« Pétales de sang » NGUGI WA THIONG’O

« Pétales de sang » NGUGI WA THIONG’O

« Ceux qui ont montré à l’Afrique et au monde la voie de la dignité de l’homme et de la rédemption des Noirs, que vont-ils faire de la bête ? Eux qui ont lavé leur lance dans le sang du profiteur blanc, dans le sang de tous ceux qui les avaient mis sous le joug pour servir le monstre d’or et d’argent, quelle danse vont-ils à leur tour danser dans l’arène ? » (P. 231). 

Introduction

Dans les années 60, un vent souffla en général sur les pays colonisés de l’Afrique. Un vent qui portait en lui le désir, longtemps réprimé, de liberté, d’autonomie et d’indépendance de ces pays. Pour parvenir à cet idéal, plusieurs luttes ont été menées soit par la grève ou par les armes. L’accès à l’indépendance fut pour certain dans un cadre pacifique tandis que pour la majorité, ce fut  à travers les diverses révoltes visant à dire non aux gaspillages des biens de l’Afrique, à la suprématie de l’autorité coloniale et aux diverses exactions. Ces années ont été aussi témoin du surgissement de plusieurs mouvements patriotiques visant une libération effective et totale puis une gestion juste et réelle des biens du peuple. L’attente dans la fièvre et l’exaltation de ces indépendances considérées comme le seul et véritable moyen de sortir de ce goulot d’étranglement que constitue le système colonial, laissera place très tôt à une complète désillusion. C’est ce décor de démystification progressive que nous peint cette œuvre que nous allons découvrir dans ce livre « Pétales de sang » de  NGUGI WA THIONG’O.

1- Biobibliographie de l’auteur

Né le 5 janvier 1938 à Kamiriithu (non loin de Nairobi), une colonie du Kenya, Ngugiwa Thiong’o fréquenta dès son jeune âge l’école de la mission presbytérienne de l’Eglise d’Ecosse. En 1949, il fit son entrée dans l’école indépendante, religieuse et nationaliste, Karing’a. Ses prouesses au sein de cette école lui firent obtenir une bourse pour l’Alliance School, seul collège kényan à former des Africains. Il poursuit dès lors sa scolarité en anglais à une époque où la situation politique était en pleine déliquescence et que les voix s’élevaient contre le système colonial anglais en place. En 1962, Ngugi rejoint l’Ouganda et s’inscrit à l’université Makerere, seul établissement universitaire d’Afrique de l’Est de cette période. Il y dirige la revue Penpoint et se fait davantage connaître par sa première pièce intitulé L’Ermite noir. Son premier roman, Enfant, ne pleure pas (Weep not Child), est rédigé en 1962, à la veille de l’indépendance du Kenya. A travers cette œuvre, Ngugi a su montrer les tensions entre Blancs et Noirs, entre la culture africaine et l’influence européenne dans une période où l’insurrection contre l’autorité anglaise des MauMau battait son plein. Notons qu’il a adopté très tôt des positions radicales sur la politique néocoloniale de l’establishment kényan. Après son retour au Kenya, il devint journaliste pour le prestigieux hebdomadaire The Nation, avant de rejoindre l’université de Leeds au Royaume-Uni.  Il rédigea en cette période Et le blé jaillira, une célèbre œuvre qui lui vaudra son premier succès international.

Dès les années 1967, il enseigna successivement au Kenya puis en Ouganda. En 1971, il fit la publication d’un premier recueil d’essai, Rentrer chez soi (Homecoming) et de son roman Pétales de sang (Petals of Blood) en 1977. Il se consacre ensuite au théâtre avec Le procès de Dedan Kimathi (The trial of Dedan Kimathi en 1976) et Je me marierai quand je voudrai (NgaahikaNdeenda en 1977). Cette dernière pièce, jouée dans sa langue maternelle kikuyu devant un public populaire, dérange le pouvoir politique en place. Il fut alors arrêté en décembre 1977.

