« Ne viens pas manger pas ton piment dans ma bouche » dit-on communément en Afrique. Alain Mabanckou déroge à cette règle en nous servant sur un plateau littéraire son « Petit piment» à la saveur africaine en général et congolaise en particulier. « Petit Piment», c’est une épice romanesque qui raconte l’histoire d’un orphelin dont le surnom sert de titre à l’ouvrage et qui durant sa vie n’aura pas connu le bonheur réel. Une enfance à l’orphelinat, une adolescence dans la rue et une bonne partie de sa période adulte en prison: voilà le curriculum vitae de notre héros. Il aura connu la solitude, le manque d’affection, la délinquance, la folie, la déchéance. Mais ce qui vous marquera dans son histoire, c’est sa résistance face à toute situation et son cœur tendre malgré son destin tourmenté.
Je vous invite donc à déguster ce « Petit Piment» fait de piquants, de choquants et, comme toujours avec Alain Mabanckou, de marrants. Dans cet ouvrage, vous découvrirez des prénoms longs et vertigineux comme (Tokumisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko) (page 11), des mots à vous couper la langue comme apopathodiaphulatophobie (page 50) , des surnoms délirants comme ( l’esprit Sein) ( page 135) et ( Tornade de minuit) ( page 165).
Préparez vos papilles gustatives littéraires, le « Petit Piment» sera chaud.
Thématiques abordées
La Révolution, un billet retour dans l’histoire.
La première partie de cet ouvrage se déroule à une période de l’histoire un peu inconnue de notre génération, celle des jeunes que nous sommes en majorité. C’est la période de la Révolution, du changement d’idéologie, du socialisme et de la croyance en ses propres capacités sans demander l’aide extérieure. Ce système marqua la plupart des pays ouest africains notamment le Congo où se déroule l’histoire mais aussi d’autres pays comme le Dahomey, actuel Bénin. Il fallait en ce moment prioriser le patriotisme et combattre, comme le dit un des personnages du roman, le directeur de l’orphelinat Dieudonné Ngoulmoumako, les « valets locaux de l’impérialisme » (page 30) c’est à dire ceux qui voulaient se comporter en rebelles de l’histoire en supportant toujours les anciens colons. Dans l’ouvrage, on évoque la création de certaines associations instituées par ce système comme l’Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise: UJSC (page 35).On y évoque aussi les réformes entraînées par cette révolution qui ont par exemple interdit au prêtre Papa Moupelo de venir évangéliser les enfants de l’orphelinat comme il le faisait auparavant puisque les dirigeants de cette époque considéraient que la religion était aussi un moyen d’asservissement et de domination du peuple.
Aujourd’hui, presque tous les pays ouest-africains sont démocratiques ou essayent un temps soit peu de l’être….et les traces de cette période révolutionnaire ne se retrouvent que dans la mémoire des anciens qui l’ont vécu et dans nos vieux livres d’histoire poussiéreux.
Les orphelins : les oubliés de la société.
Oui… les orphelins, qui s’en préoccupe? C’est à croire que du fait d’avoir perdu leurs parents, leur existence avait déjà connu un faux départ et que leur course vers le bonheur est vouée à l’échec. Les plus chanceux se retrouvent dans un orphelinat, les autres condamnés à errer dans la rue, mère de tous les vices. Même à l’orphelinat, tout n’est pas rose. Les mauvais traitements des surveillants, les querelles et coups fourrés entre enfants, les mauvaises conditions de vie et parfois la mauvaise éducation sont tant de réalités que l’on observe. C’est ce que Moïse alias « Petit Piment», le personnage principal de notre livre, aura vécu dans l’une de ces institutions à Loango.
Tourmenté d’un côté par les surveillants et le directeur et terrorisé d’un autre côté par certains de co-pensionnaires, il finira par s’évader de cette prison pour enfants indésirables. Mais la colère et la tristesse d’avoir laissé en s’évadant son meilleur ami Bonaventure Kokolo et Sabine Niangui, sa figure maternelle à l’orphelinat l’ont rongé pendant longtemps.
La délinquance juvénile : moyen de survie dans la rue.
