I- Panorama
A l’heure où les esprits sont assiégés par cette question légitimement angoissante : « Est-ce qu’on écrit encore au Bénin ? Si oui, qu’écrit-on réellement? », voici que Charbel NOUTAÏ, avec la hache de sa plume flamboyante, entre nuitamment dans la forêt « classique » des us et coutumes du pays dit berceau du vaudoun. Qu’y vient-il chercher en faisant habiter dans l’unique corps et dans le seul petit cœur de Dora son amour intense pour l’Abbé Steve et son allégeance à la divinité Dan dont la jalousie et la possessivité sont sans limite? Quel arbre veut-il démolir à la fin? De toute façon, on ne touche pas au beignet sans en avoir les mains tachées d’huile. Ce Charbel qui, dirait-on, a l’art de torturer ses personnages par des tourments indescriptibles (en témoigne Joan in La Magnamania) entend faire comprendre les liens incompatibles qu’il prévoit nouer entre Dora, l’Abbé Steve, Magnus, Dan et Bénitez. Ainsi, après plusieurs exploits, il signe à la grande satisfaction du Jury du Concours Littéraire Plumes Dorées Edition 2016, « Les oiseaux ne meurent pas la nuit » (Editions Plurielles, Cotonou, 2017, 350 pages). Ce nouveau-né au nom révélateur est un tribut de reconnaissance ou de déconstruction inconsciemment ou implicitement rendu à un autre chef-d’œuvre « Les oiseaux se cachent pour mourir. ». Point n’est besoin de rappeler que ce dernier ouvrage produisit naguère un bigbang et une grande commotion dans le rang des lecteurs, et se voulut sinon une remise en cause du moins une interpellation au niveau du clergé. Et à y voir de près, il y a beaucoup de similitudes entre l’auteur de « Les oiseaux ne meurent pas la nuit » et le Père Ralph (Cardinal) du livre: « Les oiseuax se cachent pour mourir ». Comme on le voit aux diverses embouchures de l’œuvre, du Père Ralph à l’Abbé Stève, un même combat est livré, orienté vers la fidélité à leurs vœux de chasteté et de célibat. Mais si le première a franchement franchi le pas au point de se donner un descendant, un fait dont il ne se rendra compte que bien plus tard, le dernier, vers la fin du livre était dans une situation de nolens volens, un no mans’s land des sentiments brumeux et enflammés au contact de ceux encore plus brûlants et même incandescents d’une certaine Dora dont l’auteur dit, dès les premières lignes du livre ceci : « Dora était adorable. (…) Un sucre d’amour.» (p13). Quand on aura fini de se faire une idée du contenu de l’œuvre aux travers des lignes, on demeurera interrogatif et même songeur, car ainsi lâché, le titre « Les oiseaux ne meurent pas la nuit » sous-entend qu’ils ne meurent que le jour. Mais alors, qu’est-ce qui, pendant le jour, leur est autant fatal ? Et qu’est-ce qui, la nuit durant, leur assure sécurité, vitalité, paix et vie ? Y répondre, c’est aussi se demander : « De quels oiseaux s’agit-il ? Et de quelle nuit l’auteur parle-t-il ? »
II- Au travers des lignes
Un couple privé pendant longtemps de la joie d’accueillir un enfant, se voit enfin exaucé. Une fille leur est née, une fleur leur est donnée. Ils l’appellent Dora. Dora est une bénédiction. Enfant unique. Belle au-delà de toute description. Gracieuse et pétillante de vie. Après quelques accrocs sentimentaux, elle tombe sur Magnus. Rencontre fortuite mais féconde à une cérémonie qui lie la belle Dora, agent de banque et Magnus, policier, pour un sort qui va de l’extase au drame, et même au mélodrame en passant par la plénitude de l’amour épanoui dans un mariage pompeux mais qui s’évanouit peu à peu comme dans un decrescendo langoureux, parce que le couple est resté sans enfant. Un couple soumis à tous les coups de vents même avant le mariage. Dora fait des crises devant lesquelles la médecine professe son incompétence. Le Fâ révèle qu’elle était déjà promise à la divinité Dan, antepartum. Elle devient Sèwa. Devant son mal, ses