Son séjour d’un an en prison le transforma profondément. Il réécrit durant son incarcération en kikuyu Caithani Matharabani-ini (le diable sur la croix), une œuvre dans laquelle il détaille la déliquescence de son pays dirigé par des voyous et des profiteurs. Sa pièce suivante publiée en 1982, Maitu Njugira, est interdite de publication. Son dernier écrit en langue anglaise est Decolonishing the Mind (Pour décoloniser l’esprit). Ses romans sont dès lors rédigés uniquement en sa langue maternelle afin de toucher un plus large public.

Exilé à Londres, puis en Californie, Ngugi revient au Kenya le 31 juillet 2004 après 22 ans d’absence. Quelques jours après son retour, ils sont réveillés, sa femme et lui, par quatre agresseurs armés de revolvers, d’une machette et d’une cisaille. Sa femme est violée sous ses yeux. Ngugi qui essaye de se défendre est frappé et brûlé au visage. Les malfaiteurs sont arrêtés quelques jours plus tard er traînés en justice. Notons qu’il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Murogiwa Kagogo (sorcier du corbeau), le livre le plus long jamais composé dans une langue de l’Afrique subsaharienne.

2- Résumé de l’œuvre

« Pétales de sang » est un roman qui nous fait découvrir un village du nom d’Ilmorog dans un coin reculé du Kenya d’après les indépendances. Un triple meurtre sur des personnalités illustres de la zone constitue la trame de fond. Quatre personnes impliquées : Munira, enseignant à l’école primaire d’Ilmorog, Ville-Nouvelle; Abdulla, estropié et commerçant ; Wanja, jeune femme péripatéticienne et Karega, syndicaliste luttant pour une juste considération de la classe ouvrière ainsi qu’une bonne rémunération. Quel lien pouvait unir ces hommes apparemment au destin opposé et qui recherchaient tous un endroit paisible et accueillant pour fuir leur passé pas toujours reluisant ?

Envoyé comme instituteur depuis une douzaine d’année, Munira travailla au réaménagement de l’école qui gisait dans un total état de délabrement dont il devint directeur. Amant de la belle Wanja, il fut vite remplacé par Karega, instituteur sous sa direction. Munira fit la rencontre d’Abdulla un estropié venu refaire sa vie dans ce coin en ouvrant une boutique. Lieu de rencontre, cette boutique vit défiler les fermiers et les bergers qui s’épanchaient surtout sur la question de l’alternance heureuse ou malheureuse de la saison.