La rue est une jungle où les plus forts survivent et les faibles périssent. C’est le carrefour de tous les vices notamment le vol. Pour des enfants orphelins sans attache, sans soutien et sans affection, la délinquance apparaît comme seule alternative. Ils sont nombreux à s’y adonner ne se doutant pas des répercussions que cela pourrait avoir sur eux dans l’avenir.
Doit-on les juger ? À chacun d’y répondre.
Dans cet ouvrage, Petit Piment a mené dans son adolescence une vie de bandit des rues après son évasion de l’orphelinat avec les jumeaux Songi Songi et Tala Tala qui étaient autrefois ses ennemis au point où il mis un jour du piment dans leur nourriture ce qui lui valut son surnom de Petit Piment. Une fois ensemble dans la rue, ce trio deviendra redoutable semant pendant un moment la terreur dans les rues de Pointe-Noire. Cette vie de brigands des rues entraîne aussi parfois des guerres de clans entre gangs rivaux comme le démontre dans le livre l’affrontement entre le gang de Petit Piment et celui d’un autre caïd qui se faisait appeler… Robin le terrible.
La prostitution : Vice ou alternative obligée pour certains ?
Certains disent de ce métier controversé et qu’il est le plus vieux du monde. Des qualificatifs des plus vulgaires, comme (putes) aux plus tendres comme ( belles de nuit) ou (filles de joie), on désigne ses praticiennes. L’auteur à travers cet ouvrage nous fait entrevoir une autre conception de la prostitution. Il nous fait remarquer que ce n’est pas toujours de gaieté de cœur que certaines femmes exercent ce travail. Certaines le font parce qu’elles n’ont pas d’autres choix, parce qu’il faut payer le loyer et vivre même s’il faut parfois pour cela sacrifier sa dignité. Vous découvrirez dans ce roman cet univers, ses vices et ses personnages qui ne sont pas toujours des démons. Vous apercevrez peut être d’une autre manière ce monde après avoir lu l’histoire de Maman Fiat 500, la seconde figure maternelle de Petit Piment dans l’ouvrage.
Le régionalisme et l’ethnocentrisme: deux plaies de l’Afrique.
Ces pratiques qui consistent à favoriser les personnes appartenant à la même culture, à la même région et à la même ethnie que soi, ne favorisent en aucun cas le développement de nos pays. Cela ne permet pas toujours de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Ces pratiques entraînent parfois des conflits ethniques à grande échelle et plongent les populations vivant déjà dans la misère dans des atrocités inhumaines. Dans l’ouvrage, l’auteur dénonce cette pratique à travers le comportement d’un personnage, le Directeur de l’orphelinat de Loango qui a nommé ses trois neveux comme surveillants de l’orphelinat et qui usa aussi de son pouvoir pour les faire intégrer dans l’Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise.
Analyse sur le style de l’auteur.
Alain Mabanckou n’est plus à présenter. Ses œuvres ont une renommée africaine et même internationale du fait de leur particularité et leur originalité dont lui seul a le secret.
Dans « Petit Piment», l’auteur, comme à son habitude, a abordé une kyrielle de thématiques se rapportant à l’Afrique. Ce qui ressort comme fait nouveau ici est qu’il s’intéresse de plus près aux enfants orphelins dont la question n’est pas toujours sous les feux des projecteurs dans le genre romanesque. Il a su dans un genre et un langage accessible à tous interpeller notre conscience collective sur ces êtres qui méritent aussi notre d’affection.
Les phrases dans ce roman sont parfois longues, le vocabulaire parfois technique avec des mots comme « encéphalopathie » (page 205) utilisé dans le jargon médical.
Les dialogues parfois sans queue ni tête reflètent bien souvent l’univers enfantin. Les figures de styles sont recherchées et les images traduisent avec génie les réalités souhaitées. La tonalité comique se retrouve dans ce livre à travers certaines discussions de Petit Piment. Notons aussi une touche de tonalité pathétique et tragique à la fin de l’ouvrage lorsque Petit Piment au bord de sa folie commettra l’inconcevable en tuant de ses propres mains un homme, ce qui le conduira directement en prison.
Ce destin tourmenté de Petit Piment vient confirmer l’habitude qu’a l’auteur, Alain Mabanckou, de créer tous les problèmes du monde à ses personnages principaux comme nous l’avions déjà remarqué avec ses précédents ouvrages comme « Verre Cassé » et « Mémoires de Porc-épic« .
