« Pourquoi tuer celui qui finira par mourir? Pour le félon, il n’y a pire châtiment que la conscience » p77
« La Tombe Rebelle », une œuvre belle livrée dans un style exceptionnel, une trame inhabituelle dans un décor rebelle. Rebelle, pourquoi la Tombe le serait-elle ? Pourquoi se soulèverait-elle contre ceux qui l’ont creusée ? C’est certainement parce que, « l’ami a sacrifié l’ami sur l’autel de la couronne que sa main souillée de sang a remplie d’épines, pour l’auto-châtiment » p14. L’ami a oublié la vertu de l’amitié et s’est laissé corrompre par le goût immonde du pouvoir, force éphémère, dans ce monde passager. L’ami, obnubilé par la boulimie du pouvoir, aveuglé par son Moi, se voit catapulté de son trône de Homo sapiens sapiens dans les abîmes fangeux de la déchéance et de l’ignominie. Voici les faits.
Dans le pays Kouroukouma où régnait une monarchie constitutionnelle, un coup d’État est perpétré. Orélor, seigneur des lieux et souverain aimé du peuple, est assassiné par ses plus proches amis et collaborateurs, avec en tête de file, Ikakpore, son ami, son frère. Cette prise du pouvoir qui a coûté la vie à l’aimé du peuple est mal reçu par ce dernier qui clame son désarroi, sa tristesse et rend un hommage des plus méritant au feu roi en faisant de lui un héros. L’absolution demandée par Ikakpore, l’usurpateur auprès de l’oncle-tuteur de Orélor ne résout guère le problème. L’effusion de sang, d’un sang d’innocent, déchaîne la colère des dieux, des maîtres de l’univers. La conjuration du malheur doit passer par des rituels, ainsi que le lui conseillent ses amis Rizo et Ikani et le vieux sage, Eboda. Mais le roi putschiste s’y oppose, alléguant pouvoir secouer les rochers passéistes qui les empêchent d’avancer et ce, même après une lettre que le mort, Orelor donc, lui a adressée depuis « le Carrefour Mon Destin de la Cité de l’au-delà ». La succession des disgrâces et malheurs, des calamités et tragédies dans la contrée, touchant hommes et bêtes, la défection de Rizo et de Ikani censés faire la propagande du roi, le départ de sa femme le troublent et le font capituler. Il se décide donc à accomplir le rituel mais le temps était déjà bien passé…. Alors Ikakpore se ravise à retrouver sa bien-aimée, la belle Dela partie telle une flèche, non pour atteindre le coeur d’une cible mais pour échapper à l’atmosphère délétère et terrifiante qui règne au palais. Cette recherche de sa dulcinée le conduit à travers les bois, où il se retrouve nez à nez avec la tombe de son ami, le feu roi Orelor, La Tombe Rebelle. C’est alors qu’il est accablé par des voix, terrorisé par des fantômes qui lui apparaissent de toute part. Pris comme en flagrant délit, il confesse de sa bouche son ignoble crime. Persona non grata, il subit la rigueur de la loi.
« La Tombe Rebelle », une œuvre au carrefour de la poésie et de la prose, est une monographie où s’affrontent le bien et le mal. Comme le fait entendre l’auteur, l’amitié, doit dominer toutes les discussions mesquines, dompter toute convoitise et avidité, assujettir l’orgueil et faire triompher la vertu. Ce chef-d’œuvre de Yaya Lawani est une pièce de théâtre livrée en deux actes. Le premier recouvre quatre scènes et le second de cinq, le tout le tout s’étendant sur 80 pages. Si la Scène 1 et par extension la Scène 2 de l’Acte 1 constituent l’exposition de l’intrigue, il faut souligner que le nœud prend en compte le reste de la pièce à l’exception de la dernière scène de l’Acte 2 qui fait office de dénouement. Et « La Tombe Rebelle », loin de se rebeller contre la convenance de l’écriture dramatique, s’y plait, faisant même succéder à la prose, le fleuve coi du lyrisme où le lecteur est emporté par la beauté paysagiste et la douceur de la mélodie ambiante. Le premier charme de ce livre reste et demeure son titre qui, au delà de son élégance, est très évocateur et très captivant. Et ceci ajouté à son contenu ne peut qu’être un délice pour les amoureux des belles lettres. J’ai aimé ce livre qui dit quelque chose de ce que doit être l’amitié. Je l’ai aimé pour son actualité, quand on voit que les guerres dans le monde de ce temps ont pour source la boulimie du pouvoir, l’instinct de domination, la volonté de puissance à assouvir. J’ai pris du plaisir à le lire car il est écrit dans un style simple, précis et haletant. Nul ne sera déçu en lisant ce livre…
Œuvre : La Tombe Rebelle, 80 pages
Auteur : Yaya LAWANI
Genre: Théâtre
Editions: Aziza, 1997
Roméo Sèssi DEKA est étudiant en Lettres Modernes à la Flash de l’Université de Parakou. Passionné de lecture et d’écriture, il est aussi journaliste de la presse écrite « Akôwé » de la dite université.