La vie routinière de ce village sera menacée par une longue sécheresse qui poussa les villageois à décider de visiter leur député en ville afin de lui faire part des maux qui les minaient. Un voyage incertain avec ses péripéties. Ce voyage fit comprendre à ces hommes souvent loin des mégapoles que la vie a toute une autre conception dans la ville. Vivant souvent unis et se battant pour le bien-être de tous, ils ont dû faire face à la recherche du bien-être de soi, à la méchanceté gratuite et à la mesquinerie des hommes politiques. Dépités, trahis par leur député qui ne voyait que ruse et stratège de ses adversaires pour l’évincer, ils retournèrent chez eux finalement avec des promesses de celui-ci. Tout changea désormais. L’avènement de la civilisation introduite dans cette zone reculée apporta avec elle ses maux. De nouvelles constructions surgirent comme de nouveaux projets. Le plus marquant fut celui de l’aménagement d’une voie transafricaine qui devrait apporter avec elle le développement du village. Des banques, des églises et des prisons virent également jour. Les villageois au nom du progrès furent conviés à adresser des demandes afin d’obtenir des emplacements à bâtir. Ceux qui n’y parvinrent pas, faute d’argent se voyaient retirer leurs maisons. Des prêts furent de même octroyés sans aucune explication sur les hypothèques mises sur les biens et leurs conséquences. Seuls Wanja et Abdulla purent s’en échapper à travers l’ouverture d’un établissement de distillerie d’une boisson locale : le Theng’eta. Les terres des nombreux villageois, dont Nyakinyua, la grand-mère de Wanja, qui avaient mordu à l’appât en faisant des emprunts furent mises en vente par adjudication. Wanja dut vendre une partie de son établissement pour racheter cette terre familiale pour y enterrer sa grand-mère morte dans les soucis de cette escroquerie. Mzigo, l’ancien inspecteur, devint le propriétaire de l’établissement puis un jour, Wanja apprit qu’elle avait perdu en vendant l’établissement son droit de production du Theng’eta. Sur un accord signé entre le conseil d’administration de la ville et les distilleries internationales, toute production du Theng’eta devait se faire avec la possession d’un brevet de fabrication. Par ironie du sort, ce sont ceux qui avaient trahis le pays lors des luttes à l’accès de l’indépendance qui devraient en bénéficier. Il s’agissait notamment de Kimeria qui avait fait fortune comme Garde civil en transportant les cadavres des Mau-Mau tués par les Anglais, de Chui et de Mzigo. Ces ennemis jurés de Wanja allaient profiter du nouvel essor d’Ilmorog. C’est ainsi que Wanja a compris qu’il fallait manger ou être mangée dans cette société où la raison du plus fort est et demeure toujours la meilleure. Elle fit construire une belle villa pour y entreprendre la prostitution. Elle réussit à séduire ces trois géants de l’industrie et à les avoir sous sa couche. Elle entreprit de les accueillir tous un soir, en les enfermant chacun dans une chambre afin de les exécuter en mettant du feu à la maison. Elle fut surprise durant le temps nécessaire à l’accomplissement de son projet du grand incendie qui la prit au piège ainsi que les trois autres. Elle faillit y laisser sa vie si Abdulla ne vint la secourir, mais les trois autres enfermés déjà ne furent que carbonisés. Les enquêtes révèleront plus tard que le feu avait été mis par Munira dans l’intention de sauver Karega de l’attrait diabolique de Wanja. Munira fut enfermé, Wanjare lâchée. Abdulla décida de prendre en mariage Wanja et de former avec elle une nouvelle famille.

3- Structure de l’œuvre

Le livre « Pétales de sang«  est réparti en quatre grandes parties étendu sur vingt-trois chapitres. La première partie intitulée « La marche » s’étend de la page 9 à 171 et comporte les cinq premiers chapitres puis une petite portion du sixième. Dans cette première partie, l’auteur présente en particulier les divers personnages ainsi que leur vie et la grande sécheresse qui poussera les villageois à entreprendre sous l’égide de Karega la marche pour rejoindre leur député en ville. Une marche qu’il nommera « Vers Bethleem » car elle constitue l’espoir de tout un village désabusé et délaissé vers le député qui constitue pour eux l’unique messie. La deuxième partie placée donc sous le signe de l’espoir, s’étend de la page 173 à 265 et n’est qu’une suite du sixième chapitre. Cette partie relate le périlleux voyage des villageois, le rejet de leur député, l’aide apporté par un avocat et puis la cohorte de promesses du député pour se sauver la face. La troisième partie, nommée « Naissance » s’échelonne sur la page 267 à la page 362. Cette partie, allant du chapitre sept au dixième,fait état du regain d’espoir apporté par la pluie au sein du village. De même l’amour désormais partagé entre Karega et Wanja semblait effacer les vielles blessures de ces deux amoureux tout en faisant naître la jalousie chez son ancien amant Munira. La quatrième partie qui représente la dernière s’étend de la page 365 à la page 476 et regroupe le chapitre onze jusqu’au vingt-troisième chapitre. Elle s’intitule « De nouveau… La lutte continua ! … » et montre comment l’avènement de la civilisation a pu bouleverser les mœurs du village apportant avec lui ses problèmes et difficultés. Une lutte pour survivre devient encore nécessaire, une lutte non plus contre les forces de la nature mais contre les dirigeants avides de la nation. Lutte perpétuelle où seul ceux qui se battent et ne s’abandonnent point à la fatalité du destin subsistent. Dans cette lutte point d’appréhension ou de sentimentalisme : « il faut manger ou être mangé » (P. 407)

4- Les personnages

Nous avons dans cette œuvre quatre personnages très important dans le déroulement de l’histoire.