parents mettent entre de rigides et infrangibles parenthèses les thèses de leur foi de catholiques jadis convaincus mais à présent vaincus par les affres du mal dans la vie de Dora. L’initiation réussit. Dora recouvre la pleine forme. Magnus, malgré lui accepte de partager Dora avec Dan. Dora est restaurée, bombardée chef d’Agence. La vie sourit à Dora, le bonheur l’inonde de délices. Cependant, le couple souffre de n’avoir pas d’enfant. Les analyses médicales confirment que Dora est en bonne santé, et que sous peu un enfant viendra sceller in aeternum cet amour édénique qui les lie. Dans cette vie de grisaille faite d’incertitude et de monotonie, Magnus annonce à son épouse la prochaine visite d’Orphée, une amie canadienne qu’il avait jadis rencontrée en ligne. Le couple est heureux de recevoir l’illustre hôte. Magnus lui fait faire le tour du Bénin. Neuf mois plus tard, comme de l’Annonciation à la Nativité (de Mars à Décembre), elle annonce à son ami une nouvelle renversante qui a la puissance d’une bombe nucléaire : « Je dois te dire Magnus qu’après mon départ, j’ai réalisé que j’étais enceinte de toi. (…) Voici notre enfant. Il y a une semaine qu’il est né. Je l’ai nommé Noah » (Pp 197.198). La paternité que la vie refuse à Magnus en tant qu’époux de Dora, un concours de circonstance la lui attribue dans son union avec Ophée qu’il finit par rejoindre au Canada en laissant Dora dans une solitude infernale qui la conduit au bord de la dépression. Mais, il y a toujours l’abbé Steve pour l’écouter. Ainsi, Dora continue de se confier et de se fier à lui. Bénitez, un richissime homme d’affaire, futé et réputé, un spécimen rare au physique peu reluisant, s’invite dans la vie de Dora comme par effraction. Comme elle, il est lui aussi célibataire sans enfant. Tous deux sont liés par un pacte avec le vaudoun Dan. Les deux solitudes devraient pouvoir alors se mettre ensemble. Mais Dora résiste. L’abbé Steve lui conseille d’accepter cet amour fumant et croustillant de Bénitez. Devant les réticences et les raidissements de Dora, Bénitez recourt aux subterfuges de son gourou et soudoie le cuisinier de Dora qu’il convainc à coup de millions de répandre dans la nourriture de sa maîtresse, quelques gouttes d’un philtre exceptionnel que lui a remis le gourou. A l’heure du repas, l’abbé Steve survient à l’improviste et suggère, puis contraint le cuisinier à s’attabler avec eux. Son refus éveille des soupçons. Il passe aux aveux. La justice intervient. Le cuisinier, le gourou et Bénitez sont gentiment admis à faire valoir leur cynisme derrière les barreaux. L’amitié entre Dora et l’abbé Steve gagne en intensité, en densité et aussi en dangerosité. L’abbé tient à son célibat, Dora voit en lui l’époux parfait et brise la glace en passant aux aveux : « Fais-moi un enfant ». La suite est assez épique et épicée : frissons, suspenses, renversements, bouleversements… Il faut simplement la lire par soi-même.
III- Croisements
Dans le roman « Les oiseaux ne meurent pas la nuit » Charbel NOUTAÏ entend réaliser une œuvre où se côtoient une infinité de thématiques bâties autour de l’amour, de la trahison et de l’influence des forces occultes dans la vie de ceux qui les sollicitent. Comme habité par le rêve de Babel, l’auteur tend à une unification, une uniformisation de ces thématiques. Mais quelques grésillements et grincements semblent compromettre son projet : l’amour entre Dora et l’abbé Steve s’invite sur le terrain du permis et du défendu avec toute la casuistique qui l’entoure. Aussi, le pouvoir de l’argent et la virulence des appétits libidineux de Benitez obligent l’auteur à user de subterfuges pour faire du richissime homme d’affaire un corrupteur qui fait résonner dans la bouche de la divinité Dan les aboiements de son coeur transpercé par son amour pour Dora, « la perle rare » (p243).