« Petit Piment», c’est un ouvrage à portée humanitaire en général et plus précisément un plaidoyer littéraire pour la défense des droits des enfants dans le monde.
Conclusion
J’espère qu’au terme la dégustation, vous avez bien senti le piment de cette sauce romanesque à nous offerte par Alain Mabanckou. C’est un ouvrage qui nous invite à plus faire preuve d’humanisme et de générosité dans nos relations avec les enfants. C’est notre comportement à leur endroit qui fera d’eux demain soit des anges, soit des démons dans la société. Ils constituent les fleurs d’aujourd’hui et les fruits de demain: les arroser avec notre affection et les couver par notre protection est donc gage de leur croissance et de leur plein épanouissement pour des nations prospères et des continents développés.
Mais il faut noter, pour finir, le projet prophétique et programmatique de l’auteur sur Moïse, personnage principal du livre, en lien avec le Moïse de la Bible. Si ce dernier a accompli sa vocation de libérer les juifs de l’esclavage en Egypte, celui de notre livre pourra-t-il se targuer d’avoir accompli lui aussi sa mission? Si dans la Bible Moïse a défié Pharaon et ses armées, Petit Piment quant à lui pourra-t-il citer une action épique, sauf ses farces? Suffit-il de tuer le Maire de la ville pour libérer tout un peuple et se mettre dans la peau d’un héros? Mais ce qui est intéressant, c’est que justement, ce Maire tué par ce gringalet de Petit Piment, c’est le début d’une nouvelle ère, une nouvelle vie exactement comme ce fut le cas pour les juifs libérés du joug pharaonique. Et le comble, c’est que les deux Moïse ont en commun le destin de ceux qui ne bénéficient pas toujours des fruits de leurs combats. Moïse dans la Bible, n’a pas foulé de ses pieds la Terre Promise. Petit Piment lui non plus, ne verra pas de ses yeux Pointe-Noire libéré de son tyran. Il ne la contemplera que de sa prison.
Au-delà de cet échec apparent de Petit Piment dont on peut dire qu’il a raté sa vie, il faut comprendre le sens sacrificiel que Alain Mabanckou donne à la vie des héros: un héros n’est pas nécessairement celui qui bénéficie des fruits de ses combats mais qui se tue et se détruit pour la survie des autres. Le plus important ne sera jamais de brandir l’oriflamme de la victoire mais d’entrer dans la logique de la graine qui accepte de mourir dans l’espérance d’une moisson abondante. Et comme on peut s’en rendre compte, le mérite de Petit Piment, c’est de tuer une haute autorité du pays. C’est la preuve que les dictatures sont comme des colosses aux pieds d’argile: leurs jours sont comptés. Que l’auteur confie une si lourde mission à un gringalet comme Moïse, c’est comprendre combien il se moque des dictateurs qui sont comparables à ces géants éléphants qu’une petite fourmi peut terrasser. Il n’y a pas de petit combat, il n’y a pas de petite victoire. C’est la somme de toutes les victoires individuelles qui changent la face du monde et restaurent la justice et la paix, la liberté et le bon droit.
Que l’histoire de « Petit Piment » serve aussi de leçon aux enfants qui liront ce bouquin afin qu’ils puissent prendre leurs destins en main et éviter les nombreux pièges qui jalonnent toute existence humaine.
Lisez et relisez cet ouvrage. Vous en serez touchés et comblés. Pimentez-le davantage avec vos commentaires. Merci.
Bonus: Les séquences fortement recommandées dans l’ouvrage.
Petit Piment et les jumeaux : une histoire de piment (page 65 et 66)
Petit Piment, Louyindoula et les jumeaux ( page 70 à 73)
L’aventure indécente du Vieux KouKouba ( page 106 à 110)
Affrontement entre Les jumeaux et Robin le terrible ( page 129 et 130)
Discussion entre le président et ses hommes de confiance ( page 153 à 158)
Les surnoms des belles de nuit de Maman Fiat 500 ( page 165)
Les discussions entre Petit Piment et le docteur Lucien Kilahou ( page 195 à 208).
La pancarte du féticheur Ngampika ( page 209)
L’aventure de Petit Piment avec le féticheur Ngampika ( page 209 à 216)
Mais avant tout, n’oubliez pas l’opération « Pointe-Noire sans putes zaïroises »
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