Munira : Homme de Dieu et enseignant à l’école primaire d’Ilmorog Ville-Nouvelle, il est amant de Wanja. Homme qui se laisse mener par les événements et qui refuse de prendre son histoire en main. Il symbolise la majorité de la population qui s’abandonne au destin espérant la venue d’un dirigeant meilleur.

Wanja : Belle femme et péripatéticienne, elle fut amant de Munira et de Karega. Elle est souvent présentée comme une victime du destin et de l’amour. Contrairement à Munira elle sait parfois faire face au destin en apprenant des expériences passées. Elle est aussi intelligente et possède l’art du commerce. Elle symbolise le peuple découragé des nombreuses exactions des dirigeants et qui se forme finalement une carapace pour ne plus subir mais profiter du système en place. Elle est ici ce qu’est Chaïdana dans « La vie et demie » de Sony Labou Tansi.

Abdulla : Estropié et petit commerçant. Il est un survivant mutilé des résistances Mau-Mau pour l’acquisition de l’indépendance. Ses nombreuses connaissances aideront le village surtout lors du voyage pour la ville. Sa boutique aussi constituera un lieu de rencontre pour les villageois. Il représente les laissés pour compte, ceux qui ont donné leur vie pour la libération des pays mais qui ne sont pas reconnus et gratifiés en retour.

Karega : Jeune, employé comme instituteur par Munira il sait prendre surtout des décisions osées. Homme capable de faire face au destin et d’écrire sa propre histoire il devint très vite l’amant de Wanja. Il prend assez les devants des situations et est le chef des syndicalistes. Il représente la petite partie du peuple qui croit en un monde juste et meilleur et qu’il faudrait construire au prix du sang et de la révolte.

Quelques personnages secondaires :

Nyakinyua : Vielle femme, grand-mère de Wanja elle est la gardienne de la tradition. Femme qui sait parler avec sagesse, elle est fortement attachée aux valeurs et richesses traditionnelles. Elle est présente dans la majeure partie de l’œuvre et aide souvent à remonter le moral aux jeunes.

Joseph : D’abord pris comme employé à la boutique d’Abdulla, il sera envoyé à l’école par l’intercession de Wanja. Jeune garçon très studieux et intelligent, il faillit perdre la vie lors du long voyage vers la ville.

Ndéri Wa Riera : Député d’Ilmorog, ancien combattant de la liberté et ancien défenseur virulent des causes populistes telles que le principe de la limitation de l’acquisition des terres, la nationalisation des industries de base et des entreprises commerciales. Corrompu et attiré par les nombreuses offres de postes, il change vite de camp et de combat.

L’avocat : Ami de Wanja, il est un homme simple et compatissant. Il reçut chez lui la délégation des villageois lors de leur visite en ville. Il défendra la cause de ceux-ci au tribunal et permettra alors de faire connaitre la situation dégradante du village aux médias. Il payera cette aide par son assassinat piloté par le député Ndéri.

Chui : Educateur et homme d’affaires. Jeune homme très intelligent, promotionnaire de Munira. Il a été instigateur d’une révolte au collège qui leur coûta le renvoi. Il eut un parcours brillant dans divers pays européens. Jadis ardeur défenseur de l’africanisme son contact avec la culture européenne ne laissa qu’un homme entièrement tournée vers l’extérieur. Homme à la solde des colons et copiant leur manière de vivre il symbolise ceux qui deviennent extravertis et perdent toute identité au contact du monde occidental.

Mzigo : Educateur devenu homme d’affaire. Il est celui qui a envoyé Munira comme instituteur à Ilmorog.

Hawkins Kimeria : Chevalier d’industrie, il a surtout marqué Wanja dans sa jeunesse par sa méchanceté.