L’œuvre est par ailleurs ponctuée de tortures psychologiques, morales et affectives que l’auteur inflige aux personnages. D’abord les parents de Dora qui ont attendu plusieurs années avant d’être père et mère, Dora ensuite dont la vie n’a été qu’une suite d’épreuves, un piège sans fin, et enfin Bénitez et l’abbé Steve dont le coeur et l’âme n’ont pas été moins transpercés que ceux de Dora. Si le premier a connu des jours et des nuits sans repos et sans sommeil parce que son coeur était troublé tant que Dora n’avait pas donné une suite favorable à sa demande, le second était sur la corde raide de son vœu de chasteté et recevait régulièrement en plein visage les uppercuts costauds des déclarations d’amour de Dora. Entre le marteau des sentiments de Dora à son endroit et des siens qui ont commencé par changer à l’égard de Dora, et l’enclume des interdits liés à son état de prêtre, l’abbé Stève, au for de son agonie dans le jardin des sentiments dévastateurs, a poussé un cri de déréliction: « Seigneur, délivre-moi de cet amour » (p 295). Le paradoxe sciemment créé et entretenu par Charbel NOUTAÏ, veut que Dora aime l’abbé Steve qui n’est pas disposé à accueillir cet amour, tandis qu’elle refuse les avances de Benitez qui était supposé pouvoir la combler. Mais à côté de ce tourment, l’auteur stigmatise le syncrétisme auquel des chrétiens recourent bien souvent aux heures troubles de leur vie de foi. C’est le cas des parents de Dora.
Le combat pour une certaine autonomie ontologique et identitaire, au-delà de ses souffrances, est demeuré pour Dora comme une obligation morale. Si de par son initiation elle est devenue Sèwa comme Cica renommée Dansi dans « Presqu’une vie » de Carmen TOUDONOU, Dora a toujours lutté pour être elle-même : pouvoir donner un sens à sa vie à travers son auto prise en charge financière, à ses sentiments à travers sa déclaration d’amour à l’abbé Steve et toutes les garanties qu’elle prend pour que cet amour puisse s’épanouir.
IV- Coup de cœur
Nous recommandons ce livre pour sa densité et la pertinence avec laquelle l’auteur a abordé les thématiques qu’il contient. Nous le recommandons aussi pour la qualité du style et la profondeur des pensées et idées qui s’y trouvent. On sera frappé par la musicalité du texte, la poésie dont l’œuvre est empreinte et l’élégance des constructions phraséologiques. Le génie de l’auteur réside aussi dans son art à pouvoir faire cohabiter dans le cœur de Dora tant de sentiments contradictoires et d’éléments incompatibles : Dan et l’abbé Steve par exemple. En promenant la hache de sa plume hardie dans les arcanes du Voudoun et les méandres du sacerdoce, il plante le décor d’une société aux prises avec ses traditions et le christianisme. La nuit tombe alors sur les consciences et le jour des décisions se lève pour que chacun se positionne par rapport à ses propres convictions. Dora et l’abbé Steve sont les oiseaux que la nuit des interdits ne saurait tuer. Se cacheront-ils pour mourir?…
Destin Mahulolo
Une présentation lumineuse et exquise qui ne peut laisser indifférent tout amoureux des belles lettres.
Plein succès à ce chef-d’oeuvre.
Merci Monsieur AHOUANSOU pour votre intérêt à cette publication. Le livre vaut encore quelque chose au Bénin.
Un beau livre qui ne fatigue pas les yeux. Félicitations à l’auteur et à l’éditeur
Une étude très détaillée. Grand travail.
Je lirai le livre dans les prochains jours, je reviendrai dire mon impression. Les lecteurs ne dorment pas la nuit.
Salut frère Désy Ray. Merci de nous revenir après avoir lu l’oeuvre. Les lecteurs ne dorment pas d’ennui
Merci frère De la Montagne. Reviens vite pour le débat autour du livre de Charbel
Je me tais. Mais je ne peux pas rester longtemps silencieux face à ce chef-d’œuvre. Bravo !
Salut, Mauricius Deum. L’aventure livresque continue… Jusqu’au seuil de l’ivresse
Merci cher Maucius Deum. On est ensemble.