S’en aller! Pie-Paul LOKO

S’en aller! Pie-Paul LOKO

De nouveau, une larme s’écrasa sur le bout de papier quelle tenait en main. Elle venait pour la troisième fois de le relire, ne parvenant plus à maîtriser la boule de chagrin qui lui fendait le cœur. Il est des moments où l’on a envie de crier au monde sa désolation, des moments où vous avez l’impression de n’être plus que seul, des moments où tout semble morose, des moments où vous auriez voulu arrêter la barque de Râ pour remonter le temps. Ironie, peu importe vos efforts, chaque action demeure tâche d’huile sur le papier de la vie. Il n’y a pas de retour possible, il n’y a que des détours plausibles dans les faits qui s’enchainent les uns après les autres, formant le cercle vertigineux de la vie. Et comme il n’y a que sur les actions passées que l’on puisse porter un jugement judicieux, voire avérée, il n’y a donc que sur les faits passés que l’on puisse se tromper.

 

Le si je savais n’est pas alors le dernier mot de l’imbécile, mais celui de l’homme qui, non doté de la prescience nécessaire, se retrouve face aux conséquences des faits dont il ignorait la portée, les répercussions. Adjoua se surprit à amèrement regretter ces moments où son inconscience, plutôt son insouciance juvénile s’était montrée un peu trop frivole et volage. Elle se remémora l’épisode de la veille. Mise dans ses plus beaux atouts féminins, elle s’était rendue chez Vigblé. Ce dernier, tout de blanc vêtu, avait tenu à mettre une cravate rouge pour nuancer son costume. La soirée en amoureux connu son paroxysme lorsque l’avenant cavalier sortit le grand jeu.

Le silence. Des murmures. Des caresses. Des câlins …. La mort. La régénération. L’histoire de toute vie et de toute une vie. Oh Dieu. Il ne fallut que onze minutes pour Vigblé et Adjoua pour reproduire ces étapes de la vie. Ils reprirent des mots d’amour. Triste réalité cependant: le sens du mot amour change en fonction des lieux, des personnes, de l’âge, de la profession, de l’humeur…Vigblé s’était mis à genoux pour déclarer à sa compagne sa flamme. Le plus naturellement possible, voire avec une indifférence plutôt inquiétante, elle lui avait répondu être déjà en couple. La beauté s’était envolée, la laideur s’était installée. La magie de la soirée partit en fumée…

 


La notion d’intérêt avait voilé la face à Adjoua. Des aventures, elle en avait connues. Des performances, elle en avait battues. C’était l’ère du sexe pour et non du sexe parce que le sexe. Elle en avait connu de toute sorte…Mais aujourd’hui, tout avait chamboulé. Comment de simples mots pouvaient-ils ainsi, sans crier gare, bouleverser toute une vie ? Ils peuvent être aussi bien, douce musique que véritables poisons. Il suffit juste qu’ils aillent puiser leur sens au plus profond de l’être : L’émotion. Cette dernière est divine. Elle sait rendre magiques les mots. Adjoua savait qu’elle ne pouvait pas changer le penser. Mais il y a toujours, une possibilité, une porte de sortie dans l’avenir pour nos erreurs passées. Il faudrait juste savoir la retrouver. Adjoua trouva sa porte de sortie. Elle allait changer. Offrir son cœur à celui qui venait de tout bouleverser. Elle allait se jeter à l’eau.
-Adjoua, que fais-tu là ?

 

 


Elle sursauta. En effet, s’étant rendue chez Vigblé, elle ne l’avait pas vu mais s’était néanmoins introduite dans la chambre. Elle se retourna et eut un pincement de cœur. Décidément, le chagrin trouvait toujours un moyen de s’estomper. Et les conséquences de nos erreurs, un moyen de se perpétuer. Vigblé était juste là, devant elle, mais inaccessible. Une barrière venait de se dresser. Un trou béant venait de se creuser. Une autre fille, en effet, venait de s’installer. Elle tenait Vigblé par la main avec cet air habituel, propre aux amoureux. Cet air qui criait haut et fort « c’est mon domaine de définition. N’y touche Pas ». Adjoua avait oublié la question que son amant d’un soir, lui avait posée. Elle avait du coup l’impression d’étouffer dans la chambre. Tous ses efforts pour respirer furent vains. Elle s’échappa en courant de la chambre. Elle irait encore crier au monde sa douleur. Peu lui en chaut sil l’écoutait. Mieux le valait…
-Allo ?
-…
-Oui. C’est bien moi
-…
-Quoi ? Mon Dieu

 


Il sortit de toute vitesse malgré les cris de sa compagne. De toute urgence, il se rendit à l’hôpital où gisait sur lit un l’être qu’il avait aimé, l’être qu’il aime, l’être qu’il aurait aimé… encore et encore. Si…Il se mit à pleurer…

 

Mario Loko

3 comments

Tout, par le style et le fond, impressionne… C’est tout simplement beau.

Beau texte , en effet. Mais Mario, le tien est aussi attendu. Toi-même su sais

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