4- La thématique

A travers cette œuvre « Pétales de sang« , Ngugi s’appesantit sur la thématique de la gestion postcoloniale des pays africains par les africains eux-mêmes. Il repose une question essentielle qui traverse tout le livre : « Est-il juste que ce qui a été acheté au prix du sang de tout un peuple passe entre les mains de quelques-uns, simplement parce qu’ils ont de l’argent et des prêts bancaires ? » (P. 236). Les « Pétales de sang » désignant ainsi les combattants de la liberté qui ont su donner de leur vie pour relever le peuple en détresse et qui sont finalement laissés pour compte ou pire assassinés, cette œuvre voudrait être un appel fort aux africains pour l’émergence d’une nouvelle génération qui ne chercherait pas à copier les anciens colons mais à s’unir pour la réalisation de tous. Un appel à rompre implacablement avec toute forme de fortune édifiée sur le dos des pauvres. Il s’agit d’un procès contre les affres du néocolonialisme plus dangereux et avilissant que le système colonial. Une nouvelle dépendance qui sert l’intérêt des riches autochtones ainsi que de leurs associés étrangers.

5- Le contexte d’émergence la portée et l’actualité du livre

Les « Pétales de sang » émergent dans un contexte postcolonial au lendemain des indépendances pour un bilan de la gestion politiques du peuple par les dirigeants africains. Contrairement au Ghana et au Nigéria qui ont acquis leur indépendance par la négociation, dans les colonies de peuplement comme le Kenya, la décolonisation a été des plus difficiles. En effet en 1952, les Mau-Mau, membres d’une société secrète kikuyu, se sont révoltés contre les autorités et les colons britanniques. La révolte des Mau-Mau, qui dura quatre ans, a été violemment réprimée. Kenyatta est emprisonné pour complicité présumée avec les Mau-Mau. En 1960, l’Union Nationale Africaine du Kenya est fondée et Kenyatta prend la direction après sa libération, l’année suivante. Une conférence constitutionnelle prépare l’accession à l’indépendance, qui devient effective le 12 décembre 1963. Kenyatta, dont le parti a remporté les élections, devient président de la nouvelle République indépendante. Cette œuvre vient rappeler à ces combattants des idéaux nationalistes d’antan qui ont le pouvoir en main leur engagement premier : tout pour le bien-être et l’avancée du peuple. En raison des nombreuses violences, souffrances dont le peuple qu’ils prétendent servir affronte, Ngugi s’adresse aux dirigeants à travers les « Pétales de sang « pour leur faire entrevoir que : « Chaque fois que l’un de nous est humilié et bafoué, même le plus petit enfant, nous sommes tous bafoués et humiliés parce qu’il s’agit d’êtres humains » (P. 229).

De plus, la période postcoloniale a été marquée par une mauvaise gestion des ressources en général. Les biens du peuple étaient confisqués par une minorité qui vivait dans l’opulence tandis que la majorité peinait encore à se relever tout comme si l’indépendance n’avait rien apporté de bien. Les maux de la population s’allaient agrandissant : suppression des libertés, parti unique, corruption généralisée des fonctionnaires, fiscalité écrasante pour les plus pauvres (Les dessous de la Françafrique : les dossiers secrets de Monsieur X, éd. Nouveau Monde, Paris 2010, p. 177).

6- Critique du livre

Les « Pétales de sang » de Ngugi est une œuvre qui frappe surtout par son caractère incisif et direct dans la prise de position face aux diverses malversations dont sont victimes les peuples africains. L’auteur a su dire sans ambages les maux qui minent l’Afrique en générale depuis l’accession à l’indépendance par l’entremise de ses dirigeants. La lecture de ce livre requiert une véritable attention de la part du lecteur durant ces 476 pages. L’auteur a eu le mérite de faire découvrir le Kenya aux lendemains des indépendances. Il emploie fréquemment des mots de sa langue (kikuyu) dans le texte et des chants ou extraits d’œuvre pour enrichir son texte. Grâce à ce roman, certains aspects de la lutte à l’accession des indépendances de la nation kenyane est dévoilée comme les batailles menées par les Mau-Mau.

