Le débat sur le statut de la femme défrayera toujours la chronique. Que ce soit en Afrique dite traditionnelle ou dans les aires culturelles où l’émancipation de la femme a posé la problématique de l’égalité homme-femme en la résolvant par l’inclination vers la « mêmeté », parler de la femme n’a jamais été une entreprise aisée. Avec Doguicimi, le tout premier roman historique qu’ait écrit un Africain, Paul HAZOUME, déjà en 1938, entendait reposer le problème de la nature foncière de la femme en donnant la parole à Doguicimi, une Nyonu Xwesi, qui devra, au nom de toutes les siennes, prouver aux quatre vents que les femmes ne méritent pas les mépris dont un certain phallocentrisme s’emploie à les abreuver. Avec L’Aventure Ambiguë, Une si longue lettre, Sous l’orage, Le Lion et La Perle, Les Bouts de bois de Dieu et Les Tresseurs de corde, et aussi d’autres romans négroafricains, le débat sur la nature et le statut de la femme a oscillé entre fidélité à l’éducation traditionnelle et l’ouverture aux nouvelles idées.
Si Maman Téné incarne en elle les deux figures de la femme traditionaliste et celle aspirant à ce qu’on a appelé modernité entendue comme émancipation, Ramatoulaye de Mariama BA est demeurée dans « Une si longue lettre » dans la peau de la femme résignée, l’intellectuelle qui préfère subir au lieu de montrer ses muscles, contrairement à Aïssatou qui n’a pas hésité à claquer la porte : « Mawdo (…) Je me dépouille de ton amour, de ton nom. Vêtue du seul habit valable de la dignité, je poursuis ma route. Adieu. Aïssatou« . Et comme on le voit dans le livre, Aïssatou a émigré vers les USA, symbolisme fort de la terre de liberté. Par ailleurs, bien que tout autant jeune qu’elles, Sidi (Le lion et la perle), de par sa vision du monde, tranche avec Rama (Une si longue lettre) et Kany (Sous l’orage). On peut l’expliquer par le fait qu’elle n’a jamais été à l’école. Mais paradoxalement, Cheick Hamidou KANE met en scène une grande révolutionnaire qui, tout comme Sidi, n’a jamais connu le chemin de l’école des blancs : La Grande Royale, progressiste pure et dure, personnalité forte et imposante. De Doguicimi à elle, il y a comme ce courant qui charrie la persévérance et la ténacité pour relever les nombreux défis longtemps lancés à la gent féminine. Sur un autre plan, Sembène Ousmane dans Les Bouts de bois de Dieu, fait une œuvre merveilleuse en rendant dépendante de l’implication des femmes dans le combat, la victoire finale de la grève des cheminots. Que ce soit Penda, la femme de mauvaise vie, ou Maïmouna, l’aveugle, l’auteur a sublimé les déficiences morales et physiques des femmes par leur hargne à réussir là les où hommes les croient incapables. On se souviendra aussi de la conversion spectaculaire de N’Deyé Touti qui, au grand étonnement de tous, se dévêt de ses oripeaux de jeune fille émancipée pour rentrer dans l’horizon interne de son être d’africaine.
Mais à côté de ces dernières, il y a deux figures lumineuses, discrètes mais très efficaces que les auteurs ont peintes comme des icônes de l’autre âge qui vieillit mais qui veille toujours. Il veille en effet à ce que les yeux d’aujourd’hui ne soient trop gros pour être incapables de voir ce qui les dessille et les rend aptes à voir ce que demain ils auront à faire voir à ceux qui viendront après eux. Qu’elles se nomment Niakoro Cissé ou Ya Baké, elles n’ont jamais manqué d’être fières de leur statut de femmes au foyer, ménagères et maîtresses de maison. Sembène Ousmane le corrobore en ces termes : « Mais ce vieux visage avait gardé le souvenir de ceux qui arrivent au terme d’une vie de sagesse et de labeur« . Cette même sagesse émane des propos de Ya Baké qui depuis le décès de son mari s’est escrimée à éduquer et élever ses enfants. La femme ménagère, respectueuse de son corps et de la vie que la Vie fait germer en elle, telle est l’image qu’on garde de ces deux héroïnes.
Femmes au foyer, Nyonu Xwesi, elles étaient fières d’avoir aidé à pétrir la glaise d’éducation donnée à leurs progénitures. Ya Baké était fière de Boni et Myriam comme Nyakoro l’était de son Bakayoko. Sans avoir jamais été à l’école, dans la discrétion et la dignité, elles ont transmis aux fruits de leurs entrailles la sève qu’aucune autre école n’a jamais pu leur inoculer. Il y a cette approche de la dignité de la femme au foyer (on n’a aucune raison d’être contre les autres femmes) chez Marguérite Yourcenar, grande intellectuelle, mais toujours restée égale à elle-même, qui se sent « gênée » par cette tendance revendicatrice qui fait croire que les femmes n’existent qu’en se dressant contre les hommes et que les deux sexes pourraient faire la même chose : l’anatomie et la physiologie sont têtues, la « mêmeté » est une absurdité. Rivaliser avec les hommes (sur le plan physique, professionnel) ou pousser l’amour-propre et la préservation de sa beauté au seuil de l’idolâtrie du corps, au point de refuser à l’enfant le droit à la naissance par exemple, est abject.
Comme on peut le remarquer, la femme est un trésor qui n’a pas besoin de la reconnaissance des hommes pour continuer de briller dans la société comme astre de renouveau. Que l’on soit contre la grammaire qui enseigne que le masculin l’emporte sur le féminin et y voir un machisme sauvage, les femmes au foyer, loin d’être taxées de vivre en marge des luttes pour la libération des femmes, s’imposent a contrario comme la pierre angulaire de la construction de l’humain en chacun de nous, conscientes de ce que la société sera ce qu’elles auront semé en leurs enfants.
Destin Mahulolo
Bravo cher Destin. Cet éditorial est un microscope. Vous avez su lier les personnages des différentes oeuvres citées. Merci
Femme au foyer et fière ! Bonne fête à elles !
Bravo ! Merci pour l’éditorial. Un pur régal.