième aventure amoureuse de l’œuvre. Le jeune Noir Alihonou Anikokou, passionné de son métier et rompu à la tâche, parti de Djên’Kêdjê, après rupture avec quatre “fiancées” qui l’avaient fui à cause de tout le temps qu’il accorde à sa passion, fera la rencontre de Miléna, une Allemande à l’occasion de son séjour à Berlin pour une “Conférence internationale de psychanalystes”. Cependant, leur belle relation amoureuse ne demeure pas plus qu’une idylle.
Rejoignant «Le vagabond» en matière d’ostracisme, «Sacrifice au soleil de midi» traite du phénomène qui ne manque pas quand se côtoient plusieurs couleurs de peau : le racisme cru. En effet, un jeune Noir, Kwamé Guidiglo à la recherche de studios pour étudiant se heurte aux fins de non recevoir de plusieurs propriétaires de Rienville qui, pourtant, disposaient de locaux libres chez eux. Son péché : il était trop foncé, pour éviter de dire qu’il est noir. Et ne serait pas Humain un Noir ; «Eh bien ! Sincèrement je ne comprends pas qu’un être humain puisse être noir ; pour moi, un Noir est une aberration de la nature» (P. 227)
Le paradoxe dans l’histoire, c’est que Mme Penisset, une Blanche mariée, tombe amoureuse de ce même Noir rejeté au point à lui rendre la vie difficile chez les seuls qui vont finalement l’accepter chez eux : il se verra jeté au dehors à nouveau. Et il nourrira la folle envie d’offrir cette dernière en Sacrifice au Soleil de Midi comme c’était le cas pour les femmes adultères en Afrique.
Et comme une conclusion vient la dernière nouvelle, «Mme Vénihale» qui expose l’histoire de cette dame qui, ayant perdu son mari à la guerre, et dont elle a volontairement avorté l’enfant pour n’avoir pas joui des plaisirs de l’acte sexuel, explore son propre passé marqué par des déboires et traumatismes conjugaux. Et dans sa quête de guérison pour son mal-être, elle rencontrera Kouglo, un Africain qui inspirera une lueur d’espoir.
La particularité de cette nouvelle se veut être l’idée de l’auteur selon laquelle l’Occident ne saurait se passer du Monde Noir sur n’importe quel plan que ce soit, bien que pour l’Occidental « dire qu’un Noir est un être humain serait une aberration. »
L’œuvre en soi, presque un roman puisque traversée d’une impressionnante unité thématique, d’abord replonge le lecteur, surtout Africain, dans les tréfonds de la culture noire, quant aux forces surnaturelles et aux réalités mystiques que regorge le continent ébène, avant de braquer le projecteur sur l’Occident comme pour rappeler cette valeur africaine qui veut que l’on fasse référence et révérence aux anciens avant d’entreprendre quoi que ce soit. Toutefois, fidèle aux aspirations de son auteur, l’œuvre empreinte du style “quenumiste”, ne loupe aucune tare ni de l’Afrique ni de l’Europe. Ainsi, elle met en scène Noirs et Blancs dans plusieurs contextes sociaux pour dénoncer Racisme, Crises psycho-sexuelles qui minent l’Occident, et le désir opiniâtre des jeunes Africains qui pensent que le bonheur ne se trouve que chez l’Homme Blanc.
Mon coup de cœur pour l’œuvre est d’abord l’originalité sans pareille dont fait montre l’auteur à chaque fois qu’il lui est question d’écrire, et son opiniâtreté à faire passer le message que porte son cœur. Ensuite, il est agréable le lire dans ses œuvres. “La Naissance d’Abikou”, dont la publication a pourtant fait l’objet de refus des maisons d’édition, a par exemple la particularité d’arracher le sourire à chaque page en même temps que de faire réfléchir ceux que je pourrais nommer “les grands esprits”. Et c’est le lieu de féliciter les EDITIONS PHOENIX AFRIQUE qui ont cru au projet de l’auteur en sauvant de la perte et de l’oubli ces perles que constituent les textes rassemblés dans ce recueil.
Kpossi Codjo Paterne HOUNKPE, est né le 15 Avril 1996 à Bopa et y a fait ses études primaires. Après les études secondaires au CEG BOPA et dans les séminaires d’ADJATOKPA et de PARAKOU, il poursuit actuellement ses études en Administration Générale à l’ENAM, à l’Université d’Abomey-Calavi. En plus d’être passionné de l’art écrit, il est aussi un amoureux de l’art musical.
Merci à toi Paterne pour la fidélité dans la restitution du contenu de l’oeuvre de l’un des plus brillants écrivains béninois. Courage à toi tu nous inspire.
Merci à toi Paterne pour la fidélité dans la restitution du contenu de l’oeuvre de l’un des plus brillants écrivains béninois. Courage à toi tu nous inspires.