Toutefois, nous reprochons à Ngugi de n’avoir pas mis au début de son livre les personnages qui interviendront au sein du livre pour faciliter la compréhension au lecteur. Parfois pour mieux appréhender une partie, il devient nécessaire de revenir complètement en arrière afin de relire certaines parties.

Conclusion

Le parcours accompli avec Ngugi dans son oeuvre Pétales de sang, porte nos regards sur les acquis des indépendances et nous invite à une introspection sur la gestion que nous faisions de ces acquis. La véritable indépendance reste à conquérir car le peuple demeure encore sous le joug d’une nouvelle forme de colonisation : le Néocolonialisme. Une lutte nouvelle de chaque jour à entreprendre par tous et dans tous les domaines pour une réelle authenticité africaine. Qu’allons-nous faire à notre tour du pouvoir ? Brimer le peuple ou le libérer de ses servitudes ? Ce sont ces interrogations que partageait aussi l’avocat, présenté comme l’un des rares intellectuelles du livre encore capable d’humanité : « Ceux qui ont montré à l’Afrique et au monde la voie de la dignité de l’homme et de la rédemption des Noirs, que vont-ils faire de la bête ? Eux qui ont lavé leur lance dans le sang du profiteur blanc, dans le sang de tous ceux qui les avaient mis sous le joug pour servir le monstre d’or et d’argent, quelle danse vont-ils à leur tour danser dans l’arène ? » (P. 231). « Pétales de sang«  nous fait contempler l’Afrique au lendemain des indépendances précisément dans les années 60 et70. Partagé entre espoir, joie et interrogation, le peuple attendait impatiemment la gestion que feraient ses leaders du pays qu’ils ont su durement conquis. Loin d’être comme le peuple le rêvait, une gestion fondée sur la justice faite aux opprimés, un juste partage des gains, et la paix, ce fut exactement le contraire. Les nouveaux dirigeants furent plus despotes, corrompus et corrupteurs que les colons qu’ils avaient eux-mêmes délogés pour les mêmes motifs. C’est dans cet univers que l’auteur nous plonge, où la misère des uns contraste totalement avec la richesse des autres. Un pays où les paysans ainsi que les laissés pour compte de la résistance coloniale sont pillés et volés légalement par la nouvelle classe sociale bourgeoise issue de l’indépendance. Voracité, rapacité, gabegie financière, despotisme, népotisme, corruption, néocolonialisme, etc., tels sont les caractéristiques de ces nouveaux dirigeants qui brimaient leurs propres frères de race pour satisfaire leur besoin. Et face à une telle situation, il faut réagir. Ce combat est désormais un combat pour l’unité, à la relève de tous pour montrer à nouveau à « l’Afrique et au monde la voie de la dignité de l’homme et de la rédemption des Noirs » (P.231.)

Elisee Dah

Godwin Elisée DAH, est  en deuxième année de philosophie au Grand Séminaire saint Paul de Djimè. Il aime la musique et la littérature.

Quelques citations

  • « Enseigner est une vocation, un sacerdoce et, par là même, un bienfait pour l’âme » Pg 157
  • « Le travail de nos mains est la magie et la richesse qui changeront notre vie et mettront fin à toutes les famines de notre terre » Pg 167
  • « Quelques fois Dieu met la sagesse dans la bouche des enfants ; en vérité la sagesse n’est pas quelque chose qui s’achète » Pg 172
  • « Pour savoir où on se situe, il faut savoir d’où l’on vient » Pg 185
  • « Il est des fois où il n’y a rien de grand dans le passé, des fois où l’on souhaiterait dissimuler le passé, même à soi-même » Pg 185
  • « L’obéissance est la voie royale de l’ordre et de la stabilité, la seule base saine d’une saine éducation » Pg 243
  • « Il y a des cas où une victoire est une défaite et une défaite une victoire » Pg 331

 

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